Persona 5 est la dernière itération d’une saga qui s’est imposée depuis vingt ans comme une des licences de jeux de rôle japonais les plus importantes. Avec Persona 5, c’est surtout l’occasion pour les développeurs de faire une première incursion sur Playstation 4 et relancer une machine faite de jeux, mais aussi d’animes et produits dérivés.
L’histoire de Persona 5 se déroule in media res : c’est le héros qui raconte les événements passés à une procureure l’interrogeant. A celle-ci, il révèle être un « Phantom Thief », un de ces héros des temps modernes qui « volent » le cœur de criminels. Avec leurs manipulations qui restent obscures aux yeux des autorités ils parviennent à faire en sorte que ces criminels avouent leurs méfaits et se fassent arrêter.
Beneath the Mask
Persona 5 s’inscrit dans la licence des Shin Megami Tensei : un vaste univers qui prend forme à la fin des années 1980. Allant des jeux de rôle aux animes, la licence s’est révélée très lucrative et s’est largement reposée sur ses produits dérivés pour s’installer dans la tête du consommateur. Si son succès est resté plus confidentiel en Europe, la licence s’est tout de même peu à peu imposée comme une valeur sûre du genre. D’ailleurs cette fois-ci le jeu arrivait dans nos contrées dans trois versions : une normale, une avec un steelbook et une collector. J’ai craqué pour la dernière, ainsi j’ai pu faire trôner fièrement sur mon bureau un des goodies de cette édition : une peluche de Morgana, un chat qui sert de protagoniste dans le jeu. Oui, j’aime les choses inutiles.

Pour revenir au jeu, il reprend pour l’essentiel les mécaniques de ses prédécesseurs : on incarne dans la vie réelle un lycéen, amené à faire des rencontres et à participer à divers activités avec ses amis. On a accès à de nombreux quartiers de Tokyo, qui se résument à chaque fois à un seul lieu ou une seule rue, sur une carte qui reprend les lignes du métro tokyoïte. Ainsi on reconnaîtra sans peine la place principale de Shibuya et son « Shibuya crossing », le quartier rouge de Kabukicho à Shinjuku, ou encore l’atmosphère plus traditionnelle -et touristique- de Asakusa. Mais il faudra également étudier, et ça c’est moins drôle, et répondre à des interrogations surprises au lycée. Un quotidien pas vraiment captivant auquel répond son pendant dans un univers alternatif : par hasard le héros se retrouve plongé dans cet autre univers où il porte de curieux vêtements, un masque, et où les désirs les plus fous sont exprimés. Il s’agit du « metaverse », auquel il peut accéder grâce à une étrange application qui s’est installée sur son smartphone. Dans cet univers, il peut accéder sous certaines conditions aux « Palaces » de certaines personnes et où il peut y voler un trésor pour changer son cœur : le jeu se repose sur l’idée de biais cognitif, en accédant à cet univers alternatif le héros et ses amis peuvent accéder à ce qui provoque la vision du monde qu’ont les criminels. Par exemple la toute première cible voit ses étudiants comme des esclaves, le lycée étant son royaume. Voler le trésor, qu’on considère comme son cœur, permet à la cible de redescendre sur terre et voir les choses telles qu’elles le sont, loin de ses désirs les plus inavouables.
Alors Persona 5 divise son gameplay en deux parties : la réalité, qui aura pour principal intérêt de passer du temps avec les amis (qui deviennent pour certains d’entre eux des membres de l’équipe des Phantom Thief), afin de découvrir leur histoire et de les aider si besoin est. L’autre partie, c’est le metaverse, où on accomplira divers quêtes secondaires et l’histoire principale. Ces deux pendants du jeu se voient imposer un calendrier : certaines dates seront réservés à des examens au lycée, et chaque criminel devra être arrêté avant une date précise. Si ce n’est pas fait, c’est un game over.
