Après son succès critique The Big Short, qui racontait les prémices de la crise des subprimes, Adam McKay revient à la réalisation de Vice, un film biographique ayant pour sujet l’ascension politique de Dick Cheney, le très controversé vice-président des Etats-Unis dans l’administration du président George W. Bush.
Dick Cheney (Christian Bale) était dans les années 1960 un élève bien peu brillant, c’est par la suite son épouse Lynne (Amy Adams) qui va le pousser vers les sommets : couple ambitieux, les deux visent le pouvoir politique suprême. Scandale du Watergate, pouvoir politique affaibli par des décisions douteuses, tout est bon pour mener son ascension et atteindre un poste à responsabilité. Jusqu’au jour où Dick Cheney se verra offrir un poste de vice-président par George W. Bush, en posant ses conditions : c’est lui qui décide.
La grande valse
L’histoire de Dick Cheney, vice-président des Etats-Unis entre 2001 et 2009, est assez méconnue de notre côté de l’Atlantique. En dehors des quelques observateurs du monde politique américain, on imagine assez mal l’influence qu’a pu avoir le vieux briscard de la politique de droite aux Etats-Unis. Pourtant le film d’Adam McKay s’évertue à montrer son influence grandissante auprès d’un George W. Bush désemparé, peu préparé à être un leader, qui plus est après les attentats du 11 septembre où Dick Cheney va devoir trouver le coupable idéal : jusqu’à aboutir au tristement fameux discours de Colin Powell devant les Nations Unies, donnant les « preuves » de la présence d’armes de destruction massive en Irak. Alors le film de McKay est très didactique, certains dont je fais partie diraient trop, au contraire de son confus The Big Short qui avait perdu quelques non-initiés en route (sérieusement, qui a compris la crise des subprimes après ce film ?)
Le réalisateur s’amuse des manigances politiciennes, l’ascension terrible de Dick Cheney dans la hiérarchie politique des Républicains, un homme qui a vu passer les plus grands scandales de l’histoire politique moderne aux Etats-Unis (à commencer par le Watergate), et qui a su s’arranger du principe de légalité et des pouvoirs normalement attribués à l’exécutif américain, composé du président et de son vice-président. Des arrangements largement facilités par un chaos ambiant qu’il a su provoquer, ou exploiter, avec l’aide d’un conseiller juridique aux théories aussi fumeuses que décisives dans le comportement des Etats-Unis sur la scène internationale.
Car il est bien là le sujet du film : Adam McKay raconte comment Dick Cheney, vice-président des Etats-Unis, c’est-à-dire un poste symbolique aux pouvoirs très, très (très très très…) limités, a pu à ce point bouleverser la face du monde. Alors on n’échappera pas à un montage assez ridicule sur la fin du film où le réalisateur nous montre toutes les catastrophes du monde moderne en lien avec les décisions prises par Dick Cheney au début des années 2000, un montage teinté de raccourcis et de « ça fait réfléchir » particulièrement risible. Mais le fond de l’idée n’en reste pas moins intéressante, encore plus lorsque l’on isole la politique moderne sur ces vingt dernières années. Le montage légal et les « preuves » données pour justifier l’envahissement de l’Irak -au profit de Dick Cheney et de ses proches industriels comme le raconte le film- ont effectivement façonnées le monde, avec un conflit qui a ignoré les principaux responsables des attentats dont ont souffert les Etats-Unis puis l’Espagne ou encore le Royaume-Uni par la suite, et qui a provoqué une déstabilisation générale d’un monde qui ne tenait déjà qu’à un fil. Adam McKay en profite évidemment pour se moquer de la manipulation de l’opinion : il nous présente les groupes d’opinion qui visaient à tester la réaction d’un petit groupe de personne à certains mots, certaines idées, avant de les distribuer au grand public. C’est ainsi que « réchauffement climatique » est devenu « changement climatique », moins anxiogène, ou qu’ils se sont rendus compte que le peuple américain avait, pour partie, besoin de désigner un responsable après le 11 septembre 2001. Dans un pays qui a vu se succéder les guerres partout dans le monde, pratiquement en tant que « gendarmes du monde », il était évidemment plus simple de pointer du doigt un pays bien connu qu’un groupe terroriste opaque. Le réalisateur tacle véritablement la politique américaine, Dick Cheney ne devient qu’une excuse pour montrer cette proximité de la politique et des lobbys -Dick Cheney lui-même étant à la tête d’une société pétrolière-, et dans son ensemble le film est à charge contre la politique représentée par Dick Cheney, George W. Bush (incarné par un Sam Rockwell volontairement ridicule), Condoleezza Rice ou des dizaines de petits politiciens qui ont eu une influence à un moment ou un autre.
Décisif pour l’histoire
Mais là où Vice s’illustre le mieux c’est dans sa façon de moquer cette politique, cette caste qui s’est approprié tous les pouvoirs. La manipulation de l’opinion passait évidemment par FOX News dont le film aborde la création à une époque où le parti Républicain avait besoin d’un relais, cela donne quelques scènes savoureuses où la formidable actrice Naomi Watts joue la présentatrice télé pour un simili-FOX News qui semble plus vrai que nature. C’est la droite américaine, qui a viré à l’extrême droite, que le film accuse et jette en pâture. Avec l’aide d’un Christian Bale grimé en Dick Cheney et qui a su s’approprier ses mimiques et sa manière de parler, Amy Adams joue son épouse déterminée, qui le pousse toujours vers l’avant et n’espère qu’une chose : qu’il obtienne le pouvoir. Mais on note aussi et surtout Steve Carell, encore une fois excellent, en chef de cabinet un peu fou et sûrement trop ambitieux.
Mais pourtant, Vice n’a pas su me transporter, pire, il m’a semblé parfois difficile à regarder. Son côté (trop) didactique s’oppose à un montage épileptique, du pur style de Adam McKay, que je n’aime pas. On a constamment ce sentiment d’hystérie, de folie, de violence dans un montage qui ne laisse jamais le temps de souffler. Si on évite la confusion complète de The Big Short, on se retrouve malgré tout avec un film incapable d’appuyer sur les moments les plus importants de son histoire. Je pense notamment aux minutes qui ont suivies les attentats du 11 septembre 2001, des minutes décisives pour l’avenir du monde, mais que le réalisateur -après avoir esquissé une promesse géniale sur cette scène- va trop vite désamorcer pour retomber dans une quasi-parodie politique avec un narrateur peu engageant.
Passionnant pour l’histoire qu’il raconte, désagréable pour le style de son réalisateur, Vice est l’exemple type de film qui n’est pas fait pour moi. Trop didactique, trop dense, trop hystérique, il perd de vue son sujet sans jamais trop savoir ce qu’il veut. Ses raccourcis deviennent trop évidents lorsqu’il s’agit d’un biopic, mais ses airs satiriques lui permettent tout de même quelques moments de grâce, avec l’aide de Naomi Watts.