W, l’échec par la confusion

W – Two Worlds est un drama coréen dans lequel une jeune femme est transportée dans le monde d’un comics créé par son père, il mêle à la fois la romance et une quête d’identité du héros du comics.

Oh Yeon Joo (Han Hyo Joo) est docteur dans un grand hôpital de Séoul. Son père est l’auteur d’un web comics extrêmement populaire qui fédère un nombre conséquent de lecteurs, et la sortie chaque semaine d’un nouveau chapitre est un véritable événement. Mais un jour, Yeon Joo est transportée dans le monde du web comics alors que le héros, Kang Chul (Lee Jong Suk) est en train de mourir : pas le temps de réaliser ce qu’il se passe, elle doit le sauver. Par la suite alors que le héros est pourchassé par un tueur, Yeon Joo va tout mettre en oeuvre pour le sauver en se déplaçant d’un monde à l’autre, tandis que Kang Chul cherchera à comprendre qui il est vraiment, et pourquoi quelqu’un semble vouloir se débarrasser de lui.

La difficulté d’accorder deux mondes

Je vais le dire tout de suite sans plus m’étendre sur le fond de l’histoire : ce drama est une véritable escroquerie. Composé de seize épisodes, on peut dire que les huit premiers remplissent plutôt bien le contrat. Cette histoire de passage entre les deux mondes et d’impact de l’héroïne et de son père sur la vie du héros du web comics (l’héroïne en allant directement interagir dans ce monde, le père en dessinant et scénarisant) était au départ une idée intéressante, sans rechercher une quelconque crédibilité la scénariste Song Jae Jung était parvenue à établir quelques règles basiques mais cohérentes sur le passage d’un monde à l’autre : le héros, ou un autre personnage, devait attirer Yeon Joo dans le web comics lors d’une scène décisive. Puis, celle-ci disparaissait lorsque le chapitre était terminé. Cela a donné lieu à des scènes relativement sympas, et puis un mystère s’installait avec le fait que le web comics se dessinait tout seul sous les yeux de l’auteur, comme si une entité encore inconnue contrôlait tout. Mais ce bout d’histoire développé dans les huit premiers épisodes est finalement jeté à la poubelle et on se rend compte que peu à peu les règles établies, les mystères et les enquêtes sont oubliées pour laisser plus de place au développement d’une histoire d’amour entre Yeon Joo et Kang Chul. La recherche de celui qui cherche à le tuer devient secondaire et le fait que le web comics s’écrit et se dessine tout seul n’intéresse plus grand monde. Ce n’est que très tard dans le drama que l’histoire tente de retomber sur ses pieds et reprendre le fil des intrigues ouvertes au début. Mais la cohérence va être sacrifiée, car dès ce moment les règles préalablement établies sur le passage d’un monde à l’autre sont oubliées et la scénariste s’embourbe dans une succession d’explications foireuses, tantôt il suffit de « d’appeler » un personnage pour le faire apparaître dans le  web comics, tantôt il faut le choper au travers d’un cadre blanc (représentant la tablette graphique sur laquelle les planches du web comics sont dessinées) qui apparaît dans le monde, tantôt les personnages passent d’un monde à l’autre sans aucune raison. Au bout du drama l’enquête, le meurtrier ou l’identité du héros passent à la trappe dans une succession d’explications fumeuses et de scènes qui n’ont aucun sens, comme si la scénariste avait perdu le fil de son histoire et ne parvenait pas à se raccrocher aux branches après avoir enchaîné les épisodes fillers pour atteindre péniblement les seize épisodes commandés par la chaîne. En effet, avec un peu de cohérence et compte tenu des événements des huit premiers épisodes, la série aurait pu terminer dès le dixième. A trop vouloir être imprévisible et s’étendre sur des détails, W devient un véritable foutoir incompréhensible et on se contente de voir évoluer les héros.

Cependant on’a pas non plus envie de voir ces héros, car le cast est une catastrophe. Lee Jong Suk, le héros du web comics, ressemble à une poupée à laquelle on aurait seulement permis de faire trois expressions différentes, tandis que Han Hyo Joo rate complètement son retour à la télévision avec son incapacité, encore et toujours, à se détacher de sa propre personnalité pour incarner un rôle. C’est dommage pour une actrice. Quant aux rôles secondaires, on navigue entre oubliable et médiocre.
Outre le cast peu convaincant, le créateur du drama s’est clairement appuyé sur une méthode fréquente (et dangereuse à mon sens pour l’intérêt scénaristique) dans les dramas coréens : « populariser » le couple star de la série afin d’attirer l’œil des spectateurs. Pour cela, on va multiplier les opérations de communication pour montrer que les acteurs s’entendent super bien, on va sortir des affiches où le couple d’acteurs est trop choupinou et on va multiplier les scènes de baisers pour attirer l’attention des médias amateurs de « top 3 ». Parfois cette méthode fonctionne bien car il existe une réelle alchimie entre les acteurs qui se ressent lors des épisodes. C’était le cas de Descendants of the Sun par exemple où le créateur de la série a agit de la même manière, mais était conforté par de très bons acteurs, un bon scénario et une dynamique générale intéressante. Avec W c’est tout l’inverse, car le couple d’acteurs n’est jamais crédible lors des différentes scènes de romance et ils ne s’accordent jamais malgré leur point commun : la médiocrité. Du coup cette insistance sur le couple de héros est rapidement lourdingue et on en arrive à se marrer plutôt qu’à pleurer quand l’un des deux est en danger de mort.

