Invisible Republic – Tome 3, et l’idéalisme devint violence

Invisible Republic nous revient avec un troisième tome, une série de comics que j’affectionne beaucoup tant ses auteurs(rices) Corinna Bechko et Gabriel Hardman manient avec justesse leur récit d’anticipation qui mêle politique et information. Toujours inspiré(e)s par le présent, les deux proposent un troisième tome foncièrement encré dans notre époque. Invisible Republic (Tome 3) est disponible aux éditions Bragelonne – Hi Comics. 

Le journal de Maia Reveron a été publié, la dictature de McBride est tombée, des privilégiés tentent de s’emparer définitivement du pouvoir. L’humanité répète les mêmes erreurs et les quelques planètes qui se disputent leur indépendance sont le théâtre d’une lutte de pouvoirs où le peuple est, comme toujours, le grand oublié.

Le pouvoir de l’icone

Invisible Republic a toujours su jouer sur les faux-semblants, capable de s’amuser des codes de l’anticipation ou même de la dystopie. Le dictateur présenté dans son premier tome tombe vite sous les questions, sous la remise en cause d’une idée formatée par une seule voix. Ce n’est pas pour rien si l’homme en quête du fameux journal de Maia Reveron, résistante mais surtout mémoire vivante d’un conflit passé, est un reporter avide d’une grande révélation. Invisible Republic parle d’information, de son traitement et de sa distribution, et c’est sur la limite parfois très fine entre information et romance qu’insistent Gabriel Hardman et Corinna Bechko dans ce troisième tome. La « gentille » de l’histoire est remise en cause : l’héroïne, l’icone de la résistance est interrogée par un parterre de lecteurs venus écouter le reporter, qui a enfin pu publier le journal de cette femme. L’un d’eux pose une question qui remet en cause toute la dynamique précédemment installée : qu’est-ce qui est vrai ? Le journal, l’histoire de cette révolution ne sort que de la plume de celle qui se donne nécessairement un bon rôle. Alors Hardman et Bechko manient avec habileté plusieurs lignes temporelles. L’une où Maia narre sa jeunesse et le moment où elle a dû prendre les armes après avoir rêvé d’une vie paisible, une autre où le dictateur McBride raconte son ascension révolutionnaire, et enfin le présent, « 42 ans » après les événements, où le reporter fait une tournée pour promouvoir la publication des mémoires de l’héroïne.

La remise en cause du dictature est éminemment politique, c’est la figure du « méchant » qui passe à la trappe pour dévoiler l’homme et ses motivations. Mais c’est surtout le phénomène de fausses informations et du contrôle de l’information -comme un coin de planète qui n’a accès qu’aux rumeurs- qui donne à ce troisième tome de Invisible Republic quelque chose de très actuel. Les deux figures principales de l’histoire, l’héroïne et le dictateur déchu, voient leurs histoires être questionnées alors qu’avec le temps les souvenirs deviennent plus troubles. Et c’est le thème de l’idéalisme qui vient alimenter une narration terriblement passionnante : l’idéalisme d’une résistante hors d’époque se heurte à la réalité du monde, à sa violence et aux aspirations de calme et de paix pour bon nombre de personnes. Le récit nous emmène d’ailleurs dans une minuscule société humaine, un village où le matriarcat prime, et où chacun n’aspire qu’à vivre sa propre vie en dehors des codes que tentent d’imposer des dirigeants à l’ensemble des planètes et des peuples. C’est le peuple qui prend voix et qui s’extirpe du modèle imposé par les privilégiés, symbolisés par une mère et sa fille qui se mettent à régner grâce à leur simple nom de famille. Pour autant, ces sociétés répètent la même chose, avec une hiérarchie établie et une poignée de dirigeants privilégiés.

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© Corinna Bechko, Gabriel Hardman et Jordan Boyd. Invisible Republic, T.3, Bragelonne – Hi Comics.

Le pouvoir par le peuple

C’est d’ailleurs ce qui rend Invisible Republic si fort. Au-delà de la science-fiction ou de l’anticipation plus classique, Hardman et Bechko utilisent cette dualité entre le passé et le présent pour parler de conséquences, de cycle et parler d’une humanité incapable de changer. La remise en cause de l’héroïne et du dictateur est finalement une interrogation sur leur humanité, et le travail de Gabriel Hardman sur les dessins, accompagné par Jordan Boyd à la couleur, vient accentuer cette formidable critique. Les dessins sont d’une finesse et d’une profondeur géniale, alors que le duo ne cesse de s’améliorer d’un chapitre à l’autre. Tantôt le désespoir du présent et d’une société détruite par l’individualisme, tantôt le voyage vers une jungle sauvage, les dessins de Hardman racontent chaque scène avec la précision qui lui est propre. Ses dessins sont essentiels à la narration imaginée avec Bechko, ce sont eux qui nous transportent dans ce monde futuriste qui nous ressemble tant.

Le charme de Invisible Republic n’a d’égal que la force de sa narration. Corinna Bechko et Gabriel Hardman livrent un troisième tome qui dépasse les attentes, dans une perpétuelle remise en cause des figures qui fondent leur monde. L’idéalisme se heurte à la violence, et les questions mettent à mal la manipulation des informations. Encré dans son époque, Invisible Republic est incontestablement un grand comic book, et on aurait bien tort de s’en priver.

Critique réalisée à partir d’un exemplaire envoyé par les éditions Bragelonne – Hi Comics.

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