Get Out, perdu entre racisme et horreur

L’horreur par le racisme, une idée intéressante sur laquelle a reposée l’essentiel de la promotion de Get Out. Son réalisateur Jordan Peele voulait en effet mettre en scène le racisme latent d’une petite communauté qui en ferait un véritable film d’horreur : une bonne idée, mais qui ne convainc pas.

Chris (Daniel Kaluuya) accompagne sa petite amie Rose (Allison Williams) en week-end chez sa belle-famille, l’occasion pour lui de les rencontrer. Inquiet car elle n’a pas prévenu ses parents que son petit ami est un afro-américain, elle le rassure tout de même en lui disant que ses parents n’ont jamais été racistes. Mais en arrivant sur place, les petites réflexions se multiplient et la présence d’un personnel de maison exclusivement de couleur noire installent un malaise dans cette riche famille, un malaise qui dérape peu à peu vers l’horreur.

GetOutCritique (2)

Redbone

Je dois le dire, c’est bien le bruit qu’a fait ce film et les critiques de spectateurs dithyrambiques qui m’ont poussés à aller le voir : je camoufle mon manque de courage derrière un désintérêt pour les films d’horreur, et j’ai du braver les peurs pour aller le voir. Heureusement, je me rend rapidement compte que « l’horreur » se limitait au montage de la bande-annonce, et le film ne sera jamais rien de plus qu’un thriller qui tente péniblement d’installer une ambiance horrifique.
Le film débute pourtant bien. Tout commence à l’occasion d’un banal contrôle de police où le racisme du policier est bien mis en avant, puis l’arrivée dans la grande maison de la riche famille blanche perdue au milieu de nulle part. Celle-ci est angoissante, presque hors du temps et les réflexions racistes dissimulées derrière de grands sourires laissent à penser que quelque chose ne va pas. Mais le pire arrive plus tard avec un personnel de maison qui n’agit pas de manière très naturelle, alors que la famille prétend qu’ils sont bien traités, et la petite fête organisée avec tous leurs voisins. Ces derniers, restés soixante ans en arrière, posent des questions terriblement gênantes et semblent s’amuser de la présence d’une personne de couleur, comme s’il s’agissait d’une bête de foire.
Dans ce contexte, on assiste à une agréable montée en tension. Très souvent écœurant tant les remarques racistes sont dérangeantes, Get Out gagne son pari grâce à un malaise constant, dans un monde que l’on n’aimerait plus jamais voir.

Pourtant le film va peu à peu dévier dans une surenchère d’horreur qui oublie son principal objectif. Le racisme est mis de côté, ne servant que de prétexte à une banale histoire d’horreur dont on se serait bien passé. Alors qu’il tente très dur de nous dire « regardez ça fait peur, criez », Get Out n’est jamais effrayant. En réalité, il m’a plutôt donné envie de rire dans sa deuxième partie qui tente d’expliquer des choses sans intérêt : tout le bon travail effectué dans la première partie vole en éclat, avec la promesse de « l’horreur par le racisme » qui disparaît, pour ne laisser place qu’à un classique film du genre. Il ne manquait que les jump scares pour rejoindre la longue liste de films d’horreur sans idées. Et rien ne va venir sauver le film. La morale est difficilement identifiable dans un final complètement improbable, plus comique qu’autre chose, et les acteurs malgré l’évidente liberté accordée par le réalisateur ne deviennent que des caricatures d’eux-mêmes. Sans nuance ni profondeur, Get Out passe complètement à côté.

Run Rabbit Run

Le plus triste finalement est que les meilleurs éléments du film, comme l’absence d’intérêt des autorités pour les jeunes afro-américains déclarés disparus ou le racisme « inconscient » de la famille ne sont que survolés. Le réalisateur Jordan Peele explore beaucoup de choses, enchaîne les bonnes idées mais a semblé incapable de les élever et leur donner sens. A trop vouloir dévier vers le genre de l’horreur, il n’a pas été capable d’attacher tous les morceaux et s’est retrouvé prisonnier de son œuvre, contraint d’aller vers la surenchère pour justifier l’étiquette de film d’horreur. C’est quelque chose qui m’a beaucoup déçu, le réalisateur semblant incapable de mélanger les genres pour dépasser le cadre imposé, alors qu’il avait toutes les cartes en main pour jouer sur plusieurs tableaux.

