Sans un bruit, quand le son devient le plus grand danger

L’acteur John Krasinski s’essaie une nouvelle fois à la réalisation avec Sans un bruit, un film d’horreur où le bruit est le pire ennemi de ses personnages. Pourchassés par des créatures fantaisistes, le film raconte surtout la survie d’une famille dans un environnement qui les oblige à effacer tous les sons.

Dans un futur proche le monde se retrouve envahi par des créatures étranges, gigantesques et très rapides. Celles-ci ne peuvent s’orienter que d’une manière : avec le bruit. Alors pour survivre, une famille du Midwest au Etats-Unis tente de s’adapter à ce nouveau monde où tout bruit est proscrit.

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A Quiet Family

Faire un film d’horreur qui repose sur le langage des signes est une idée formidable : la tension liée au bruit, transposée au spectateur fébrile dans sa salle de cinéma alors que son voisin déguste ses pop-corns (même si certains ont flairé le bon filon marketing), fonctionne à merveille tant le bruit est un élément couramment utilisé par le genre. Des jump scares (au son court mais violent) aux bruits angoissants, le son a toujours été l’élément moteur de la peur installée par le genre de l’horreur. Mais ici le son en est réduit à son minimum, avec des personnages qui n’ont pas le droit de faire le moindre bruit et des monstres qui eux, se tapissent dans l’ombre avec une discrétion sans pareille, guettant le moindre son qui pourrait les orienter.
Avec ce concept l’acteur et réalisateur John Krasinski nous emmène dans un film de genre relativement original où les comportements humains sont repensés pour ne pas émettre le moindre son qui pourrait trahir leur présence. Leur environnement immédiat s’en voit impacter avec des astuces qui leur permettent de réduire le bruit, et une problématique vient s’installer pour troubler leur vie devenue relativement paisible : la mère de famille est sur le point d’accoucher. Le réalisateur nous fait bien comprendre que cet élément va être le tournant de l’histoire, un fait de vie qui lui ne pourra pas vraiment être étouffé comme tous les sons émis jusque là. Alors la famille se prépare tranquillement entre deux vadrouilles dans les rues désertes d’un Midwest abandonné par ses autorités, des autorités qui n’ont semble-t-il communiqué que vaguement au début de l’apparition des monstres en suppliant leurs citoyens de ne pas faire le moindre bruit.

Oppressant, Sans un bruit remporte son pari en donnant le sentiment au spectateur que lui-même n’a pas le droit à l’erreur : l’immersion fonctionne absolument, à tel point que j’ai été happé comme très rarement par un film d’horreur. John Krasinski ne se repose jamais vraiment sur les ficelles habituelles du genre et propose au contraire quelque chose de plus « violent ». Cette violence ne vient pas de jump scares effrayants mais plutôt de ce sentiment que la moindre erreur est irréparable : les monstres sont présentés comme invincibles, extrêmement agiles et capables de tuer quelqu’un d’un seul coup. Ils sont de véritables monstres, au sens le plus pur, effrayants et sans pitié. Ces caractéristiques leur confèrent une aura assez terrible dans ce monde si proche du notre, car la relation de proie à chasseur n’est jamais inversée. Les humains sont faibles et ne peuvent s’en sortir qu’en donnant l’impression de ne pas être là.
Mais cette tension palpable redescend malheureusement dans le dernier acte du film, avec un réalisateur qui nous livre une dernière bataille, comme un baroud d’honneur pour ses personnages qui doivent en découdre avec les monstres. Un choix assez curieux tant la tension disparaît pour laisser place à une bataille rangée assez ridicule où les caractéristiques de cet univers, posées au début, sont oubliées pour nous raconter un combat assez ridicule où on prend les armes et on tente d’éliminer quelques ennemis. C’est un choix assez regrettable, car si on le comprend assez aisément tant la construction des personnages menait irrémédiablement à la fin qui nous est proposée, le réalisateur n’est pas à l’aise lorsqu’il s’agit de mettre en scène ce dernier acte et se révèle très maladroit dans son approche de l’action. Il y avait beaucoup de choses à faire avec le bruit ou même les lumières installées tout autour de la maison familiale pour repérer les ennemis, mais toutes ces astuces montrées au début du film sont oubliées.

It Hears You

Et c’est encore plus dommage en sachant que le film se révélait plutôt solide jusque là : son ambiance était assez fantastique, et c’est quelqu’un qui n’aime pas l’horreur qui vous le dit, tandis que les acteurs et actrices faisaient le job sans problème. John Krasinski, s’il est déjà un acteur intéressant, confirme ici aussi ses talents de réalisateur avec cette capacité à mettre en scène un mode de vie alternatif alors que le monde est devenu hostile. Emily Blunt elle apparaît comme le pilier d’une famille traumatisée par la perte d’un de ses enfants, et si c’est loin d’être sa meilleure prestation, elle n’en reste pas moins une actrice que je prends toujours plaisir à voir évoluer tant elle est capable de saisir des rôles aux implications vraiment différentes. Le film manque toutefois d’un peu d’audace sur son ambiance sonore : parfois des sons viennent gâcher le silence total exigé aux personnages, d’autant plus que la bande originale n’est pas vraiment inoubliable.

Partant d’une bonne idée Sans un bruit excelle dans cette tension permanente provoquée par un monde où le moindre bruit est mortel. S’il ne révolutionne pas grand chose, il apparaît comme un bon film de genre mené avec justesse par son réalisateur. Malheureusement ce dernier se perd dans le dernier acte en balayant d’un revers de main tout ce qu’il a établi pendant une heure, laissant entrevoir finalement une action assez incompréhensible où la peur et l’oppression laissent place à un combat assez ridicule. Sans un bruit avait tout du très grand film d’horreur, mais ne deviendra finalement qu’une énième bonne idée rapidement oubliée.

4 commentaires sur “Sans un bruit, quand le son devient le plus grand danger

  1. Très bonne critique. Je suis d’accord avec toi. Le concept est original et certaines scènes étaient terriblement anxiogènes. On hésite à reparler, à la fin du film. Cependant, j’ai été encore plus déçu que toi, je pense. Certains défauts m’ont interpellé pendant la première heure elle-même, et le dernier acte, comme tu dis, à fini de me sortir totalement de l’histoire…

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    1. Merci !
      A quels défauts est-ce que tu penses pour ce qui est de la première heure ? Je dois avouer n’avoir pas été complètement convaincu, malgré l’ambiance vraiment anxiogène, mais j’ai été incapable de savoir pourquoi.

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      1. Alors, les défauts que je lui ai trouvés sont purement subjectifs. J’aime quand il y a de l’implicite, mais pour moi, on en savait vraiment trop peu sur l’univers ou sur les personnages, pour éprouver de l’empathie envers eux. On peine notamment à prendre parti quand on sent la tension qui existe entre le père et sa fille. Et certains ont trouvé que le film véhiculait une vision un peu « sexiste » de la famille, en 2018. Bon, je n’aime pas entrer dans ces débats là. En tout cas, c’est un ensemble de plusieurs choses qui m’ont empêché d’aimer le film, alors que j’ai adoré la scène où elle se cache, quand elle est en train d’accoucher, ou celle dans le maïs. Mais de toute façon, la fin est un beau gâchis. Enfin, comme tu dis, il est difficile de poser des mots sur les défauts du film, sachant que certains d’entre eux sont des partis pris volontaires.

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        1. Ah oui, j’ai aussi trouvé la relation entre le père et sa fille assez mal amenée. On comprend assez rapidement d’où ça vient, mais ça m’a semblé un peu hors propos vu leur situation et assez mal cadré avec les personnalités des deux.

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