The Hate U Give, de la haine à la lumière

Adapté du roman éponyme d’Angie Thomas, The Hate U Give est une véritable réflexion sur la notion de haine, sur son influence sur la construction de l’identité et du caractère. Son héroïne est une jeune femme comme une autre, prise en otage par une société qui l’incite à détester.

Starr Carter (Amandla Stenberg) a une vie atypique : elle vient d’un quartier pauvre où la communauté afro-américaine est largement majoritaire, mais étudie dans une école privée de jeunes élèves blancs venant de milieux privilégiés. Un équilibre compliqué à maintenir pour une jeune femme dont l’identité propre est malmenée entre la volonté d’être elle-même et la nécessité de paraître autrement pour ne pas attirer l’attention dans un milieu qui n’a jamais été le sien. Un jour tout s’embrase lorsqu’elle est témoin du meurtre de son ami d’enfance par un policier.

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Only God Can Judge Me

Le film débute comme une oeuvre « young adult » classique, vous savez l’un de ces films dont nous abreuve Netflix et qui se déroulent dans un lycée où une voix-off nous introduit les personnages, le contexte et la situation amoureuse de chacun. Innocent, le film bascule soudainement lors d’un événement traumatisant, un banal contrôle routier dont l’issue dramatique ne surprend plus personne aux Etats-Unis. Un jeune homme pourtant inoffensif va être abattu par un policier à la gâchette facile, incapable de prendre du recul sur une situation presque ridicule. Le choc est grand pour le spectateur, qui va vivre cet événement au travers des yeux, des petits problèmes et des rêves de l’héroïne. Une lycéenne afro-américaine parmi d’autres en apparence, mais qui au fil du temps révèle la réalité : elle est contrainte de « cacher » ses origines, sa manière d’être, son attitude pour se conformer à ce que son lycée majoritairement blanc attend d’elle. Le réalisateur George Tillman Jr., qui adapte le roman d’Angie Thomas, fait preuve d’une finesse formidable sur sa manière d’aborder le sujet : sous un angle au premier abord innocent, très conforme à l’idée que l’on se fait des films du genre (par exemple « A tous les garçons que j’ai aimés », pour vous donner une idée) avant d’emmener ses sujets vers un drame terrible, celui d’une société qui abat ses enfants dans la plus grande impunité. La question des discriminations et violences policières à l’encontre de la communauté afro-américaine est évidemment un sujet d’actualité, mais le réalisateur parvient à l’analyser grâce au regard désabusé de son héroïne Starr, incarnée par Amandla Stenberg que je découvre à l’occasion, et qui n’a cessée de me bluffer. L’actrice joue le rôle d’une lycéenne qui, témoin d’un acte de haine pure, va peu à peu se lancer dans le militantisme et l’affirmation de son identité. Un changement radical pour une lycéenne dont les parents l’ont toujours poussée à être « sage » et ne laisser à personne l’occasion de la critiquer.

L’idée même de basculement est centrale dans le film de George Tillman Jr., celle d’une histoire apparemment innocente vers un drame de société absolument terrible, celui d’une lycéenne bien vue par ses camarades qui va peu à peu s’affirmer dans une société qui rejette ce qu’elle est vraiment, et sa découverte du militantisme et des pressions de toute part pour l’empêcher de changer une situation qui convient à beaucoup trop de monde. Le film tire son titre et sa morale du nom du groupe fondé par le rappeur 2Pac (Tupac Shakur), la « THUG LIFE », une devise dont le sens a été largement détruit par internet avant d’être réinventé pour des choses bien plus futiles. Il s’agissait de l’acronyme de « The Hate U Gave Little Infants Fucks Everybody » (que l’on peut traduire par quelque chose comme « La haine que vous avez inculqué aux enfants nique tout le monde »). Une devise et une sorte de code d’honneur à l’encontre de la haine comme message, une haine qui détruit l’avenir de tous les enfants qui naissent aujourd’hui. Le réalisateur, avec de nombreuses références à 2Pac, s’efforce de reprendre cette idée en montrant notamment dans une scène terrible à la fin du film, que les enfants sont les premiers à absorber cette haine : c’est toute une génération qui a grandi avec la haine inculquée, souvent inconsciemment, par leurs parents qui causera demain des problèmes. Et le film désigne comme responsable toute la société, peu importe les couleurs, les raisons et les milieux sociaux, chacun est responsable de ce que la société est devenue. Un message de paix vers lequel va progresser l’héroïne, de la lycéenne lambda en passant par la militante pour ses droits, avant d’arriver à une ultime décision qui démontre sa transformation. Presque comme dans un récit initiatique, Starr est un personnage qui s’ouvre au monde, comprend ses erreurs, et va faire du mieux qu’elle le peut pour changer les choses à sa hauteur. Bouleversant, le film apparaît comme nécessaire à notre époque, tant sa finesse et sa justesse s’associent à la qualité des actrices et acteurs qui le composent.

