Le 25 avril dernier sortait en France la trilogie Black Summer – No Hero – Supergod de Warren Ellis aux éditions Hi Comics. L’auteur anglais livre avec ces trois récits des comics amère sur le super-héroïsme et ses conséquences. Loin des icônes de Marvel et DC, Warren Ellis raconte des héros quelconques, tantôt avides de pouvoir, tantôt prêts à tout sacrifier pour un peu de reconnaissance.
Le recueil présenté par Hi Comics nous amène la triptyque de Warren Ellis autour de la problématique du super-héroïsme. Le premier, nommée Black Summer, raconte un monde où une équipe de super-héros, après avoir protégé les Etats-Unis pendant des décennies, va plonger le pays dans le chaos alors que l’un de ses membres assassine le Président. Peu importe ses méthodes, il est convaincu de faire le bien quitte à ce que ses décisions s’imposent de manière autoritaire aux citoyens.
Le deuxième est No Hero, à une époque où une drogue permet d’obtenir des super-pouvoirs. De quoi attirer l’œil de nombreux jeunes en quête de sens, et parmi eux se trouve un jeune homme prêt à tout pour être considéré comme un super-héros.
Enfin, le troisième et dernier comics que l’on retrouve ici est Supergod, un récit terrible où les nations ont tout fait pour créer leurs propres super-héros, devenus depuis quasiment des dieux. Dans un monde en ruines, un scientifique raconte cette lente descente aux enfers d’un monde qui n’a jamais trouvé la réponse à cette question : la fin justifie-t-elle les moyens ?
Le procès du super-héroïsme
A l’heure où les super-héros sont plus présents que jamais dans la culture, notamment au cinéma et à la télévision, cette triptyque est bienvenue tant elle porte un regard intéressant sur le phénomène. Si on trouve inévitablement dans les récits de Warren Ellis une véritable critique de la société et de la politique, pour tout ce qu’elle représente, ce qui m’a profondément intéressé c’est ce regard qu’il porte sur le super-héroïsme et ses conséquences.
Black Summer est probablement le récit le plus proche de ce que l’on connaît habituellement dans les comics de super-héros. On parle là d’une équipe de super-héros extrêmement populaire et qui depuis longtemps aide les Etats-Unis, et le monde, à faire face à de nombreuses menaces. Mais là où le récit se détache c’est au moment où ce pouvoir, qui se trouve entre les mains d’une poignée d’êtres humains, va provoquer une véritable catastrophe : après des décennies à aider le pays et ses gouvernements successifs, les « Sept Armes » vont basculer dans le camp de l’ennemi alors que leur leader John Horus assassine le Président des Etats-Unis. Convaincu du bien fondé de son action tant il connaît les magouilles et la corruption qui gangrènent le gouvernement, avec des intentions extrêmement louables pour le pays, il apparaît toutefois comme un terroriste et devient l’homme à abattre en compagnie du reste de son équipe (qui ne savait rien de son projet). Et là se pose une question fondamentale pour tout le monde : le super-héros peut-il être juge et bourreau ? Le super-héros, doté de pouvoirs extraordinaires et sans commune mesure avec les forces militaires, devient un véritable Dieu capable de décider de ce qui est bon et ce qui ne l’est pas. Pour autant, son action va plonger le pays dans un chaos terrible alors qu’il pensait que ses bonnes actions suffiraient à le sauver, et le remettre sur le droit chemin.
