L’idée de voir un gorille jouer au ping pong ne m’a jamais traversé l’esprit, pourtant il faut croire que c’était possible selon l’âme folle du mangaka COMIC Jackson, qui s’est lancé en 2019 dans une série de mangas (achevée en deux tomes) qui imagine la scène. Au-delà du comique de situation impliquant un gorille qui tient péniblement une minuscule raquette de tennis de table, il faut bien Ping Kong tente de raconter en deux tomes une histoire de de dépassement de soi, où deux sœurs font ce qu’elles peuvent pour vivre de leur passion.
Cet article a été écrit suite à l’envoi d’exemplaires par son éditeur.
« Kotomi et Takumi sont deux sœurs qui partagent une même passion : le ping-pong ! Hélas, si Kotomi brille par son talent en la matière, il n’en va pas de même pour Takumi. À mesure que l’écart se creuse, les jumelles s’éloignent l’une de l’autre, jusqu’à ce qu’un jour, Takumi prenne une décision lourde de conséquences, qui va bouleverser leurs vies à jamais. La voilà transformée en gorille ! Persuadée d’être à l’origine du problème, Kotomi est déterminée à se racheter. Et, pour ce faire, elle compte bien les emmener sur la première marche du podium du championnat national de tennis de table ! Mais vu l’état de Takumi, ce ne sera pas une mince affaire… » (Mangetsu)
Initiation à l’absurde
Transformée en gorille, la sœur de Kotomi n’est théoriquement plus en capacité de jouer au tennis de table, pourtant, les deux vont bien former un duo et participer à des matchs en double. Dès ses premiers instants, Ping Kong nous transporte dans un univers absurde où l’auteur parle de sport avec beaucoup de dérision : les duels improbables et surjoués, les gymnases détruits suite à un coup surpuissant de Takumi le gorille, les adversaires qui ne s’étonnent pas toujours d’avoir à affronter un gorille… Rien ne semble sérieux, alors que l’auteur multiplie les situations cocasses et les expressions exagérées sur des personnages qui ne vivent que pour le tennis de table, quitte à débattre des heures sur le bien fondé de la participation d’un animal à un match officiel.
Il se déroule pourtant en toile de fond deux éléments plus sérieux : le « pardon » que recherche Kotomi, elle qui croît avoir brisé les rêves de sa sœur devenue gorille, ainsi qu’une sorte de quête initiatique qui fait « grandir » Takumi, le gorille. En effet, Kotomi a toujours eu un talent démesuré pour le tennis de table mais n’en a pas toujours été véritablement passionnée, tandis que sa sœur n’a cessé de s’entraîner dur, avec passion, sans avoir le même talent. Une situation vécue comme une injustice, et cette quête qui la transforme en gorille lui offre une sorte d’arc de rédemption, un moyen de réapprendre à jouer et à pardonner. Ce double sens apporte à l’histoire un truc plutôt touchant, tout dans l’émotion, même si ça se cache derrière l’humour et l’absurde. C’est plutôt pas mal réussi au sens où le mangaka gère plutôt bien la mise en scène du gorille et la manière dont Takumi apprend dans cette forme là, jusqu’à ce qu’elle puisse s’émanciper d’une rage qui lui faisait du tort. Cela est toutefois à double tranchant, car si le manga gagne en émotion, le deuxième et dernier tome perd en humour, ce qui offre finalement deux tomes très opposés, pour le meilleur souvent et pour le pire parfois.

Passage de témoin
C’est un manga plutôt malin quand il aborde des questions autour de l’acceptation de soi, de ses limites, de ses torts mais aussi de ses réussites, alors qu’il met en scène une joueuse dont la rage passe par la transformation en gorille. Elle n’a jamais vraiment accepté d’être la seconde, mais n’a jamais vraiment su non plus se reconnaître ses propres réussites, et ce discours donne un côté un peu feel good à l’œuvre qui insiste dans son deuxième tome sur les petites réussites du quotidien, des petites réussites qui font progresser et passer outre les mauvais moments. Visuellement, le manga est plutôt inventif, la mise en scène des matchs est cool et il y a une vraie faculté à montrer les émotions du gorille.
Curiosité comme seuls les mangas peuvent nous en offrir, Ping Kong cache derrière son humour absurde et ses situations abracadabrantesques l’évolution d’une relation entre deux sœurs qui ont tout à réapprendre. Le gorille incarne un besoin de s’accepter et de s’affirmer, et plus généralement, c’est le pardon qui est au centre d’un récit pas irréprochable, parfois pris en défaut à cause d’un humour trop lourd, mais qui a le mérite de ne pas s’étendre au-delà de deux tomes qui se suffisent à eux-mêmes.