Les « Palaces » sont d’immenses donjons où il faudra trouver le trésor, symbole de toutes les déviances de la cible, et combattre divers ennemis. On pourra d’ailleurs négocier avec ces ennemis afin qu’ils se révèlent à nous et deviennent un de nos « Personas », ces entités qui combattent à nos côtés. Reprenant le mythe du gentleman cambrioleur, le jeu se veut très stylisé et plonge ses héros dans des alter-ego assez classiques : le personnage joué est une sorte d’Arsène Lupin, à ses côtés il aura une simili-Catwoman ou encore un artiste s’appropriant le kitsune mask. Je n’en dirai bien sûr pas plus afin de ne pas spoiler les personnages qui rejoindront l’aventure, mais sachez que vous ne serez jamais vraiment surpris.
Dans l’ensemble Persona 5 est un jeu très bien produit : les histoires des différents personnages sont souvent intéressantes, certains d’entre eux se révélant même extrêmement attachants. A la fin, on a ce sentiment de voir partir une bande d’amis, et on regrette presque de ne pas pouvoir passer un peu plus de temps avec eux. D’autant plus que les scénaristes ont su aborder des points propres à la société japonaise mais avec un humanisme et une délicatesse qui renverra chacun à ses années lycées. Ces quelques jeunes qui veulent se défaire du joug des adultes qui leur imposent une pression énorme pour réussir parleront forcément à la plupart des joueurs. Du côté du gameplay, c’est assez classique pour la série mais les développeurs ont su y insuffler un dynamisme nouveau qui rend les combats plutôt intéressants. On peut toutefois regretter un level design à la ramasse avec des « Palaces » qui sont pratiquement tous construits de la même manière, mais ils sont sauvés par des ambiances toujours très différentes et les découvrir est un moment intéressant. Intéressant car ils expriment les pensées profondes des personnages, et si certains sont prévisibles (comme le mafieux qui extorque la population : il les voit comme des distributeurs automatiques), d’autres sont mieux pensés et offriront quelques surprises.
Life Will Change
Mais là où le bât blesse c’est que Persona 5 ne se renouvelle pratiquement jamais. Pour capter l’attention du joueur jusqu’au bout, il faut que le gameplay se renouvelle suffisamment pour être intéressant. Là au bout de vingt heures de jeu on a déjà cerné toute la boucle de gameplay, et pratiquement rien de nouveau n’apparaîtra ensuite sur ce plan-là. Si le jeu parvient à captiver le joueur jusqu’au bout grâce à une histoire faite de rebondissements, force est d’avouer que l’on est amené à refaire la même chose en boucle pendant des dizaines et des dizaines d’heures : ainsi de la même manière que des jeux de rôle japonais vous forcent à tuer des monstres en boucle pour gagner des niveaux, vous allez faire la même chose ici pour améliorer vos compétences dans la vie réelle (savoir, charme, gentillesse…) jusqu’à ce que enfin vos relations avec vos amis progressent. Le sentiment de lassitude s’est rapidement installé de mon côté, d’autant plus qu’il faut attendre vingt ou trente heures pour que l’histoire principale décolle enfin. Persona 5 était mon exemple favori dans mon billet d’humeur intitulé « les jeux vidéo sont trop longs« , et je n’en démord pas. Pourtant, au final j’en garde une bonne image : malgré une introduction trop longue et trop poussive à l’histoire, elle se révèle plutôt captivante et les trente dernières heures ont été un plaisir. C’est à ce moment que j’ai enfin pu faire progresser rapidement les différentes relations, avec l’arrivée de nouveaux personnages plus intéressants que ceux qui sont là dès le début, tandis que l’histoire connaissait ses premiers rebondissements. Au final malgré l’inspiration évidente auprès de mouvements tels que les Anonymous, Persona s’intéresse à une pluralité de sujets de société comme la corruption ou la pression exercée sur les étudiants japonais, tout en collant à des thèmes plus inspirés des religions comme la série en a l’habitude. Parce que les Persona au-delà de leurs histoires ont toujours été une question de choix, de comportement de l’Humain face aux Dieux, et de l’émancipation de héros qui étaient oppressés par leur environnement. Si certains passages sonnent faux au regard d’un joueur occidental, il suffit de se renseigner deux minutes sur le système éducatif japonais pour comprendre la situation des personnages.
