Crossed est un comics américain écrit par Garth Ennis, accompagné par le dessinateur Jacen Burrows. Récit presque post-apocalyptique, il raconte une humanité qui cède à ses envies les plus bestiales. Entre horreur et survie, Crossed s’illustre tant par le développement de ses personnages, que des scènes très dérangeantes.
Une explosion au loin, des gens qui voient soudainement apparaître une cicatrice en forme de croix sur leur visage, des meurtres et des agressions… Une mystérieuse infection répand le mal et une Amérique voit sa société sombrer dans l’apocalypse. Un petit groupe de survivants, non-infectés, va tenter de rejoindre l’Alaska où ils espèrent trouver une forme de sérénité, dans des terres calmes et loin de la « civilisation ».
La violence d’un corps
Cette intégrale ne réunit en réalité que la première partie de Crossed, celle qui a été écrite par Garth Ennis, tandis l’univers a perduré par la suite sous la plume de David Lapham. On a pour autant bien une histoire complète, celle publiée initialement en deux tomes par Milady il y a quelques années, et qui était depuis introuvable à un prix décent. Cette nouvelle édition est particulièrement soignée, et offre enfin l’intégrale du cycle de Garth Ennis sur cette curieuse histoire. Je dois l’avouer, je n’avais jamais eu l’occasion de la lire auparavant, mais Garth Ennis est un auteur que j’aime beaucoup pour son travail sur Preacher et Hellblazer. Pourtant mon impression sur Crossed est assez mitigée, et si j’y reconnais les détails qui font de Garth Ennis un auteur génial, sa brutalité et sa violence très graphique ont souvent un goût de « trop » en occultant ce qui m’a véritablement intéressé.
L’histoire de survivants dans un monde post-apocalyptique est quelque chose de très fréquent de nos jours dans la culture pop. Crossed raconte des humains devenus… « autre chose », pas des zombies ici, mais des infectés qui n’ont plus aucune limite et qui cède aux instincts les plus primaires et les plus violents. Meurtres, torture, viol, c’est une société à la déroute qui s’affiche, où à chaque coin de rue un infecté peut attendre sa prochaine victime. La maladie se répand très vite, et Crossed raconte plutôt ce petit groupe de survivants qui tente tant bien que mal d’atteindre son objectif sans perdre trop de monde en route.
Les personnalités sont nombreuses, diverses, et la cohabitation se révèle terriblement difficile. C’est ce que raconte avec beaucoup de justesse Garth Ennis, qui comme à son habitude, développe ses personnages pour en tirer une humanité surprenante, alors que les références tant à notre monde qu’à la religion sont légion. Les espoirs déchus sont nombreux, les apparences sont trompeuses et les quelques flashbacks sont bien sentis pour nous raconter les prémices de l’horreur. Je pense notamment à cette scène racontée par un soldat de l’armée dans son journal, qui a un impact monumental sur une narration qui conserve toujours un temps d’avance sur le lecteur. Les surprises sont en effet plutôt fréquentes, l’auteur jouant souvent sur les erreurs de ses personnages et les rencontres inattendues. D’autant plus que Jacen Burrows, si je ne suis personnellement pas un fan de son style, propose des dessins d’une précision assez géniale lorsqu’il s’agit de mettre en scène les idées tortueuses et les doutes sur les visages de ses héros. L’action est rythmée et Burrows brille lorsqu’il s’agit de montrer l’horreur dans les yeux de ses personnages, face à un monde sans espoir. Crossed nous plonge dans l’horreur, d’un bout à l’autre, sans jamais laisser le temps de respirer.

Des tentations inavouables
Mais c’est paradoxalement ce qui m’a dérangé. L’ultra-violence de Crossed empiète souvent sur une narration parfois géniale, avec des scènes visuellement insoutenables qui se répètent. Une violence graphique dont l’intérêt s’évapore rapidement au contraire d’une violence suggérée qui a un impact souvent plus important. On comprend aisément l’intention de Garth Ennis et Jacen Burrows, celle de raconter une humanité en perdition et dont la chute dans l’extrême violence ne tient qu’à un fil, qu’à un élément déclencheur. Mais Crossed brille plus que jamais lorsqu’il prend le temps de raconter ses personnages, leur passé, leurs minces espoirs et leur réaction face à ce que le monde a de plus mauvais.
Crossed multiplie les bonnes idées, les rencontres passionnantes, l’espoir des survivants et sa manière de raconter la violence d’une humanité qui ne fait plus la différence entre le bien et le mal. Mais son ultra-violence a ses limites et tombe parfois dans la facilité. La violence est pourtant commune aux œuvres de Garth Ennis, un auteur qui s’en sert comme moteur pour raconter des maux plus profonds et inhérents à la nature humaine, à l’image de Preacher et le fanatisme. Mais Crossed échoue à utiliser cette violence, qui ne devient souvent qu’un prétexte un peu facile pour raconter une histoire finalement peu engageante, malgré quelques éclats. Il est certain que Crossed n’est pas « que » cette forme de violence décomplexée, mais il n’a pas su capter mon attention au-delà d’une lecture parfois éprouvante.
Critique réalisée à partir d’un exemplaire envoyé par les éditions Bragelonne – Hi Comics.