Série de comics de science-fiction créé par Corinna Bechko et Gabriel Hardman, Invisible Republic nous revient après un premier tome très prometteur. Cette histoire de reporter en quête de révélations nous emmène vers une dure réalité, celle de la violence et de la survie. Une suite intéressante et disponible depuis peu aux éditions Hi Comics.
Le reporter déchu Babbs se retrouve embarqué dans une situation qui le dépasse, pris entre deux feux entre le régime qui veut sa peau et les restes de révolutionnaires en quête de vérité. Le journal de Maia, la cousine de l’ancien dictateur, qu’il a désormais en sa possession attire les foules, et cela va le mener jusqu’à cette fameuse personne. L’occasion pour elle de se remémorer les longues semaines où elle a vue, peu à peu, son cousin tomber dans une furieuse quête de pouvoir.

Un régime renversé
Le premier tome de Invisible Republic nous emmenait dans un univers aussi mystérieux que crade, une vague histoire de lutte de pouvoir où l’humanité n’a fait que ce qu’elle fait de mieux depuis toujours. Colonisation d’une lune et mise en place d’un régime tyrannique, le révolutionnaire était devenu l’oppresseur, et sa narration à deux niveaux entre temps présent et flashbacks donnait à ses pages un rythme formidable. On retrouve ici cette même structure, quarante deux années séparent les deux histoires que l’on suit et pourtant leur lien est puissant. D’un côté on vit l’après-McBride, le nom de ce révolutionnaire devenu dictateur, dont il a payé le prix de son régime avec sa propre vie. De l’autre, on se place à une époque où cet homme n’était qu’une figure mise en avant par la révolution suite à un concours de circonstances, et au travers des yeux de Maia, sa cousine, on le voit peu à peu sombrer dans la peau de celui qu’il ne deviendra que plus tard. Corinna Bechko et Gabriel Hardman jouent avec beaucoup de finesse sur cette manière de raconter les événements en se plaçant en amont et en aval, mais jamais au moment même de ces histoires. Tout n’est vécu qu’au travers des récits de ceux qui ont vécu la dictature de McBride, et c’est avec son passé que l’on découvre peu à peu qui il était.
Ce deuxième tome, qui regroupe les chapitres 6 à 10, plus rythmé que jamais, met Maia au centre des récits. La cousine du dictateur apparaît en effet survivante de ce temps, cachée et énigmatique alors qu’elle tente de récupérer son journal intime des mains du reporter, héros malgré lui d’une histoire qui le dépasse. Bien sûr l’autrice insiste sur l’importance de ces écrits : une importance sentimentale pour Maia, mais aussi un moyen de faire trembler des autorités qui tentent de se remettre sur pieds après la chute de McBride. Ce jeu de cache-cache révèle en réalité les dissensions politiques qui touchent l’humanité depuis qu’elle s’est étendue vers la lune Avalon, entre lutte des classes et dérives totalitaires, Invisible Republic nous dévoile finalement un univers assez classique pour le genre de la dystopie. Un genre qui peine à se renouveler, pourtant l’œuvre de Corinna Bechko tire sa force de sa maîtrise du genre. Les doutes des simili-révolutionnaires, la complaisance des plus faibles et la faiblesse des plus forts, l’autrice tacle le genre en lui offrant une vision plus moderne qui redistribue les cartes. Rien n’est évident dans Invisible Republic, et cette ambiguïté permanente sur les intentions des différences protagonistes n’en est que plus accentuée dans un tome qui fait la part belle à l’action.

Une femme effacée
Car il s’en passe des choses, dans un monde post-dictatorial qui voit ses rêves voler en éclats alors que le décès du dictateur ne mène qu’à de nouvelles luttes de pouvoirs parmi ceux qui détenaient déjà tous les privilèges. Terrorisme, traque sanglante, les flashbacks et récits sur la vie de cette femme que l’histoire a oubliée apparaissent comme des moments de répit entre deux violentes oppositions. Des investigations du premier tome, on passe à la réalité de l’oppression, la tentative de faire taire les opposants et l’identification des véritables menaces. La confiance devient rare, une chose que l’on n’accorde pratiquement jamais alors que les trahisons sont légion. Mais la force de ce deuxième tome réside dans la manière qu’a Gabriel Hardman de mettre en scène ces récits, la force des images et la composition de ses scènes. Celle où Maia dévoile au reporter et à Woronov la cellule où elle a écrit son journal, ses mémoires, est d’ailleurs un parfait exemple de cela. D’une simple planche le dessinateur traduit la violence et la surprise qui s’accapare des protagonistes, la tristesse de Maia et la réponse à de nombreuses questions que l’on se posait. D’une simple page, on comprend ce qui a pu se jouer quelques années plus tôt. Cette narration par la mise en scène est quelque chose que j’affectionne tout particulièrement, et Invisible Republic en est définitivement l’un des meilleurs élèves.
Corinna Bechko et Gabriel Hardman peuvent se targuer d’avoir mis sur pieds une excellente oeuvre d’anticipation. Le premier tome séduisait grâce à cette enquête journaliste qui nous était racontée, dans un univers difficile à cerner au premier abord et qui pourtant fait sans mal écho à l’histoire de l’humanité. Le deuxième tome prend le temps d’exposer son univers, révéler sa nature et confondre les notions de bien et de mal dans une furieuse envie de raconter la chute de l’humanité, plus que celle d’un régime. Une lecture des plus sympathiques, et il me tarde de lire la suite.
Critique réalisée à partir d’un exemplaire envoyé par les éditions Bragelonne – Hi Comics.