Alors Persona 5 est un jeu à la fois marquant et moyen : s’il propose une histoire captivante, celle-ci met énormément de temps à se mettre en place. Heureusement les personnages terriblement attachants font tout l’intérêt du jeu et leur potentiel se dévoile dans les dernières heures de jeu, poignantes et pleines de qualités. Malheureusement à côté la série peine à se renouveler, se reposant encore sur des mécaniques de jeu archaïques qui font du jeu de rôle japonais un vestige des temps anciens. Le level design est sans idée, se reposant essentiellement sur le travail des artistes qui ont donné une ambiance unique au jeu, et les derniers « Palaces » apparaîtront comme des souffrances. De longs et interminables donjons où on fait toujours la même chose, et où la seule « carotte » qui vous fait avancer est la volonté de découvrir le fin mot de l’histoire.
Bref, un bilan mitigé. Si je salue largement le travail des scénaristes qui ont donné vie à des personnages géniaux et offert quelques scènes marquantes, les game designers eux devraient se poser des questions et peut-être comprendre qu’attendre l’ultime donjon pour enfin instaurer une nouvelle mécanique est une mauvaise idée.
J’en ai entendu parler dans le Cosy Corner (je sais pas si tu écoutes ce podcast, personnellement j’adore écouter ce genre de trucs dans le métro :) ) et il avait l’air vraiment sympa ! Je connais très peu ce genre de jeux, surtout parce que je n’ai pas spécialement de console de salon et que je suis beaucoup plus sur PC, mais le principe de base pourrait bien me tenter :)
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Je ne connais pas ce podcast, il faudra que j’y jette un œil. Cela dit je suis pas fan du format en général.
J’ai cru comprendre que Atlus songeait à porter les Persona sur PC. Je sais pas si ça va arriver un jour, mais ça m’étonnerait pas à en juger par le nombre d’éditeurs japonais qui ont amené leurs jeux sur Steam depuis quelques années (comme les Disgaea).
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Nous en avions parler sur twitter. Je te rejoins sur certains points: les personnages sont pour la plupars très attachants et c’est l’un des moteurs je pense, qui donne cette envie d’avancer dans l’histoire.
Les palaces (surtout les trois derniers) sont un véritable enfer. Perso’, j’en pouvais plus au palace de la soeur de Makoto. C’est infernale. Je ne voulais qu’une chose c’est en terminer.
Malgré tout, c’est mon jeu coup de cœur pour l’instant de cette année. J’ai vécu cette aventure d’un nouvel oeil. Mon œil de newbie du JRPG (genre que je n’appréciais pas du tout avant ce jeu.)
M’enfin, très bon article avec une analyse très pertinente qui amène le lecteur à s’interroger et se questionner sur a société japonaise.
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Merci à toi :)
Les palaces sont effectivement interminables, et c’est surtout pour ça que j’évoque un manque de renouvellement dans les mécaniques de jeu. S’ils apportent tous un petit « plus » avec des « énigmes » différentes, le gameplay reste assez basique : suivre un couloir. Même lors des aller-retour, on se rend compte que ceux-ci ne sont pas le résultat d’une réflexion du joueur mais juste parce que le palace est construit d’une telle manière qu’il oblige le joueur à revenir en arrière et trouver l’interrupteur (par exemple). Le pire étant le palace de Shido : l’idée des souris était plutôt marrante et aurait pu instaurer un peu de réflexion/infiltration dans ce pseudo-labyrinthe. Mais au final je me suis rendu compte que la progression était en ligne droite et que chaque action que je faisais était une évidence, puisque le jeu ne me donnait jamais de donner une mauvaise « réponse » à « l’énigme ». Du coup j’ai juste eu l’impression de perdre mon temps avec des aller-retour qui n’ont aucun sens. Le seul palace qui innove c’est le dernier, avec les plateformes à activer en se déplaçant.
Finalement Persona 5, pour moi, a brillé pour ses thèmes, sa narration et ses personnages. Mais il nous impose des séquences de jeu interminables à côté…
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