Je dois bien l’avouer, je suis encore néophyte en ce qui concerne le cinéma indien. Il était toutefois difficile de passer à côté de RRR, cet étonnant phénomène critique qui s’est attiré les louanges de nombreuses personnes à sa sortie en salles en mars dernier et qui, malgré sa distribution très restreinte, a su faire du bruit sur les réseaux sociaux. C’est avec une énorme curiosité que j’y ai été, notamment parce que l’un des précédents films de son réalisateur S. S. Rajamouli (La Légende de Baahubali) m’a séduit. Et quelle aventure !
« À l’époque coloniale, en Inde, les anglais enlèvent une jeune fille d’une communauté tribale. Mais ce qu’ils ignorent, c’est que cette tribu a un protecteur : Bheem. Peut-être que soleil ne se couche jamais sur l’empire britannique. Mais la force est du coté des justes. »

Fraternité
RRR, c’est une gigantesque fresque anti-colonialiste. Prenant place dans les années 1920 alors que l’Inde commence à se révolter face au colon britannique, le film raconte deux hommes aux destins croisés. Raju (incarné par Ram Charan) est un policier à la solde du pouvoir britannique, prêt à tout pour monter en grade et devenir officier. En face de lui, Bheem (joué par N. T. Rama Rao Jr.) vient d’un village duquel une petite fille a été enlevée par des britanniques, il part ainsi vers la capitale déterminé à la retrouver et la ramener auprès des siens. Si tout les oppose dans leurs fonctions au sein d’une société profondément inégalitaire où les britanniques n’accordent aucun respect aux Indiens, ne leur reconnaissant aucun droit, mis à part aux policiers qui les protègent, les deux hommes vont pourtant finir par se rapprocher et devenir de véritables frères. C’est une histoire de fraternité assez incroyable où les deux hommes se lient d’une amitié formidable, se protégeant l’un et l’autre, bien que Raju ne sache pas d’où vient Bheem et ne réalisant donc pas, au début, qu’il est censé être son ennemi. Cela occasionne quelques très belles scènes, notamment une scène musicale en particulier qui marquera forcément les esprits des personnes qui verront le film, mais aussi d’autres moments plus épiques où les deux allient leurs forces face à des situations parfois désespérées.
Il y a une énergie folle qui se dégage du film, un long métrage qui se dépense sans compter, entre son action survoltée et sans limites aux scènes musicales hyper énergiques, en passant par le caractère dramatique de certaines scènes. C’est un film qui ne s’impose aucune limite, qui déborde de sincérité et de générosité. Une vraie bonne surprise à un moment où le grand spectacle, au cinéma, est souvent résumé aux blockbusters hollywoodiens. Si j’en suis aussi client, il est terriblement bon de voir un spectacle auquel on est moins habitué·e·s, la faute à une distribution de blockbusters indiens qui est plutôt confidentielle et souvent limitée aux salles parisiennes. Pourtant RRR a énormément à offrir, dans un film fleuve de trois heures où le récit ne baisse jamais d’intensité, faisant passer les spectateur·ice·s par de nombreux états avant un final grandiloquent qui rend hommage autant à l’histoire de celles et ceux qui ont combattu la colonisation, que les personnes qui tentent de célébrer des valeurs de rassemblement à l’ère contemporaine où l’Inde, malheureusement, souffre de divisions et d’oppressions contre certaines minorités (dont les musulman·e·s, notamment, qui sont représenté·e·s à l’écran comme des soutiens de la libération). La dimension politique du film est aussi forte que sa mise en scène, assumée, et pleinement défendue par un duo d’acteurs fantastique qui excelle d’un bout à l’autre d ufilm.

Quête de liberté
S. S. Rajamouli (qui a déjà montré son talent pour les blockbusters dans les deux Baahubali) signe là peut-être son plus grand film, le plus abouti, fort d’une mise en scène qui met en valeur le talent de son duo d’acteurs, capables de tout dans un film qui ne laisse aucune seconde de répit. Un grand moment de virtuosité pour un cinéaste qui maîtrise autant ses scènes musicales, primordiales, que ses scènes d’action à la mise en scène épique, ou ses moments d’émotion où se fait la caractérisation de personnages qui sont un peu plus que les tas de muscles qu’ils incarnent au tout début. Pour magnifier le tout, on voit des images d’une beauté à couper le souffle, avec une véritable variété d’ambiances, de couleurs et de tons, qui montrent la richesse d’une époque de regain d’espoir pour un peuple qui allait obtenir sa libération grâce à la révolte.
Il y a quelque chose d’envoûtant dans RRR, un film qui raconte avec tendresse et folie le destin de deux hommes prêts à tout pour sauver les leurs, dans un récit qui déborde d’énergie et ne cesse jamais d’étonner. De ses scènes d’action épiques à la beauté folle de ses scènes musicales, le film de S. S. Rajamouli sait faire le spectacle et se servir des codes des blockbusters pour servir un beau discours politique, au moyen d’un duo de personnages qui s’attachent l’un à l’autre alors que tout les opposes.