Cette surpuissance des héros et leur influence est finalement une idée centrale de la triptyque de Warren Ellis. Avec ses récits particulièrement violents, il dépeint des sociétés affublées de tous les vices, prêtes à sombrer par avidité. Supergod, en ce sens, en est le meilleur représentant alors qu’il nous raconte des projets scientifiques foireux qui ont provoqué la création de nouveaux « Dieux ». L’humain apparaît comme avide de reconnaissance mais aussi de sens, à l’heure où ses Dieux l’abandonnent, ils veulent inconsciemment en ériger de nouveaux et cela provoque la création de sur-hommes qui ont le pouvoir de vie et de mort. Cette histoire est d’ailleurs probablement ma préférée du lot. En effet, ici on se place dans une société en ruines, en pleine guerre mondiale alors que des héros, ou des « Dieux », livrent une guerre sans merci, et c’est dans ce contexte qu’un scientifique raconte à quel moment l’humanité a dévié à cause de ses propres vices. C’est une vision qui dépasse largement le contexte des super-héros et s’attaque véritablement à l’humanité, la religion, son désir de reconnaissance et rêve d’un pouvoir supérieur qui pourrait les rassurer. Supergod est une oeuvre terrifiante et superbement racontée par Warren Ellis, avec les dessins de Garrie Gastonny qui apportent un vrai plus et s’appuient avec justesse sur l’iconographie religieuse.
No Hero de son côté est le récit le plus proche de notre époque, comme un rappel qu’un « super-héros » ne sera pas toujours l’idole bienveillante que nous racontent Marvel et DC Comics. Ici on découvre un homme quelconque, sans pouvoirs ni rien, qui va tout sacrifier pour devenir un héros. Le prix à payé est extrêmement élevé et les héros qu’il admirait ne sont pas vraiment aussi parfaits qu’il l’imaginait, mais et alors : l’objectif de l’Homme n’est que de se sentir supérieur et fort.
Une vision unique
La trilogie de Warren Ellis offre donc une vision très dure du super-héroïsme, et plus que cela de l’Homme et toutes ses dérives. Le super-héroïsme n’est plus une qualité mais une tare, c’est un poids à supporter pour des humains qui n’ont rien de spécial au fond d’eux et qui parfois, comme tous les humains, prennent des décisions extrêmement douteuses. La trilogie résonne évidemment sans mal à notre époque et la voir ressortir aujourd’hui est intéressant car les super-héros n’ont jamais été aussi présents dans la culture pop. Ils sont extrêmement nombreux et inspirent énormément de jeunes, pourtant Marvel et DC, qui en ont créé la plupart, remettent très rarement en cause ces personnages qui n’ont plus grand chose d’humain. Ils sont souvent infaillibles (malgré quelques récits ici et là qui vont les faire sombrer pour différentes raisons) et incarnent le plus souvent des motifs d’espoir et de rassemblement. Warren Ellis lui porte un regard plus sombre sur un phénomène qui n’est finalement que le reflet de la société. Si Marvel voit en ses héros les rêves et espoirs des lecteurs, Warren Ellis voit en ces héros la projection de tous les maux de la société. Ils ne sont pas infaillibles, et même lorsqu’ils prennent des décisions pour le bien commun, celles-ci peuvent s’avérer désastreuses (comme dans Black Summer).
Avec le trait marqué et violent des dessins de Juan José Ryp, et plein de symboles de ceux de Garrie Gastonny, Warren Ellis livre une triptyque géniale sur ce que représentent les super-héros dans nos sociétés. Qu’ils soient fondamentalement bons mais qu’ils concentrent bien trop de pouvoirs, qu’ils ne recherchent que la reconnaissance ou qu’ils soient devenus des Dieux, les héros ne sont pas toujours bons à prendre pour une humanité qui se cherche constamment. Le travail de l’auteur anglais est excellent et offre une vision intéressante d’un phénomène qui est, plus que jamais, présent dans nos contrées.
Critique réalisée à partir d’un exemplaire envoyé par les éditions Hi Comics.
Ça a l’air cool, et ça change de ce qu’on voit d’habitude ! Je laisserai peut-être une chance à Black Summer ^^. Surtout si la moralité n’est pas la même que celle prônée par DC et Marvel. Des héros qui ne sont pas parfaits, capables de « pécher », des héros loin d’être irréprochables donc (ce qui n’est pas sans nous rappeler Watchmen d’ailleurs).
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Ah oui on y voit effectivement du Watchmen, Alan Moore et Warren Ellis c’est des influences assez proches. Cela dit ils abordent le sujet différemment, notamment parce que Watchmen est très lié à l’époque de Nixon.
Cela dit si t’aimes Watchmen ça fait assez peu de doute que tu aimeras cette trilogie. Même si plus violent je trouve.
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