The Shameless, la femme fatale qui crevait l’écran

Sorti le 10 août 2018 sur la plateforme e-cinema.com, soit trois ans après sa nomination au Festival de Cannes en 2015 dans la catégorie « Un certain regard », The Shameless est un polar coréen réalisé par Oh Seung Uk. S’amusant avec le genre et la figure de la « femme fatale », le réalisateur nous offre un film intéressant, avec une teinte de mélancolie qui lui offre une profondeur aussi séduisante que déroutante.

Jae Gon (Kim Nam Gil) est un policier blasé, qui fait le minimum et ne supporte plus les magouilles de ses supérieurs. Sur la piste de Joon Gil (Park Sung Woong), un meurtrier, il se retrouver un jour sur le chemin de Hye Kyung (Jeon Do Yeon), la copine du meurtrier dont il va tenter de se rapprocher. Problème, à trop s’approcher de cette femme énigmatique, il risque d’y laisser sa peau.

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City Lights

Véritable polar, le réalisateur de The Shameless prend les codes du genre et les exploite de la meilleure des manières. De la photographie soignée à son rythme succulent, le film nous emmène dans les méandres de la pègre sud-coréenne où bars clandestins et maisons closes sont légion. Alors Oh Seung Uk nous raconte cette histoire un peu hors du temps, où un policier va se rapprocher de cette femme mystérieuse. Croqueuse d’hommes pour certains, danger pour d’autres, celle qui a l’image d’une femme fatale attise la curiosité de cette officier blasé sur qui on fait pression pour se débarrasser de quelques criminels qui font de l’ombre à un des chefs de bande, ancien policier lui-même, qui a depuis longtemps perdu son badge pour corruption. Comme souvent avec le cinéma coréen, la police est représentée comme au mieux incompétente, mais surtout brutale et corrompue jusqu’à la moelle. Oh Seung Uk s’attarde sur l’exposition pour nous emmener dans ce monde terrible, parfois séduisant pour son esthétique propre au film Noir, souvent inquiétant et toujours avec un soupçon d’érotisme. Et c’est tout ce qui fait le sel du film, cette maîtrise du réalisateur dans un l’art du polar qu’il semble affectionner plus que tout, la délicatesse de ses plans et sa manière de mettre en scène la mélancolie ambiante d’un monde à l’abri de tous. Les dessous de table se dévoilent et c’est tout un système qui se voit remis en cause par deux personnages que tout oppose, l’une est le symbole de ce monde criminel, l’autre représente la loi, mais pourtant ils apparaissent bien vite comme des alter-ego.

Les deux partagent une même sensibilité, un même sentiment de lassitude face à un monde qui ne leur offre que malheur. Chacun n’est qu’un reflet de l’autre, et c’est cette proximité qui forme peu à peu leur relation, ambiguë, entre haine et soupçon, avec une pointe de tendresse surprenante qui offre au duo une subtilité bienvenue. Le film n’invente rien, la femme fatale est un élément classique du polar, mais on n’a pas l’habitude la voir dans le cinéma coréen. Pourtant, la géniale Jeon Do Yeon montre à quel point cela fait sens, dans un monde de néons, de bars clandestins et de policiers corrompus, elle y incarne une femme fatale formidable, avec la grâce qui caractérise le genre, mais surtout une force et une détermination qui donne au personnage une certaine hauteur. Sans tomber dans le cliché du genre, on découvre là une grande héroïne de polar qui mène l’histoire du bout des doigts, jusqu’à l’inévitable descente aux enfers dont le cinéma coréen est friand. Le réalisateur s’amuse évidemment avec ce personnage, qui illumine chacune de ses scènes tant la prestance de l’actrice étonne. Jeon Do Yeon est évidemment une grande actrice, son immense carrière parle pour elle et on se souvient de son rôle dans The Housemaid en 2010 par exemple, inoubliable. Mais elle semble ici véritablement s’épanouir dans un rôle taillé pour elle, au sein duquel elle montre sa maîtrise de l’archétype de la femme fatale, avec la retenue nécessaire pour lui offrir un visage plus humain qu’attendu.

Into the Darkness

The Shameless séduit aussi par sa photographie, la manière dont est mise en scène la ville de Séoul qui devient alors énigmatique, sombre et où le danger rôde. Des couleurs bleutées d’une matinée aux couleurs chaudes d’un bordel, The Shameless est une réussite esthétique tant pour la sensibilité qui émerge de son visuel que la mise en scène de la descente aux enfers de ses personnages. C’est une esquisse d’un monde qui va mal, comme s’il s’agissait d’une métaphore de la société où ses personnages évoluent, sur fond d’une bande originale mélancolique qui sied à merveilles au rythme lent imposé par le réalisateur. Parfois contemplatif et toujours avec beaucoup de recul, il regarde évoluer de loin un monde en train de s’auto-détruire.

The Shameless est un polar fantastique, un film de genre comme on en fait trop peu souvent. Du mythe de la femme fatale à la représentation classique de la pègre dans le cinéma coréen, les mondes se mélangent pour offrir un film enivrant. Un véritable rapport de séduction s’installe entre le film et le spectateur, pour un long métrage qui n’hésite pas à s’appuyer sur l’histoire du polar pour en proposer sa propre vision, avec ses nombreuses qualités et la très grande performance d’une actrice qui crève l’écran.

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