Hiroshi Koizumi, Eliot Rahal (Bloodshot, Divinity) et Dike Ruan (Gung-Ho, Spider-Verse) s’essaient à un genre définitivement dans l’air du temps : le cyberpunk. Plus que cela, c’est avec une histoire de vampires que le trio s’illustre dans Bleed Them Dry, un comics des plus charmants sur lequel je tenais à poser quelques mots.
Cette critique a été rédigée suite à un envoi d’un exemplaire par l’éditeur.
« Année 3333. Malgré la méfiance persistante de certains mortels à l’égard des vampires, voilà des siècles que les deux espèces cohabitent pacifiquement. Mais le statu quo est rompu lorsqu’une série de meurtres visant les suceurs de sang frappe la mégalopole d’Asylum. Lancée sur les traces du mystérieux tueur de vampires, l’inspectrice Harper Halloway se retrouve alors au cœur d’un vaste complot qui risque de modifier à jamais le destin de l’humanité, à commencer par le sien… Entre trahisons et effusions de sang, parviendra-t-elle à faire éclater la vérité ? » (Hi Comics)
Paix incertaine
Le cyberpunk alimente plus que jamais l’imagination des auteur·ice·s, avec plus ou moins de réussite, mais s’il y a une chose qu’on ne reprochera pas à Bleed Them Dry, c’est sa capacité à absorber ce type d’univers pour mieux le sublimer. Enfin, c’est un bien grand mot : en 3333 le monde est déprimant, sombre et sans espoirs, dans l’ombre fantastique d’une métropole qui a tout d’une dystopie. Humain·e·s et vampires cohabitent depuis des siècles, mais la série de meurtre vient remettre en cause une paix qui était de toute manière incarnée par une relation verticale au profit d’un groupe, jusqu’à ce qu’un bout d’histoire oublié finisse par être redécouvert. Le comics propose surtout une narration intense, qui va droit au but, sans trop de fioritures mais qui en quelques pages parvient à installer un univers vaste qui donne terriblement envie de s’y plonger. Malin sur son utilisation du cyberpunk, parfois plutôt fin et souvent pertinent, c’est un récit d’action qui n’a certainement pas de mal à séduire les amateur·ice·s d’histoires de vampires, associé à des visuels inspirés du Japon contemporain.
Plus encore, j’ai apprécié la qualité de l’écriture des personnages, notamment l’héroïne Harper Halloway, une flic qui se retrouve vite à se battre contre une institution qui la jette en pâture pour garder la face. Elle incarne des valeurs en contradiction totale avec ce que représente l’institution, et peu à peu l’histoire dévoile des enjeux multiples, notamment sur la véritable nature des vampires et leur place dans ce monde qui tente de se convaincre de certaines choses. Hiroshi Koizumi et Eliot Rahal font preuve d’une belle créativité avec leurs personnages, parvenant à s’extirper des stéréotypes inhérents au genre en offrant plusieurs lectures sur des personnalités variées qui incarnent cet univers désabusé, en proie au doute au moment où la paix difficilement acquise est remise en cause. La narration en est d’autant plus intense que l’action y est prégnante et particulièrement réussie, tant dans sa mise en scène que la manière dont elle est amenée au fil des cases.

Inspirations réelles
Qui plus est, ce monde est finalement un reflet assez intéressant du nôtre, notamment lorsque l’histoire commence à parler des dérives de l’Etat et de sa police, ses violences et le besoin de la réformer. Et c’est d’autant plus malin que Asylum, la mégalopole qui accueille la population après une événement destructeur, est une société diverse qui n’a pas échappé à la domination d’un petit groupe. Des privilégié·e·s que la police semble servir allègrement et protège à tout prix, quitte à jeter l’opprobre sur une flic qui n’a pas fermé les yeux quand il le fallait pour soutenir celles et ceux qui incarnent toute la violence d’Etat.
Bleed Them Dry est un one shot réussi, avec son lot de bonnes idées et sa manière souvent pertinente de mélanger le réel au fantastique. On y découvre un univers vaste, incarné par des personnages à l’écriture ciselée et une action rondement menée, conservant d’un bout à l’autre une forte intensité qui empêche de poser le comics tant que l’on n’est pas encore à la dernière page. Comme quoi, même un genre éculé peut encore surprendre et séduire.