Les Misérables, la rage du peuple

Prix du Jury à Cannes en mai dernier, représentant Français aux prochains Golden Globes et Oscars, Les Misérables a fait grand bruit depuis plusieurs mois. Prolongement de son court-métrage du même nom sorti en 2017, le film est sorti il y a quelques semaines et se révèle déjà être en succès en salles.

Stéphane (incarné par Damien Bonnard) a demandé sa mutation en région parisienne, il se retrouve au sein de la brigade anti-criminalité (BAC) de Montfermeil où il fait équipe avec Chris (Alexis Manenti) et Gwada (Djibril Zonga). Il y découvre une banlieue abandonnée où son supérieur direct, Chris, abuse régulièrement de son autorité.

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L’illusion d’une victoire

On en a tous entendu parler. L’attente implique une exigence, peut-être exagérée, face à des critiques dithyrambiques depuis sa projection à Cannes en mai dernier. Et la première heure des Misérables de Ladj Ly présente un film réussi, une œuvre intéressante mais pas sans défaut qui laisse présager quelque chose d’inachevé, comme un appétit qu’on ne parviendra pas à assouvir. Et puis vient sa conclusion, quelques trente dernières minutes où tous les essais, toutes les idées s’imbriquent avec une facilité folle pour offrir un moment de grâce. La maîtrise des lumières, du son, la couleur d’une justesse géniale dans la scène de la cage d’escalier, son rythme et sa rage majestueuse ; dans son dernier souffle, Les Misérables devient un très grand film. Parce qu’au-delà d’incarner la vision sociétale de son réalisateur, il est cet élément cinématographique qui lui vaut avec tant de mérite ces nombreuses critiques et nominations, tant nationales qu’aux Oscars. Le réalisateur a sa propre manière de filmer la « cité », un regard à hauteur d’homme avec une caméra pratiquement toujours au plus près de l’action, sans pour autant abuser de la shaky cam lors des scènes « d’action » où, paradoxalement, il a tendance à prendre plus de recul. Un choix d’ailleurs incarné par ce drone qui offre quelques plans fabuleux sur Montfermeil, un drone qui s’avère d’ailleurs être un élément central de la rage du récit.

Cette rage est celle du peuple. Un peuple pourtant porté par la victoire de l’équipe de France à la Coupe du Monde 2018, les premières images du film nous montrent la liesse populaire, celle de jeunes de tous milieux sociaux qui se réunissent sur les Champs-Élysées pour vivre ce moment de fierté et de bonheur. Mais le lendemain tout est fini, chacun retourne à son quotidien. Pour les héros de Ladj Ly, ce quotidien est celui de Montfermeil en banlieue parisienne, où l’État abandonne ses prérogatives en laissant la BAC faire tout ce qu’elle veut quitte à provoquer la haine, tandis que le peuple est baladé entre l’influence de ceux (délinquants, religieux…) qui profitent bien de la situation. Pourtant Les Misérables aborde ces problèmes sous un autre angle, celui du peuple pris entre deux feux. Si la caméra de Ladj Ly suit au plus près l’action des trois policiers de la BAC, c’est la « cité » qui vit et qui déclame toute sa détresse face à eux. Les jeunes sont les héros de l’histoire : le gamin avec son drone, l’autre accusé de vol, et tous ceux qui ne comprennent pas pourquoi ils sont visés avec une telle violence par ceux qui sont censés incarner l’autorité (étatique, mais également l’autorité de ceux qui prétendent défendre le quartier). La misère profite à beaucoup de monde, et c’est à mon sens ce que le réalisateur souhaitait montrer, l’idée que cette misère est à la fois cause et conséquence des nombreuses formes de violences (physique ou morale) qui s’expriment.

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Abandon et rejet

Librement inspiré par l’œuvre de Victor Hugo, Les Misérables de Ladj Ly sont ceux de notre époque, qu’il filme avec une tendresse assez formidable. Les mouvements de caméra sont dynamiques, le montage est une réussite, la mise en scène atteint parfois des sommets. Sa conclusion dans une cage d’escalier est d’ailleurs un exemple de maîtrise : les couleurs sont incroyables, la mise en scène profite de l’espace clos pour instaurer une tension presque suffocante. On pourrait aligner les poncifs, parler de « choc » et autres idées similaires, mais il faut bien avouer que le réalisateur fait fort et offre un vrai, grand moment de cinéma dans ces derniers instants du film. Pour le reste, son casting est d’une grande qualité. Les gamins, Djibril Zonga, Alexis Manenti, tous jouent leur partition avec justesse, témoins d’une révolution rêvée par des jeunes qui veulent vivre autre chose.

Misérables de notre époque, sa rage ne se laisse plus bercer par l’illusion d’une journée où tout semblait parfait. Aux bords de l’implosion, le peuple se révèle et rêve de sa révolution face à ceux qui profitent de la misère. Maîtrisé, atteignant un moment de grâce sur sa conclusion, le film de Ladj Ly est à la hauteur des attentes qu’il suscitait. On lui souhaite un beau succès, et pourquoi pas quelques récompenses internationales qui viendraient couronner le tout.

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