Aleš Kot, auteur de bon nombre comics se livre à l’exercice de la science-fiction avec Generation Gone. Accompagné par André Lima Araújo aux dessins, ils nous racontent la colère d’une génération, celle des « millenials », face à un système qui les maltraite chaque jour.
En 2020 quelque part en Amérique, trois hackers adolescents abandonnés par une société qui ne se soucie pas d’eux, décident de réaliser le casse du siècle en dérobant l’argent d’une banque en s’infiltrant sur son réseau. Mais les choses vont mal tourner et ils vont se retrouver dotés de pouvoirs… Qu’ils ne souhaitent pas mettre au service d’un gouvernement qui les a oubliés.
Le problème des millenials
Generation Gone est un véritable cri du cœur : celui d’un auteur de la génération des « millenials » ou « génération Y » en France. Ces gens nés entre 1980 et 2000 qui n’ont pas bénéficié de l’opulence et du confort économique des années 60, et qui n’ont pas participé aux grandes luttes sociétales des années 70 et 80. Des jeunes qui aujourd’hui doivent construire un autre monde avec des problématiques bien différentes : une pauvreté accrue, un accès facilité aux technologies, un chômage conséquent, une grande difficulté à obtenir des postes à responsabilité -qui sont encore vampirisés par l’ancienne génération- ou encore simplement la difficulté à survivre dans un monde qui ignore ses problèmes. On y est tous confronté aujourd’hui, et c’est cette colère, cette haine qui se développe contre les « élites » et les gouvernements que raconte Aleš Kot. Les héros et l’héroïne de cette histoire sont trois jeunes hackers, des adolescent(e)s aux vies déprimantes qui ont déjà fait face aux pires horreurs. L’un a perdu un proche à cause de l’inaction du gouvernement, l’autre voit sa mère mourir à petit feu car le système de santé est inadapté, le dernier est alimenté par une volonté de réussir. Leur « casse » d’une banque ne vise pas simplement à les rendre riche, mais plutôt à reprendre ce que la société leur a confisqué : un avenir. C’est de ça dont il est question dans Generation Gone, la colère de cette génération qui voit son avenir lui filer entre les doigts et qui ne fait que subir les choix de ses aînés.
C’est ce sous-texte qui se révèle très intéressant, couplé à cette histoire de simili-super-héros, ou du moins d’êtres dotés de pouvoirs surhumains. Ces pouvoirs apparaissent alors que les trois sont en train de tenter leur casse, des pouvoirs transmis de manière mystérieuse par un scientifique d’un centre de recherche de l’armée américaine qui semble convaincu de pouvoir créer des surhommes. Les trois hackers sont ses cibles, il est convaincu de leur intelligence et de leur utilité, et il semble avoir bien conscience de ce qu’il va se passer. Quand des millenials qui se sentent trompés par le système depuis leur naissance se retrouvent dotés de super-pouvoirs, ce n’est pas des héros en collants et en latex qui vont émerger : ce sont des jeunes plein de colère qui voient là l’occasion de s’échapper, de faire quelque chose de leur vie, mais aussi de se venger de ceux qui les ont laissés-pour-compte. Sans être d’une finesse extraordinaire, le récit d’Aleš Kot nous emmène au plus près de ce ressentiment de la nouvelle génération, dont je fais partie comme je l’imagine bien des lecteurs(rices) de ce blog, en racontant cette société coupable d’avoir abandonné ses enfants. Très politisé, le récit nous raconte le système de santé américain qui s’est effondré, l’inaction du gouvernement pour l’avenir de ses jeunes et la haine raciale qui gangrène le pays. L’auteur caractérise ses personnages avec justesse et en fait les reflets, les portes-étendards de la génération des millenials, une génération qui va être la première à détenir des pouvoirs surhumains.

Un autre rapport de force
La question de leurs pouvoirs est centrale : créés de toute pièce par un jeune scientifique aux motivations encore floues dans ce premier tome, les trois jeunes vont être invincibles, mais aussi voler dans le cas de la jeune femme. Les super-pouvoirs traduisent la haine qu’ils ressentent et inverse les rôles : les millenials deviennent invincibles, le rapport de force se retourne en leur faveur et ils deviennent une véritable menace pour l’ancienne génération. Au travers d’une violence graphique terrible illustrée par les dessins de André Lima Araújo, c’est la haine et les rêves d’un autre monde qui s’exprime. Parfois « too much », la violence tire toutefois sa source du mal être que tente d’exprimer Aleš Kot, et c’est bien le renversement du rapport de force qui fait de Generation Gone une œuvre très intéressante. D’autant plus que l’auteur raconte aussi une masculinité toxique avec le comportement d’un des personnages avec sa petite amie, manipulateur et autoritaire, qui pense que ses peines lui donnent le droit de la traiter comme moins que rien. On sent l’engagement de l’auteur, et s’il est parfois maladroit dans sa manière d’aborder les différents thèmes de ce premier tome, très dense, il n’en reste pas moins plutôt intelligent dans cette façon de concilier le classique récit de super-héros à des problèmes centraux dans les vies de la génération Y.
Aleš Kot se balade dans son récit tandis que André Lima Araújo met en scène l’histoire avec justesse, le premier tome Generation Gone nous emmène sur un terrain encore trop rarement abordé du mal être et du sentiment d’abandon ressenti par beaucoup de jeunes. Confrontés à un système omnipotent qui leur a arraché leurs vies, l’obtention de pouvoirs surhumains est salvateur et leur permet d’exprimer une haine et un ressentiment qui a été sous-estimé. Avec un grand final inattendu, on est curieux de voir sous quel angle sera abordé le prochain tome et découvrir si, réellement, Generation Gone est capable de traiter le thème des « millenials » sans se limiter à une violence quasi-gratuite.
Critique réalisée à partir d’un exemplaire envoyé par les édition Hi Comics.