Pentagon Papers, mensonges d’État et liberté de la presse

Pentagon Papers (ou The Post) est un film de Steven Spielberg qui s’inspire du scandale des « Pentagon Papers » qui avait mis à mal la présidence de Richard Nixon en 1971 lors de la révélation d’un rapport classé secret défense. Porté par Meryl Streep et Tom Hanks, c’est sans nul doute un des grands films de l’année.

En 1965 l’analyste Daniel Ellsberg (Matthew Rhys) se rend sur le front de la guerre du Vietnam pour le compte du secrétaire de la Défense, Robert McNamara (Bruce Greenwood). L’objectif est de déterminer si les troupes américaines progressent enfin. Une question à laquelle il répondra par la négative. Des années plus tard, il décide de photocopier secrètement un rapport confidentiel révélant vingt ans de mensonges et d’activités clandestines autour de cette guerre, les dirigeants américains sachant dès le départ qu’ils ne pourraient jamais la gagner. Après avoir divulgué une partie de ces informations au New York Times, qui sera censuré par la justice, il fournira les informations au Washington Post dont la directrice Katharine Graham (Meryl Streep) devra prendre une lourde décision, celle de publier ou non, au risque de faire face à la justice.

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Nixon’s Order

A l’heure où des médias se revendiquent spécialistes du genre, les scandales étatiques sont devenus monnaie courante. Mais à l’époque, en 1971, il s’agissait encore de savoir si la liberté de la presse était supérieure aux secrets d’Etat, dans un pays confronté à une guerre qui semblait sans fin. Déjà à ce moment-là le Washington Post, comme bien d’autres journaux, était confronté à la concurrence de la télévision et voyait ses ventes décliner, à tel point qu’il fallait réinventer la formule ou au moins donner de bonnes raisons aux américains d’acheter des journaux. Steven Spielberg, plus qu’un scandale d’Etat, nous raconte la manière avec laquelle un rédacteur en chef et sa directrice se sont battus pour défendre un idéal qui n’a cessé d’être mis à mal au cours de l’histoire. Benjamin Bradlee est un journaliste déterminé, pour qui la seule conviction possible est celle de la vérité, peu importe sa couleur. Quand il apprend l’existence de ce rapport révélant que les gouvernements américains successifs, depuis quinze ans, savaient que la guerre du Vietnam ne pouvait être gagné, c’est l’occasion parfaite de faire triompher ses deux amours : la presse et son journal. Mais le film nous raconte aussi cette période où déjà il existait une proximité entre ceux qui finançaient les journaux et le pouvoir en place. Le conseil d’administration du Washington Post tel qu’il nous est montré est plein de riches financiers qui passent la plupart de leurs soirées dans des événements mondains où ils se mêlent avec les politiques, de quoi largement influer la ligne éditoriale d’un journal qui ne peut risquer de voir ses financements supprimés.

Le parallèle entre journalisme, dans sa forme la plus pure, la plus noble, et les accointances politiques se matérialisent au travers de la relation entre la directrice du journal Katharine Graham et son rédacteur en chef Benjamin Bradlee. Lui est prêt à risquer toute sa vie pour révéler ces « Pentagon papers », tandis qu’elle fait partie de ce milieu politico-médiatique qui se fait sans cesse et mutuellement des cadeaux. Elle organise des soirées où les politiques les plus influents sont toujours invités, et en premier lieu Robert McNamara, le secrétaire à la Défense mis en cause dans ce rapport qui n’aurait jamais du sortir.
Si on connaît déjà la fin de l’histoire et son dénouement terriblement important pour la liberté de la presse aux Etats-Unis, le film ne cesse de capter l’attention grâce à une mise en scène au poil qui fait la part belle à l’intensité de la situation. Quelques jours pendant lesquelles se sont décidés l’avenir du journal, mais aussi celui de sa dirigeante. Elle qui a hérité de celui-ci à la mort de son mari avoue elle-même n’avoir jamais eu à travailler, et pourtant elle doit prendre la décision la plus lourde de sa vie. Le New York Times ayant déjà été mis en cause par la justice, il était très probable que le Washington Post le soit aussi en révélant ces documents secrets, et plus qu’un journal, c’est toute sa vie qui pouvait tomber. Et c’est sa relation avec le rédacteur en chef Bradlee qui se révèle la plus intéressante du film, comme je le disais plus tôt les deux représentent des milieux très différents, et c’est un jeu de conviction qui se met en place, entre la loyauté et la vérité.

The Papers

Une opposition que Steven Spielberg utilise aussi dans sa manière de manipuler l’image. Des lumières jusqu’aux couleurs, chaudes ou froides, il apporte un soin très particulier à leur présence sur chaque scène, mettant en exergue des détails de décors pourtant très communs. Si la directrice représente l’opulence, accompagnée par des couleurs très chaudes, le rédacteur en chef lui est terne et souvent toujours dans des teintes de bleu, comme s’il était tout en bas de l’échelle, loin de ses richissimes chefs. Mais les deux vont s’entremêler, et avec le travail de John Williams sur la musique, les deux mondes se rapprochent jusqu’à faire front derrière un idéal commun. Alors le film est éminemment politique, et foncièrement idéaliste, mais c’est aussi propre à une époque et un procès les ayant menés vers la Cour suprême. Une Cour qui devait répondre à une question très difficile en temps de guerre : la liberté de la presse prévaut-elle sur les secrets d’Etat ?
La plus grande réussite de Steven Spielberg dans ce film est probablement d’avoir réussi à créer tout un mythe autour des personnages, des personnalités très fortes et loin d’être irréprochables. Même le rédacteur en chef plein de convictions se verra opposer ses amitiés politiques, et on se assez vite compte que dans cette affaire personne n’était parfait. Pourtant c’est un film qui fait extrêmement de bien car il montre un visage plus humain d’un métier, celui de journaliste, à une époque où une grande partie de la population en est arrivée à ne voir les journalistes que comme des porte-paroles des gouvernements.

Pentagon Papers est indéniablement un grand film. Avec une distribution exceptionnelle, si les performances de Meryl Streep et Tom Hanks resteront en mémoire tant ils sont au sommet de leur forme, il en faut pas oublier Bob Odenkirk ou Carrie Coon qui se font aussi une belle place. Si le film a une véritable portée politique, c’est aussi une ode à la liberté, celle de la presse, et au débat d’idées.

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