La mémoire assassine (ou Memoir of a Murderer) est un thriller réalisé par Won Shin Yeon. Prenant place dans une petite ville de Corée du Sud, le film observe avec une certaine amertume le passé d’un tueur en série atteint par la maladie d’Alzheimer. Le film est disponible en France depuis le 13 avril sur la plateforme E-cinema.
Byeong Soo (Sol Kyung Gu) était un tueur en série dans le passé, responsable de plusieurs meurtres, il n’a toutefois plus touché à personne depuis dix sept ans. Mais désormais atteint par la maladie d’Alzheimer, il n’est plus très sûr de ce qui est vrai ou non, et son accident de voiture avec l’officier de police Min Tae Joo (Kim Nam Gil) va le faire soupçonner ce dernier d’être le tueur qui sévit depuis quelques semaines autour leur petite ville. Il se lance alors dans une enquête, à la fois pour confirmer ses soupçons que refuse d’écouter la police, mais aussi pour s’assurer qu’il n’est pas lui-même l’auteur de ces meurtres alors que sa mémoire lui échappe.
Mémoire obscure
Là où La mémoire assassine tire son épingle du jeu et s’éloigne des canons habituels du thriller coréen, c’est dans sa manière d’aborder le tueur en série et ses motivations. Qu’il s’agisse d’impulsions ou de meurtres méthodiques, l’antihéros est avant tout un homme rongé par la culpabilité et dont les actions sont remises en cause par sa maladie. Atteint d’Alzheimer, il n’est pas toujours conscient de ce qu’il a fait ou non et en arrive à douter, une mémoire destructrice tant pour ce que constitue la maladie que pour son équilibre : il vit parfois avec la mémoire de la lourdeur de ses actes, se détestant et voulant mettre fin à ses jours. Mais parfois, il va agir différemment et ressentir autre chose. Sa mémoire et sa santé sont brisées, et donnent au film un ton bien différent de celui auquel on aurait pu s’attendre.
La mémoire assassine est avant tout un récit sur la maladie, sur la mémoire et ses conséquences : l’excuse du tueur en série n’est là que pour exacerber les problèmes posés par la société à une maladie incomprise. La question de la responsabilité de celui qui n’a plus toutes ses facultés mémorielles n’intéresse pas tellement le réalisateur ici, c’est plutôt sa place dans la société qui est au centre du film. Laissé à son compte, l’homme touché par Alzheimer n’est pas assisté comme il le devrait. Dans une bourgade coréenne où la police passe plus de temps à boire des bières qu’à travailler, l’homme est vu comme un vieux grincheux qui n’a plus toute sa tête. Au travers d’une histoire sordide, le réalisateur dénonce cette société qui ne laisse pas de place à ceux qui sont frappés par une maladie encore aujourd’hui mal considérée.
Le film joue énormément sur l’ambiguïté de ses personnages. Tueurs ou non, souvenirs réels ou fantasmés, tout est vu par les yeux de l’étrange héros et l’empathie n’en est que décuplée. S’il ne fait aucun doute qu’il est responsable de plusieurs meurtres, il apparaît comme un personnage touchant et les doutes qui l’habitent en font un héros parmi d’autres. Sa relation avec sa fille est évidemment centrale, elle qui ne connaît pas véritablement le passé de son père mais qui est la seule à vraiment en prendre soin. L’acteur Sol Kyung Gu dans le rôle principal est excellent : l’ambiguïté du personnage passe aussi par des regards inattendus et une certaine manière d’incarner la folie de ses actes. Ses scènes avec Kim Seol Hyun, dans le rôle de sa fille et qui joue un de ses premiers rôles au cinéma, sont extrêmement touchantes car elles rappellent le personnage à sa nature la plus douce. S’il est souvent dépeint comme un meurtrier de sang froid, ces scènes permettent au personnage d’apparaître sous un jour étonnamment réconfortant. Cette relation n’est pas un hasard, et symbolise l’importance de l’entourage alors que la maladie ronge la victime.
L’impossible réalité
La mémoire assassine fait fort par cette capacité à dissimuler la réalité et jouer sur les limites de la mémoire. Le récit est parfois complexe, rien n’est évident et chaque scène est remise en cause par la mémoire déficiente du personnage. Cependant tout mène constamment à ces deux faces d’un meurtrier qui a conscience que rien ne justifie ses actes, mais qui à cause ou grâce à la maladie vit parfois des moments d’innocence quasi parfaite. Tel un Mindhunter, La mémoire assassine s’intéresse principalement à l’esprit du tueur et sa logique, ses raisons, et c’est ce qui le détache de la très prolifique production de thriller en Corée du Sud. On note aussi l’excellente bande originale qui rythme le film, intégrant avec brio l’environnement rural et un peu sale propre au film. Néanmoins au-delà de ça le film reste assez classique dans sa structure. L’enquête passionnante fait place à un dénouement aussi violent que le passé du personnage, on a bien affaire à un thriller coréen et toutes ses caractéristiques y sont réunies. Le réalisateur manque tout de même le coche et ne parvient pas à proposer une conclusion vraiment marquante : il joue sur la mémoire jusqu’au bout et son dénouement est finalement assez attendu.
La mémoire assassine est un bon thriller : original par son approche et sa manière de raconter la maladie, le film reste néanmoins classique dans son approche du genre. Il offre toutefois de bien belles performances de la part des acteurs et actrices, tous et toutes impliquées dans un récit sombre et bien mené par le réalisateur Won Shin Yeon. Si j’espérais un peu plus d’audace pour sa conclusion, il reste néanmoins un bon produit du genre de prédilection du cinéma coréen, et c’est un plaisir de voir ce genre de films arriver dans nos contrées.