Longtemps cantonné au succès d’estime, porté par ses amateurs, le cinéma coréen s’est enfin vu décerner sa première Palme d’Or à Cannes, cette année. Parasite de Bong Joon Ho a parait-il convaincu le jury présidé par Iñárritu, à l’unanimité, et son arrivée en salles peu de temps après son sacre donne l’occasion de découvrir une oeuvre aussi mystérieuse que séduisante.
La famille de Ki Taek (Song Kang Ho) est au chômage, avec sa femme et ses deux enfants désormais adultes, ils ne vivent que de petits jobs mal payés en vivant dans un sous-sol infesté de cafards. Un jour leur fils est recommandé par son ami pour donner des cours d’anglais à la fille d’une riche famille, l’occasion de découvrir un autre monde…
Parasite(s)
Père du polar coréen avec Memories of Murder, adorateur de l’horreur avec The Host, émouvant auprès de Mother, engagé avec Snowpiercer et Okja, Bong Joon Ho a revêtu tant de casquettes au cours de sa longue carrière. Discret, il ne raconte pas d’histoires, il fait chaque fois vivre ses personnages sous l’œil de sa caméra capable de capter ce qu’il y a de plus important. Sa polyvalence se traduit dans Parasite, comme une oeuvre finale, l’accomplissement de vingt années que le réalisateur a passé à observer les mondes et varier les genres. Un mélange qui fait l’essence de son nouveau film, dans un monde où chacun apparaît comme un parasite pour les autres : c’est fondamentalement une histoire de riches et de pauvres et de lutte des classes, un sujet cher au cinéma coréen. D’une comédie au drame, de la tragédie qui devient un thriller, le réalisateur prend d’énormes risques en empêchant ses spectateurs et spectatrices de prendre leurs aises. Constamment malmenés, constamment surpris, ils assistent impuissants à une histoire sans méchant et sans héros, où les besoins des uns provoque la chute des autres. Film impitoyable, il fait de la misère une arme face à une famille riche qui s’est perdue dans l’immensité de son environnement. La maison, théâtre des horreurs, impressionne par le gigantisme qui la caractérise. Sobre, vide, sans personnalité, quelques points d’intérêt viennent cependant donner un peu de vie à l’endroit où la richesse prétend s’épanouir. Le tableau un peu flippant dessiné par le cadet de la famille, la photo de famille déprimante ou les flèches collées ici et là font office de cache-misère pour une famille souriante mais dont l’opposition à l’autre famille, celle qui vit dans la misère, révèle la vacuité.
Pour autant Parasite n’est pas un empilement de clichés d’une lutte des classes un peu veine, c’est un film terrifiant qui raconte les inégalités du monde contemporain. L’extrême pauvreté rencontre l’extrême richesse, une famille modèle qui fait rêver bon nombre : il suffit de voir les fameux dramas coréens et son habituel gendre idéal au compte en banque illimité. Pour autant le réalisateur tente d’éviter le cliché en insufflant une certaine candeur à cette riche famille : cultivée mais simple. Le premier contact entre les deux familles est d’ailleurs des plus agréables, la gentillesse et l’amabilité priment sur les différences. Bong Joon Ho s’intéresse plutôt à la cohabitation, à la difficulté de s’entendre alors que les deux familles, symboles de deux castes opposées, n’ont en commun que leur nationalité. Il veut parler de ce monde où les classes n’ont cessé de s’éloigner en refusant de se regarder. Le privilégié ignore la misère de son voisinage, et c’est d’ailleurs une ignorance qui caractérise cette famille qui a tout. Malgré sa culture, malgré ses moyens et sa capacité à aller partout dans le monde, elle ne sait pas que son entourage et ses employés vivent dans une misère terrible. Cette candeur et cette opposition claire entre les deux familles fait de Parasite une tragicomédie passionnante, où la gravité est tempérée par des situations comiques surprenantes. C’est un grand-huit émotionnel, exaltant, terrifiant et émouvant.
Le maître des jeux
Car il est là le coup de maître de Bong Joon Ho, qui se balade entre les genres comme un virtuose. D’une intensité dramatique terrible, son film absorbe ses acteurs et actrices pour en faire des personnages à part entière. Les amateurs et amatrices du cinéma coréen ne sont pas surpris(e)s de voir Song Kang Ho survoler le film, avec toujours cette même justesse du regard, d’un visage empreint de terribles émotions. Mais il serait bien dommage d’oublier Park So Dam et Cho Yeo Jeong, les deux actrices principales du film qui l’éblouissent dans des rôles très différents. Park So Dam dans le rôle d’une jeune femme déterminée à sortir de la misère, aux nombreux niveaux de lecture tant il est difficile d’appréhender ce qui la motive réellement. Et puis Cho Yeo Jeong, en mère au foyer modèle, dont la candeur inoffensive est un véritable cadeau pour la mise en scène de Bong Joon Ho. L’actrice est sublimée, son personnage devient presque un élément du décor de cette grande maison, où elle fait le lien naturellement entre les deux familles. Une manière de raconter la façon dont elle est traitée par tout le monde : on la décrit comme une femme simplette, douce, une simple fonction de femme qui doit répondre aux caprices de ses enfants et aux besoins de son mari. Plus généralement on reste admiratif devant la mise en scène implacable de Bong Joon Ho, de la mise en place des situations aux détails distillés dans chaque plan -que l’on pourrait analyser pendant des heures ; la scène miroir avec l’averse de pluie dont on reparlera certainement à l’avenir ; la fluidité avec laquelle il passe d’un genre à l’autre. Il ne nous laisse jamais respirer, jusqu’à un final d’une intensité incroyable pour ponctuer un film qui apparaît comme une véritable leçon de cinéma.