La confusion pour cacher les défauts

Mais W n’est pas seulement cette histoire pas vraiment inintéressante ni cohérente, c’est aussi un cas d’école sur l’utilisation de la confusion dans une série. La scénariste, qui ne savait certainement pas où elle allait, a multiplié les idées lors des derniers épisodes pour à la fois réécrire les « règles » de l’histoire et semer la confusion dans la tête des spectateurs en leur donnant un énorme puzzle auquel il manquerait une pièce pour faire le lien avec le reste. Malheureusement et après nous avoir fait miroiter cette dernière pièce pendant des semaines, elle n’arrive jamais, et la scénariste ne parvient pas à raccrocher tous ces bouts de scénario à l’ensemble. Comme je l’ai dit plus haut, les règles du passage d’un monde à l’autre ont changé au moins trois fois au cours du drama, mais on note aussi que des personnages disparaissent purement et simplement en cours de route pour éviter les questions gênantes, et le final est si forcé, si stupide, qu’il semble avoir été écrit au terme d’une soirée arrosée. Les épisodes de la deuxième moitié du drama n’ont pratiquement aucun lien avec la première moitié, ne répondent à aucune question qui étaient posées au début et se contentent de balancer toutes les intrigues sous le tapis en espérant que personne ne s’interroge.

W est une énorme déception tant le drama commençait bien. J’aimais beaucoup l’idée de mêler le monde du web comics à la réalité, mais ces deux mondes sont tellement semblables que l’histoire aurait pu exister (à quelques nuances) dans une seule réalité sans que le fond de l’histoire n’en pâtisse. Cette dualité n’est jamais véritablement exploitée et les règles établies, qui sont la base de toute cohérence dans ce type d’histoire, sont même oubliées en cours de route. Tout ça n’était au final qu’un prétexte à une histoire d’amour à laquelle personne ne croît et un prétendu drame qui ne touchera personne. Au-delà des problèmes de cohérence et de jeu des acteurs j’aurais pu parler du montage foireux, de la photographie aussi intéressante que mes photos de vacances et de la réalisation désastreuse, mais ce serait accorder trop de temps pour une conclusion simple : c’est mauvais.

6 commentaires sur “W, l’échec par la confusion

  1. je n’ai pas vu tout le drama. Mais par rapport à ce que tu décris, j’ai l’impression que la scénariste était dans des conditions de travail différentes de celles qu’elle avait pour ses 3 précédents hits… Niveau cohérence pour Nine et Queen In Hyun’s Man, ya très peu de reproches à faire, mais ce sont des dramas co-écrits et réalisés avec le même réalisateur donc ils ont une façon de travailler ensemble.

    En fait, je pense que W aurait eu un meilleur sort sur tvN. Les chaînes hertziennes tentent de rattraper leur retard pour ce qui est de l’originalité des thèmes, mais changer son style de production est compliqué pour une grosse chaîne. Le style fantasy romcom ne se maîtrise pas du jour au lendemain.

    Mais apparemment, la scénariste même ne considère pas le drama comme sa meilleure oeuvre. Elle le voit plus comme un exemple à étudier pour ceux qui souhaitent écrire. A chacun de décider si c’est pour analyser ce qu’il faut faire ou ce qu’il ne faut pas faire.

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    1. C’est possible, ça peut également venir d’une volonté de changer le style et l’orientation de l’histoire en cours de production. Pour une raison que j’ignore, l’intrigue autour du voyage entre les deux mondes a été délaissée (ou du moins, sa cohérence a été oubliée) pour se focaliser sur des points qui étaient peu mis en avant auparavant (la romance).
      Je ne sais pas si c’est un manque de maîtrise de la scénariste (je n’ai pas vu ses précédents dramas, même si on m’en a dit beaucoup de bien), un problème sur le tournage ou la production qui l’a poussée à réorienter l’histoire, ou des conditions de travail compliquées… Mais en tout cas, elle s’est complètement perdue dans la cohérence de toute cette histoire. Comme si le fantastique excusait tout. Pression de la chaîne ? Volontés divergentes entre scénariste, chaîne et réalisateur ? On ne le saura jamais de toute façon.

      Le fait qu’elle s’exprime et descende elle-même son oeuvre (toute mesure gardée, évidemment) en dit long, c’est pas fréquent qu’un scénariste prenne de la distance avec ses écrits aussi rapidement après la diffusion.

