Tunnel, l’humanité face au sensationnalisme

Tunnel est un film catastrophe sud-coréen réalisé par Kim Sung Hoon (Hard Day). Avec l’excellente Bae Doona (Sense8) en tête d’affiche, il adapte le roman éponyme de So Jae Won et plonge le spectateur dans les gravats d’un tunnel effondré. Entre critique de la société et codes du film catastrophe, le réalisateur réussit son numéro d’équilibriste et offre là un excellent film.

Lee Jung Soo (Ha Jung Woo) rentre du travail avec un gâteau pour l’anniversaire de sa fille. Alors qu’il est encore loin de chez lui, il amorce son entrée dans un tunnel qui va rapidement s’effondrer sur sa voiture. Piégé, il devra survivre pendant longtemps pour espérer revoir la lumière du jour, le tout sous les yeux de sa femme Se Hyun (Bae Doona) qui assiste impuissante, au travers des déclarations des secours et des médias, à la lente agonie de son mari.

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La critique d’une société…

Tunnel est un de ces films catastrophes aux ficelles bien évidentes : un homme, dans sa voiture Kia (une marque rappelée très fréquemment), rentre du travail pour l’anniversaire de sa fille, promettant à sa femme de lui offrir un nouveau sac dès lors qu’il aura décroché ce nouveau gros contrat. Mais comme on s’y attend, les choses se passent très mal lorsqu’il traverse un interminable tunnel reliant Hado à Séoul. Le tunnel s’écroule sur lui et l’immobilise sur place, alors qu’il reprend connaissance il remarque qu’il est enseveli sous des tonnes de roche. Avec ses deux petites bouteilles d’eau, le responsable des secours lui admet rapidement qu’il faudra des jours pour le sortir de là, tandis que la presse commence à flairer ici une formidable histoire pour captiver la population. Se met alors en marche une machine incroyable, entre récupération politique, opérations de secours et un pays qui se fascine pour des images en direct d’une catastrophe sans précédent. Personne ne sait où il est exactement dans le tunnel, ni s’il y a d’autres survivants, et seul son téléphone portable lui permettra de garder un maigre contact avec ses proches. On y retrouve là donc tous les codes du film catastrophe, avec un événement invraisemblable qui pousse à la solidarité. Emmené par l’excellent acteur Ha Jung Woo, on se laisse prendre au jeu claustrophobe d’un film qui nous dépeint un personnage foncièrement courageux, qui va tout faire pour vivre alors que sa fille l’attend de l’autre côté.

Mais pour bien comprendre l’intention du réalisateur, il faut se remémorer un événement qui a eu lieu il y a trois ans en Corée du Sud. C’est le naufrage du ferry « Sewol », au large de l’île de Jindo. Un scandale retentissant au pays du matin calme à cause de plusieurs dysfonctionnements : des secours qui n’ont pas su répondre comme il le fallait, un équipage qui a pris la fuite plutôt que d’aider les personnes prises au piège et une enquête qui a révélé une exploitation illégale du navire (basée sur de faux documents) mais également un chargement largement supérieur à la limite autorisée pour un tel navire. Ce naufrage qui a causé la mort de près de trois cents personnes a traumatisé le pays, à tel point que ce scandale s’est encore immiscé dans le débat public ces derniers mois, un débat et des manifestations qui ont poussé vers la sortie la Présidente sud-coréenne. Mais plus encore, c’est la gestion de l’accident par les autorités et les médias qui a suscité la gronde : d’un côté le gouvernement a tenté de limiter les responsabilités, y compris les siennes, en cachant certains faits, tandis que les médias ont profité de l’événement pour faire de sensationnalisme. Les images du ferry en train de couler alors que des centaines de personnes y étaient prises au piège ont fait le tour du monde et restent à ce jour un de ces grands ratés d’une presse qui a préféré faire de l’audience plutôt qu’être digne. Et c’est cette critique que l’on retrouve dans Tunnel, où les similarités sont extrêmement nombreuses : dysfonctionnements structurels du tunnel en question, course à l’enrichissement des exploitants plutôt que de satisfaire les normes de sécurité, un gouvernement (représenté par une Ministre qui rappelle évidemment la Présidente déchue) qui a une réaction inappropriée et des secours complètement dépassés. Les médias eux sont sévèrement critiqués par le réalisateur, qui les montres à plusieurs reprises comme une meute affamée qui se jette sur chaque occasion pour faire de l’audience. Je pense par exemple à ce moment où un journaliste parvient à obtenir le numéro de téléphone de l’homme piège dans le tunnel et qui l’appelle en direct, quand bien même cela entraverait les opérations secours, ou encore cette inlassable recherche d’une réaction de sa femme, impuissante à l’entrée dudit tunnel.
Au-delà du film catastrophe, c’est surtout un film engagé pour le réalisateur Kim Sung Hoon qui y synthétise là toute la colère d’un peuple.

… Au profit d’un espoir sans faille

Mines rabougries, pluie torrentielle ou tempête de neige et secours maladroits, Tunnel s’insère parfaitement dans un héritage de films coréens où l’autorité est tournée en dérision, tant physiquement (avec des personnages presque caricaturaux) que dans leurs prises de décisions. Ceux-là évoluent au milieu d’une météo peu clémente, qui s’abat sur eux comme la colère des citoyens. Tandis que les chaînes de télévision diffusent la tragédie en direct sur les écrans qui jonchent Séoul, une poignée de personnes font preuve d’humanisme face à une quête perpétuel de sensationnel. Ceux-là viennent représenter une forme d’idéal qui n’a pas été trouvé dans la tragédie du Sewol, ou celle imaginée dans le film, et qui font passer les intérêts humains avant ceux de la politique. Néanmoins Tunnel n’est pourtant pas qu’une ode à l’humanisme ou une critique de cette presse sensationnaliste. C’est également, et surtout, un film profondément touchant grâce notamment à Bae Doona. Celle que l’on a découvert il y a deux ans dans la série Sense8 des sœurs Wachowski montre ici tout l’étendu de son talent dans le rôle d’une femme en perte de repères, dépassée par les proportions prises par l’événement et manipulée par une société qui n’a pas grand chose à faire du destin de son mari.

Tunnel est un film à part : s’il est tout à fait possible de le prendre comme le simple film catastrophe qu’il semble être, alors il rempli tout à fait son contrat. Dans une progression à couper le souffle, avec ce sentiment que le piège se referme toujours un peu plus, c’est un film étouffant qui parvient à allier les codes du film catastrophe et une réalisation propre aux drames du cinéma coréen. Mais en y ajoutant une double-lecture qui renvoie à un drame, lui bien réel, ayant eu lieu ces dernières années en Corée du Sud, Tunnel prend une épaisseur quasi-inattendue et devient une œuvre forte où la question de l’importance d’une vie humaine est centrale.

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