Le maître Bong Joon Ho livre une nouvelle leçon de cinéma. Un savant mélange des genres où sa malice donne vie à une lutte des classes sans pareil. La misère est monstrueuse, la richesse est inhumaine, la violence des inégalités n’a d’équivalent que la rage de ceux qui n’ont rien. Exaltant, terrifiant, Parasite est unique. Culte ? Le temps le dira, mais il est assurément difficile de rester insensible à cette oeuvre qui manipule ses personnages pour en faire le symbole d’une société à l’agonie.
Que dire de plus que merci.
Merci d’avoir réussi à mettre des mots là ou je n’en trouvais pas, merci d’avoir réussi à résumer si bien l’exactitude et la puissance de ce film.
Tout de ce film est d’une justesse sans pareil, tout y est beau et sale, tout y est cadré et décadré. Comme tu le dis toi même, le mélange des genres est terriblement bien maîtrisé, en tout point.
J’espère totalement que ce film ne restera pas comme la plus part des palmes d’or des films que l’on pense culte, et qui s’efface avec le temps. Sur les 20 dernières années, combien en retient-on vraiment ? 5? Peut-être 6? Non ce n’est pas possible que cela arrive pour Parasite tant tout y est maîtrisé. Même si certaines scènes peuvent paraître fantasque, Bong Joon-ho arrive a insuffler à l’entièreté de son film une cohérence sans nom, dont-il n’y a pas d’intrus à trouver.
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Merci à toi pour ton commentaire :D
Je pense que les Palme d’Or à Cannes ont souvent souffert de l’image renvoyée par le festival : hautain, hors-sol, quelque chose qui s’adresse à une pseudo-élite. C’est pas toujours vrai, le cinéma de Malick (récompensé avec Tree of Life) ou celui de Ken Loach (Moi, Daniel Blake) sont très accessibles, malgré leur image. Mais Parasite tranche un peu avec ça, on a du cinéma de genre assez curieux et qui n’exclut pas les spectateurs (Bong Joon Ho fait du cinéma populaire, il ne s’en cache pas, et en Corée du Sud ses films monopolisent le box office), alors est-ce que ça durera dans le temps ? Je sais pas, néanmoins il a toutes les qualités pour qu’on retienne beaucoup de choses. C’est un peu pareil pour Une affaire de famille de Kore-Eda (Palme d’or l’année dernière) d’ailleurs, qui a des similitudes avec Parasite.
En tout cas ce que j’ai ressenti devant ce Parasite, l’espèce d’exaltation devant un vrai grand moment de cinéma (indépendamment de son histoire et de ce qu’il raconte), je l’avais pas vécu devant un film coréen depuis Memories of Murder et JSA. Je sais pas si Parasite sera culte pour le commun des mortels, mais pour moi, j’attends déjà avec une énorme impatience qu’il sorte en bluray pour le voir encore et encore haha.
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Ahah, je suis à côté de la plaque. Pour moi, Parasite est avant tout un manga (que je conseille fortement d’ailleurs). Puis j’ai réalisé, à force de le croiser sur ma TL, que c’était le film du moment ! Novice dans le cinéma coréen, et n’ayant pas vu le film, je ne peux pas rajouter grande chose d’intéressant à ton article. Néanmoins, merci pour ta critique comme toujours éclairante !
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Haha, en effet. Je connais pas le manga en question mais à en juger par ce que j’en vois vite fait dans une recherche, c’est pas du tout le même genre que ce Parasite :D
Merci à toi !
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Une « leçon de cinéma » en effet, à la manière si particulière de Bong. Ce n’est pas mon film préféré du réalisateur (je préfère Memories of murder et The Host), mais quel film néanmoins, qui partage l’espace à l’écran pour mieux parler de notre réalité ! Une palme d’or archi-méritée qui consacre un grand réalisateur. J’ai également chroniqué le film ici : https://newstrum.wordpress.com/2019/06/09/parasite-de-bong-joon-ho-discours-dans-un-souterrain/
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J’ai vu ce film quand il est sorti en salles l’année dernière, et quelle claque ! Je me rappelle qu’en voyant l’affiche (je n’avais pas vu la bande annonce, ni lu de synopsis) Parasite m’avait paru prometteur, et il ne m’a pas déçue. Tant d’un point de vue de fond que de forme, ce film est remarquable.
Je l’ai revu il n’y a pas longtemps et mon avis n’a pas changé. J’aime particulièrement l’espièglerie de Bong Joon Ho qui parvient à dénoncer la misère tout en nous faisant rire. Et puis le rythme et la construction du récit qui attrapent le spectateur pour ne pas le relâcher (comme tu l’as justement souligné) sont juste magistrales.
Merci pour cette critique qui résume très bien les idées du film :)
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