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      1. xD le drama a déclenché tellement de passion. Et il y a eu bcp d’interrogations après la fin, donc c’est peut-être pour ça qu’elle a fait des interviews qui parlent précisément de ce point. Song Jae Jung a eu suffisamment de succès pour se permettre d’avoir publiquement une opinion critique. Ceux qui souhaitent continuent à travailler dans l’industrie préfèrent se taire quand il y a des critiques qu’ils approuvent. * tousse * Mais oui, quand on sent un tel changement entre la 1ère moitié et la 2nde moitié, c’est souvent que la production y a mis son grain de sel dans l’espoir d’avoir un meilleur taux d’audience. * soupir * c’est tjrs dommage d’en arriver là alors que le drama a un bon début.

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  2. Le meilleur scénario qu’il m’est été donné de voir sur le petit écran, doté d’une réalisation d’une qualité quasiment inégalée pour un drama coréen, et d’une bande son (musiques d’ambiance) effectivement inégalée. De ce point de vue l’équipe musicale aura signé aussi les meilleures autres bandes son connues en corée (Signal et Save-me).

    L’histoire est cohérente du début à la fin, mais il est vrai qu’elle n’est pas facile à déchiffrer. Ceci étant, d’autres œuvres (au cinéma) telles que 2001 l’odyssée de l’espace ou Primer étaient aussi indéchiffrables, et sont pourtant devenues cultes. On n’aura pas l’occasion de voir un chef d’œuvre pareil avant des dizaines d’années sur une télé.
    Pour avoir un aperçu réel de la profondeur de l’œuvre, je conseille l’article rédigé sur le forum Soompi par un collectif. Mais avant, je conseille bien sûr de voir le drama deux ou trois fois.

    La scénariste Song Jae-Jung ne risque pas de se perdre sur son histoire, pour mémoire, elle a écrit deux autres dramas assez compliqués (Nine et Queen Hyun’s man) qui ont rencontré un vif succès. Mais son aboutissement est « W ». Elle a poussé les choses beaucoup plus loin.

    Pour information, la production n’a guère changé de choses (quelques trucs sur le dernier épisode surtout). Elle a publié son script, et même si la traduction google n’est pas terrible, on peut vérifier que le drama correspond bien au script, si ce n’est un décalage sur les épisodes. Les 9 premiers épisodes du script sont les 8 premiers du drama, les cliffhangers sont donc différents. En fait il y a tellement de rebondissements, qu’on a aucun mal à placer un cliffhanger à la place d’un autre en fin d’épisode, sur les 45 scènes (en moyenne) que constitue chaque épisode du script.
    On peut également observer l’incroyable qualité du script. Une précision doublé d’une concision phénoménale. Tout ce qui est vu, y compris les transitions est dans le script. Elle avait tout dans la tête. Elle parvient à coucher cela sur le papier en détail, mais pour autant le script n’est pas trop touffu. Les descriptions se limitent à l’essentiel, tout est clair et évident. Le screenplay est incroyable. Le réalisateur aurait pu se contenter de s’assoir dans l’immense fauteuil qu’on lui tendait, mais il va parvenir à sublimer tout ça. Dans ce drama, chaque corps de métier s’est dépassé. L’actrice principale elle-même a déclaré avoir sauté sur ce script, car elle doutait qu’un aussi bon scénario lui serait proposé dans sa carrière (à juste titre).

    Dans une interview, la scénariste déclare avoir essayé d’écrire pour le grand public, mais y est à peine parvenu. Effectivement, elle a été possédée par sa propre histoire, sa logique et ses développements inévitables. On peut remercier le producteur d’avoir fait un pari pareil, et d’avoir diffusé au grand public un drama qui était plutôt fait pour intéresser une partie plus restreinte de la population.

    Il n’y a aucun confusion ! Une fois qu’on assemble bien les pièces du puzzle, tout est assez limpide, et on constate bien que les choses ne peuvent que se dérouler ainsi. C’est parfois déroutant, mais la logique interne de l’histoire est toujours élaboré à un second degré de profondeur. Si on ne se place pas à ce niveau, les choses n’ont guère de sens, et c’est normal.

    Avec un rythme très soutenu point de vue action, il est normal que la compréhension en soit impactée. Le drama est d’une densité extrême. Il aurait pu s’étaler sur 20 épisodes pour s’aérer un peu. Il n’y a aucune scène inutile (zéro filler !), une scène sur deux est emblématique. C’est du cinéma (et encore, pas du mou !). Aucune explication n’est répétée quasiment. Il suffit de manquer un détail ou une réplique pour ne plus comprendre ce qu’il se passe dans le fond. Et combien même, parfois on n’aura pas le temps de recoller les morceaux avant le prochain rebondissement. Mais pour les personnes qui ont l’habitude des histoires complexes, c’est un régal. On ne capte pas tout la première fois, d’autant que la première fois, on reste sur le cul de bout en bout, et on profite surtout des choses telles qu’elles viennent, sans forcément vouloir tout comprendre. Pour agrémenter le tout, le drama a une très bonne revisibilité. On l’apprécie même davantage les fois supplémentaires, puisqu’en le connaissant un peu, l’effet de densité tend à se dissiper, et on perçoit mieux ce qui s’y déroule, et les multiples détails importants qu’on avait manqué.

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