C’est un sentiment de gâchis qui domine après la séance de Get Out. Sur-vendu, le film s’avère décevant tant ce qui faisait son originalité est rapidement balayé. L’angoisse installée en première partie ne mène qu’à quelque chose d’invraisemblable péniblement justifié par le racisme. Si Jordan Peele a su distiller quelques éléments intéressants, il ne parvient pas à les transformer dans un ensemble cohérent, et son film restera complètement oubliable.

7 commentaires sur “Get Out, perdu entre racisme et horreur

  1. Point de vue intéressant, mais il y a deux choses que je n’ai pas très bien compris. Peut-être que c’est parce que tu voulais éviter les trop gros spoilers xD;
    « Pourtant le film va peu à peu dévier dans une surenchère d’horreur qui oublie son principal objectif ». Qu’entends-tu par « surrenchère d’horreur » ?

    « La morale est difficilement identifiable dans un final complètement improbable, plus comique qu’autre chose. » Quels sont les éléments comiques décevants dont tu parles ? Et quelle morale aurais-tu voulu voir ?

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    1. Oui, j’ai évité de pointer directement l’horreur dont je parle pour esquiver un spoil sur le twist final : en gros, toute la dernière partie dès lors que le véritable « mal » est révélé. Si on peut justifier ce « plan » par les préjugés racistes (« les noirs courent vite » par exemple), j’ai trouvé qu’il arrivait comme un cheveu sur la soupe sans vraiment se rattacher aux bases précédemment posées.

      J’ai trouvé la fin plutôt comique au sens où on part dans une surenchère de violence (les meurtres, le final sur la route), à tel point que j’ai eu le sentiment d’assister à une parodie d’horreur. Enfin c’était clairement l’intention du réalisateur je pense, mais du coup j’ai eu du mal à le rattacher là encore à ce qui se passe dans la première partie. Pour la morale, ce « plan » qui « justifie » l’enlèvement des afro-américains m’a semblé manquer d’un petit quelque chose. Le plan est tellement improbable qu’on s’éloigne beaucoup trop de la réalité et du coup la dénonciation du racisme passe au second plan.
      Ils ont sorti une fin alternative (et là, je vais spoiler la fin donc à réserver à ceux qui l’ont vu) sur Youtube, où c’est bien des policiers et non pas son pote douanier qui arrive dans la voiture de police. Dans cette fin, les policiers voient les cadavres près de lui et l’abattent sur le champ alors qu’il est désarmé. Cette fin me semblait terriblement plus intelligente pour dénoncer le racisme ambiant, et renvoyer directement à la réalité.

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      1. J’ai encore la flemme de faire ma review, mais il est vrai que si je devais parler des points négatifs, ce serait par rapport à la description et au peu d’explications sur les moyens mis en place par cette communauté blanche pour survivre avant et après le passage de Chris. Mais je pense que c’est plus une question de montage et du temps à l’écran à sacrifier pour un film à petit budget. Personnellement, je n’ai pas trouvé le film comique. Les interventions du meilleur ami font rire parce que le personnage n’est pas un BG ténébreux/intello. A aucun moment le meilleur ami ne plaisante. Il est convaincu de ce qu’il dit et ce qui fait limite peur est que justement personne ne le prend au sérieux (même quand il a des preuves et qu’il parle à des policiers non-blancs). Et la constance du personnage, je l’ai prise davantage comme la dénonciation du principe de respectabilité. A aucun moment, il ne doute de lui. Pourquoi personne ne le prend au sérieux ? Ce déni dont les minorités sont victimes, même de la part de ceux qui devraient leurs alliés. Elles ont beau dire « voilà ce qui est arrivé », elles ont beau donné des détails précis, on ne les croit pas parce qu’elles ne sont pas assez telle chose ou trop telle chose et on se moque même d’elles. On a l’impression que le film grossit le trait alors qu’en fait non… Pour moi, c’est surtout ça l’aspect horreur : la banalité des situations, et pour une fois, on ne peut pas nous dire qu’on est parano et que c’est dans notre tête.

        Quand tu parlais de morale, je n’avais pas compris dans ce sens-là. Comme je disais, je suis d’accord sur le flou du comment ils font ce qu’ils font et sur la finalité+viabilité de leur communauté, mais par contre le pourquoi est clair et leur plan n’est pas si improbable que ça. Les médias en parlent peu encore, mais de temps en temps, on évoque les Noir.es qui disparaissent et dont on retrouve les corps avec des organes en moins. D’une façon générale, cette appropriation du corps noir est la justification même de l’esclavage. C’est un fantasme toujours d’actualité. Et rare passe une semaine sans que les médias nous montrent un exemple où on critique une caractéristique physique chez un.e Noir.e et on encense la même caractéristique physique chez un.e Blanc.he. Le personnage du petit frère a très bien illustré le discours « vous les Noirs, c’est que le physique. Les Blancs, c’est cérébral ». La surenchère de violence de la seconde partie est en fait la contre-partie des micro-agressions banales que Chris reçoit dans la 1ère partie mais qui, dans la vie réelle, sont passées sous silence.