Keep Ya Head Up

L’émotion par l’opposition entre un monde rêvé et la réalité fonctionne à merveilles, tant on garde en mémoire sa (longue) introduction qui reprend tous les codes du film « adolescent ». Et sa naïveté devient une force, notamment pour son héroïne, qui va se battre contre vents et marées malgré les pressions de toute part, malgré ce sentiment de donner un coup d’épée dans l’eau alors que le système et la communauté sont bien trop puissants. Mais plus que tout c’est le regard que porte le réalisateur sur la haine et ses conséquences qui font de The Hate U Give un film tout à fait atypique. Dénonciateur, parfois maladroit dans sa manière d’exploiter sans limite les filtres bleus et jaunes (il faut arrêter d’utiliser ces filtres sans raison, vraiment), il n’en reste pas moins intéressant pour son dualisme et sa portée. L’idée de haine comme fondement de la société est un thème intéressant qu’exploite le réalisateur, et si je n’ai aucune idée de la qualité du roman d’Angie Thomas, c’était un plaisir de découvrir la manière dont George Tillman Jr. a traité le sujet.

Film « adolescent » à la portée terrible, The Hate U Give se repose sur une dichotomie incarnée par son héroïne. Sage et discrète au lycée, naturelle dans sa communauté, elle concentre une colère qui s’exprime par le militantisme alors qu’elle est témoin de la haine la plus pure. Amandla Stenberg est une super actrice, tandis que le reste du casting offre de très bonnes choses à l’image de Common, le rappeur qui joue là un oncle tiraillé entre sa communauté et son travail de policier. Plein de bon sens, souvent fin, l’émotion que nous transmet le film excuse sans mal sa difficulté à trouver le bon équilibre du côté de sa mise en scène. On retiendra quelques plans vraiment terribles, et une morale qui nous touche au plus profond.

5 commentaires sur “The Hate U Give, de la haine à la lumière

  1. Je crois que c’est le début du livre, aussi très codes adolescents, qui m’a empêché de continuer le roman tout de suite, entre autres. Mais c’est vraiment intéressant de voir qu’ils utilisent cela pour contraster ensuite violemment avec le militantisme par la suite. Je ne pensais pas du tout que cela s’amorcerait ainsi, et ta critique rend bien compte du coup de poing que ça doit être. Ça donne vraiment envie de le voir, même s’il est très dur. L’actrice a l’air sublime, et il le faut certainement pour interpréter une telle évolution du personnage…l’idée de haine comme fondement de la société est malheureusement bien vraie aujourd’hui, pour certains milieux, envers certaines choses ou personnes, surtout dans les temps sombres, plutôt qu’essayer de comprendre l’autre et de se corriger soi-même.

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    1. J’avoue avoir été surpris au début du film, on me l’avait vendu comme quelque chose de très fort, je me demandais où ça allait avec une introduction très « adolescent » (j’aime pas trop ce qualificatif qui semble péjoratif en matière de cinéma, mais je trouve pas mieux). Le contraste est exploité avec beaucoup de justesse, mais je n’ai aucune idée de la manière dont c’est géré dans le roman.

      Et oui, c’est aussi pour ça qu’un tel film me semble nécessaire. On dépasse la haine, on s’interroge sur ses conséquences, et on se demande si on veut un monde fait de haine ou d’acceptation. Le bon côté est aussi que le film ne réhabilite jamais le coupable : il est mauvais pour la communauté, pour tout le monde. Si on renonce à la haine, on ne renonce pas à la condamnation.

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