Sharp Objects – Saison 1, l’enfer c’est les autres

Un an après l’excellent Big Littles Lies, le réalisateur Jean-Marc Vallée propose une nouvelle mini-série pour HBO avec Sharp Objects. Diffusé dans nos contrées par OCS, ce thriller adapté d’un roman de Gillian Flynn nous installe dans une petite bourgade américaine où le personnage incarné par Amy Adams est en prise avec ses vieux démons.

Camille Preaker (Amy Adams) est une journaliste spécialisée dans les affaires criminelles. Dans sa ville natale de Wind Gap, Missouri, un meurtre est perpétré sur une jeune fille et une autre a disparue, la journaliste va donc devoir se rendre sur place et retrouver sa famille, ses amis, qui n’ont cessé de lui rendre la vie difficile dans sa jeunesse. Une véritable introspection pour elle alors qu’elle tentait d’oublier un passé trouble et douloureux.

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Tumbling Lights

Jean-Marc Vallée, à l’origine d’excellents films (dont le formidable Dallas Buyers Club) s’essayait à nouveau au petit écran en 2017 avec Big Little Lies, un gros succès critique qui a permis au réalisateur et à la série d’être récompensés aux cérémonies de fin d’année. Mais le réalisateur québécois marquait aussi son empreinte, son propre style, que l’on retrouve aujourd’hui dans Sharp Objects.
Je pense à cette tension permanente, à ces petits secrets capables de bouleverser toute une communauté et ces faux-semblants qui sont légion. Les relations entre les personnages de Sharp Objects, qui semblent tous avoir quelque chose à se reprocher, rappellent beaucoup Big Little Lies, mais sur un ton bien plus violent. Parce qu’ici on parle de meurtre, de disparitions et de corps retrouvés mutilés, le tout alors qu’une journaliste tente de faire la lumière sur l’affaire qui touche la ville qui l’a vue grandir. Son retour est vu d’un mauvais oeil, elle est l’engeance d’un métier qui a perdu ses lettres de noblesses et qui n’est, pour les rednecks qui composent la petite bourgade, que le symbole que d’un monde qui ne les aime pas et qui les rejette. On est évidemment dans une Amérique très actuelle, le journaliste n’apparaît que comme un rat qui empêcherait les honnêtes gens de faire leur boulot, comme une personne non-fréquentable qui serait à l’origine de tous les maux de la société. C’est ce sous-texte qui donne une force intéressante à la série, en voyant une enfant du village être mise au ban de la communauté pour ses choix de vie. Son départ était vécu comme une trahison par sa mère, et son retour n’est vu que comme une vengeance.

L’enquête policière autour de ces meurtres n’a pas véritablement d’intérêt, enfin, plus précisément, elle n’est qu’une intrigue secondaire. La série trouve sa force dans la construction et l’exposition de ses personnages, un village apparemment paisible est en réalité fait que de ressentiment, de haine et de mensonges. Les meurtres et disparitions sont l’expression de tous les troubles d’une communauté où personne ne se supporte vraiment, tandis que le soupçon s’invite à tous les étages de la société. Chaque personnage intervenant dans l’enquête y va de sa petite vie, de ses secrets et de ses craintes, apporte un peu plus de malaise à une ambiance que le réalisateur s’attache à installer dès les premiers instants. La ville est poisseuse, sale, les regards inspirent la peur et la forêt rappelle les plus grands films d’horreur. Ce thriller s’amuse des codes et nous emmène au plus profond d’une histoire d’une violence terrible, entre vies brisées et auto-destruction, l’héroïne n’est qu’un pion dans une petite bourgade qui détruit ses habitants alors que l’on découvre au fil des épisodes des flashbacks sur sa vie d’avant, à l’époque où elle était membre de cette communauté. Une héroïne alcoolique véritablement incarnée, comme possédée par Amy Adams. Actrice que j’affectionne, qui là encore parvient à surprendre en se glissant dans un personnage difficile à manœuvrer, mais avec toujours cette faculté à s’en sortir à merveilles.
Mais c’est aussi les dialogues qui donnent à Sharp Objects une saveur particulière, la saveur de quelques échanges où les indices sont lâchés l’air de rien, où une simple phrase nous fera comprendre toute la violence qui anime les vies des habitants de Wind Gap. Jean-Marc Vallée excelle dans la mise en scène de toutes ces tranches de vie, comme une forme de normalisation de comportements terribles, un regard étonnamment tendre sur des événements qui sont pourtant terrifiants.

Black Screen

C’est bien ce côté horrifique qui donne à Sharp Objects un style tout à fait singulier. S’il ne s’agit, à aucun moment, d’une série d’horreur, c’est le malaise qu’elle entretient, la tension palpable et sa mise en scène qui rendent la série inquiétante. Mais aussi ses personnages, si je ne peux en dire plus sous peine de gâcher la fin, le dernier épisode, dans ses derniers instants (après les crédits de fin) m’a complètement glacé. Sharp Objects joue avec nos émotions et Jean-Marc Vallée, avec son directeur photo Yves Bélanger (qui a aussi travaillé sur Dallas Buyers Club et Demolition, ou même Laurence Anyways de Xavier Dolan), parviennent à utiliser l’image pour donner à la série ce petit côté horrifique. Des décors à la manière dont les émotions sont capturées, la série est un véritable plaisir pour les yeux et s’installe sans mal parmi les meilleures productions télévisuelles. Si l’histoire ne parlera pas à tous, il est difficile de ne pas considérer sa réalisation et sa photographie comme ce qui se fait de mieux de nos jours. Et c’est la plus grande force de Jean-Marc Vallée, et ce qui lui a valu de nombreuses louanges. Sa manière d’aborder les situations avec vérité pose les spectateurs à proximité de l’intrigue, comme si ces personnes en faisaient partie.
Et enfin, à l’image de ses précédentes œuvres, le réalisateur québécois s’appuie aussi sur une bande son formidable. Au-delà des musiques d’ambiance, je pense notamment aux morceaux choisis pour le générique d’ouverture. Différente à chaque épisode, la musique donne chaque fois le ton du jour et participent grandement à l’ambiance dans laquelle on s’installe chaque semaine.

Sharp Objects n’a rien d’une surprise. L’excellent Jean-Marc Vallée, associé à la géniale Amy Adams, difficile d’espérer autre chose qu’une très grande série. Et c’est ce qui nous a été servi, au-delà de l’intrigue policière qui sort tout droit de l’imagination de l’autrice Gillian Flynn, c’est la mise en scène du québécois et l’interprétation de Amy Adams qui donnent à Sharp Objects tout son intérêt. La mini-série, en huit épisodes, nous raconte avec brio une Amérique profonde où les faux-semblants sont le quotidien, où la violence se trouve à tous les niveaux d’une société sans avenir, le tout sur fond d’une intrigue qui nous emmène au plus profond de l’âme de son héroïne.

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