        Le fait d’avoir choisi cette fin était du fanservice en permettant à la victime noire de s’en tirer vivante pour une fois (en sachant qu’il y aura des conséquences à affronter), mais je pense qu’il manque des scènes pour montrer la chaîne qui permet d’y arriver.

        Je n’utiliserais pas l’adjectif « intelligente » pour la fin alternative dont tu parles. Je dirais plutôt conventionnelle, logique par rapport à la réalité et déprimante pour ceux qui s’identifient à Chris… Je n’ai pas lu/vu ttes les interviews de Jordan Peele, mais il me semble que son but justement était d’utiliser les tropes des films d’horreur. Ce qui n’est pas conventionnel est que le héros soit noir et sans reproche, donc on ne peut pas sortir le fameux argument « oui, mais si ça lui est arrivé, c’est forcément qu’il a fait quelque chose ». Ses agresseurs sont bien identifiés, ce sont pas de mystérieux tueurs qu’on ne voit pas de tout le film mais dont on connait l’existence…. XD Bon j’arrête là, je vais peut-être aller écrire ma review xD

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        1. Je suis pas nécessairement en désaccord avec toi, mais même si le film identifie très bien des problèmes (comme tu dis les jeunes qui disparaissent > quand son pote va voir la police, ils ne le prennent pas au sérieux, le fait que ce soit de jeunes noirs n’intéresse pas), mais j’ai trouvé qu’il les exploite terriblement mal. Le film se révèle infiniment plus dérangeant dans sa première partie (les questions des invités, la vente aux enchères) et il n’avait pas besoin, à mes yeux, de virer dans cette deuxième partie qui vient montrer avec des gros sabots « regardez, ils sont vraiment très très méchants ». Le film se distinguait avant ça avec une réelle peur et une violence transmise par les mots, les regards, les gestes. On n’avait pas besoin de cette deuxième partie pour détester cette communauté.

          Si je trouve cette fin alternative plus intelligente, c’est parce qu’elle vient mettre un terme à une certaine « euphorie » (la violence, les meurtres, les codes du film d’horreur) par un retour brutal à la réalité.

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          1. Une réalité où le personnage noir meurt comme on s’attend à ce qu’il meurt parce que c’est ça la réalité ?

            Dernière question (et après j’arrête xD, je la pose parce que les gens se braquent généralement quand je leur demande d’expliquer leurs arguments sur pourquoi la façon dont Chris s’en sort n’est pas réaliste et pourquoi faut-il qu’elle soit réaliste): à ton avis, comment Chris aurait-il dû s’en sortir ? Et/où comment aurait-il pu faire ?

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            1. Car cette dénonciation de la réalité aurait été intéressante compte tenu du propos du film (et tout le teasing qui en a été fait) : depuis les derniers meurtres policiers qui ont provoqué de nombreuses manifestations aux Etats-Unis, il n’y a pas vraiment eu de film qui l’ont abordé. Ca me semblait beaucoup plus intéressant, car ça vient contraster avec l’espèce d’état de grâce du héros lors de sa fuite. Personnellement vu le déroulement de celle-ci, je m’attendais pleinement à ce qu’il s’en sorte, j’ai douté juste quelques secondes en voyant la voiture de police.

              Ce n’est pas une question que la fin soit réaliste ou non, ce que je dis c’est que pour moi elle aurait eu infiniment plus d’impact si il y avait eu cet autre rappel à la réalité de l’actualité américaine (comme il y a le passage où son pote veut avertir la police, qui l’ignore, plus tôt dans le film). Pour moi, dès lors que le plan est révélé, le film devient plus « léger » pour se rattacher aux codes classiques du film d’horreur, et la fin est conforme à ces codes : le héros, blessé, s’en sort péniblement en s’éloignant du théâtre de l’horreur, et est sauvé par un tiers venu le chercher.
              Je ne vois pas comment il aurait pu s’en sortir autrement que de la manière pensée par le réalisateur ici : il parvient à s’échapper et se défend contre ceux qui tentent de le tuer. Dès lors que la situation bascule dans la violence physique, il n’y a pas d’autre solution (sauf si les autorités avaient réagit, mais ça dénaturerait le propos du film).

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