Le milieu hospitalier a marqué le monde du manga avec une œuvre en particulier, Blackjack de Osamu Tezuka. Alors forcément, quand les autres s’y essaient, les comparaisons fusent et on en revient souvent au plus grand. Mais cela n’empêche pas certain·e·s de trouver leur voie, comme c’est le cas de Toshiya Higashimoto qui, après le Bateau de Thésée, livre une œuvre surprenante avec Les enfants d’Hippocrate.
Cette critique a été écrite suite à l’envoi d’exemplaires par l’éditeur.
« Le dévouement des professionnels de la santé est-il perçu à sa juste valeur ? Rien n’est moins sûr… Dans une société qui pousse à la rentabilité de la pratique médicale, on ne demande plus aux pédiatres d’aimer les enfants, mais de fournir un service. Et certains parents japonais se comportent en véritables monstres surprotecteurs, exigeant un accès immédiat et illimité aux soins pour leur progéniture. Le mot d’ordre : tout, tout de suite !
Mais il en faut plus pour décourager Maco Suzukake, un jeune praticien en devenir, qui croit en son métier dur comme fer et s’occupe de ses petits patients avec respect, enthousiasme et bonne humeur. Son humanisme lui permettra-t-il d’accomplir les miracles dont ces enfants ont tant besoin ?« (Mangetsu)

Besoin d’humanité
Maco est un médecin pédiatrique tout à fait atypique. Tant par son look que le ton qu’il emploie avec les patient·e·s, il détonne face à d’autres médecins présentés comme plus froids. Et c’est ce qui lui donne un avantage non négligeable au moment de rassurer les patients les plus jeunes, mais aussi leurs parents, qui ont bien souvent le sentiment d’avoir raté quelque chose pour que leur enfant se retrouve dans un état compliqué. En dehors du travail, Maco est aussi un youtubeur raté, qui s’imagine une vie plus palpitante que le quotidien du métro-boulot-dodo, même s’il est attaché aux relations qu’il parvient à entretenir avec les patients et les parents. En tant que praticien, il se révèle même d’une efficacité redoutable, alors qu’il opère à des déductions tout droit sorties d’enquêtes de Sherlock Holmes, où l’auteur le met en scène en train de réfléchir aux nombreux symptômes pour en faire la déduction la plus précise quant à la probable maladie qui touche son ou sa patiente du jour. A certains égards, cela peut même rappeler l’excellent drama coréen Good Doctor, qui a plus tard été adapté en version britannique. Pas vraiment pour son héros, mais plutôt dans la manière de mettre en scène la résolution des cas et la bienveillance qui s’en dégage. Pourtant chaque chapitre raconte un cas extrêmement difficile, avec des enfants atteints par des maladies qui nécessitent une prise en charge urgente. C’est assez difficile, parfois, moralement, de faire face à la violence sociale de certains cas. Pourtant l’auteur recherche toujours un point final plus feel good et positif, ce qui donne dans l’ensemble deux tomes pleins de tendresse.
Cela éclabousse presque de bienveillance, de gentillesse, et c’est un point extrêmement positif. Car Les enfants d’Hippocrate est une lecture super agréable, qui montre certes une facette très idéalisée de l’hôpital et de son personnel, mais l’auteur n’hésite pas non plus à montrer certaines difficultés : les soignant·e·s débordé·e·s, la violence sociale subie par certains enfants, la pauvreté, ou encore la recherche de rentabilité par des directions d’hôpitaux qui ne font pas grand cas des patient·e·s. En toile de fond se raconte enfin la relation conflictuelle entre Maco, son père et son frère, mais également le destin d’une adolescente atteinte de leucémie qui va bouleverser la vie et le quotidien du médecin. C’est vraiment bien écrit, c’est frais et c’est intelligent. Les thématiques déployées permettent d’aborder le monde hospitalier sous plusieurs angles, plus ou moins négatifs, avec un fil rouge qui se dessine déjà et qui donne envie de lire la suite au plus vite.

L’élégance du trait
Je n’ai pas lu Le Bateau de Thésée de Toshiya Higashimoto, mais ce que je note dans Les enfants d’Hippocrate c’est son trait qui est particulièrement fin et élégant, avec des personnages tout de suite identifiables. Cela vient de son étonnante faculté à faire apparaître leurs personnalités et caractères sur leurs visages. On voit par exemple de suite, dès le premier regard, que Maco est empreint de bienveillance mais qu’il lui manque quelque chose pour être heureux, tandis que la joie ou parfois la mélancolie s’échappent du regard d’autres personnages. Des êtres attachants, qu’il s’agisse de Maco ou d’autres rôles plus secondaires, tout le monde joue un bout d’une partition qui ne fait sens qu’une fois rassemblé tout le monde. C’est vraiment étonnant, je ne suis habituellement pas client des récits centrés sur les hôpitaux, notamment pour le côté anxiogène qui peut s’en dégager, mais Les enfants d’Hippocrate parvient à passer outre avec un ton inattendu.
En trouvant le bon équilibre entre les situations dramatiques qui se présentent à son héros et la bienveillance qu’il en tire, Toshiya Higashimoto donne aux Enfants d’Hippocrate un ton agréable qui l’empêche de plonger dans un drame plus mélancolique qui rendrait la lecture difficile. Au contraire, le manga s’avère assez joyeux, en concluant toujours ses grands moments d’émotion sur une note positive qui montre, toujours avec l’optimisme caractéristique de son héros, que le bonheur finit souvent par balayer les difficultés. C’est peut-être naïf à certains moments, mais la bienveillance de l’œuvre fait beaucoup de bien.