Sorti dans nos contrées au début de l’année, Asako I&II ne m’est arrivé entre les mains qu’au début de l’été, peu de temps après sa sortie en DVD. Romance d’une douceur formidable, sous de faux airs amers où le fantasme du premier amour devient le centre de tout, c’est une des plus belles pages du cinéma en 2019.
Asako (interprétée par Erika Karata) n’a aimé qu’un homme, un homme mystérieux qui a fini par disparaître du jour au lendemain alors qu’ils s’aimaient tant à Osaka. Deux ans plus tard elle a refait sa vie à Tokyo, et s’apprête à se marier avec un homme qui ressemble comme deux gouttes d’eau à son premier amour.

Une fable moderne
Je dois bien avouer qu’avant de découvrir Asako I&II, en achetant par hasard le DVD car la pochette est jolie, je ne connaissais rien du cinéma de Ryusuke Hamaguchi. Difficile pourtant de rester insensible à sa proposition cinématographique dans un film où il évoque l’innocence des sentiments et la douceur d’un premier amour. Comme une fable romantique moderne, son héroïne représente la femme d’aujourd’hui : elle s’affirme dans ses volontés, ses rêves et fatalement, ses amours, rejetant ce que la société tente de lui imposer. Quand elle voit le premier homme qu’elle a aimé refaire surface, c’est toute sa petite vie qui est remise en cause. Ses sentiments deviennent plus forts que ce que chacun attend d’elle, la cantonnant à une vie bien rangée et c’est son futur mariage qui disparaît de l’équation. Le film de Hamaguchi offre quelque chose de familier, comme une plongée dans les doutes des uns et des autres ; est-on sûr de ce que l’on veut ? Est-on capables de renoncer au retour d’un premier grand amour ? Le premier amour est pour beaucoup de monde un grand souvenir, en bien ou en mal, mais surtout un élément presque inoubliable. C’est ce sur quoi le réalisateur japonais rebondit en racontant cette femme tiraillée entre le bonheur de son quotidien avec son futur mari, et l’aventure que symbolise le retour de son premier amour.
L’insouciance est partout, tant dans la manière d’évoquer l’amour que le quotidien de ses personnages. Asako vit sa vie avec innocence, une certaine forme d’optimisme anime d’ailleurs la première partie du récit. Hamaguchi la montre heureuse et sans histoire, entre moments d’affection avec son homme et de rires avec leurs amis. Puis peu à peu, ce quotidien qui semble idéal s’effrite pour laisser place à une autre « vérité ». La vérité des sentiments et des envies quand soudain réapparaît le premier amour qui l’avait quittée sans rien dire. La sécurité du quotidien s’oppose alors au hasard d’une relation fantasmée, et c’est bien là que le réalisateur brille le plus. Il évite l’écueil habituel de la romance où la jeune femme au quotidien morne découvre soudain le bonheur dans les bras d’un autre ; ici Asako a une vie paisible, sans folie mais pas sans joie. Ce n’est pas le bon et le mauvais qui s’opposent, mais plutôt la réalité et le fantasme. Erika Karata est d’ailleurs une vraie révélation, jeune actrice qui faisait là ses débuts au cinéma, et qui impressionne tant elle semble facile dans un rôle pourtant ambigu. Son jeu est précis, ses expressions sont déchirantes et elle donne une telle puissance aux dernières paroles prononcées par Asako qu’on imagine bien le bonheur que représente, pour un réalisateur, de travailler avec elle.

L’amour irrationnel
D’autant plus que Ryusuke Hamaguchi a une manière formidable de mettre en scène l’amour et son irrationnel. Ses plans sont somptueux grâce notamment à une colorimétrie qui traduit la violence des émotions, les désirs des uns et les rêves des autres. Il joue également avec la bande-originale pour marquer l’opposition entre la vie rêvée et le banal du quotidien, l’improbable de la situation s’inscrit pourtant dans un contexte bien réel rappelé tant par la musique que la composition des scènes, mettant ses personnages dans un quotidien qui nous évoque sans mal le notre. Le réalisateur avouait d’ailleurs s’être inspiré, avec son chef opérateur Yasuyuki Sasaki, du film Au gré du courant de Mikio Naruse que j’ai eu la chance de découvrir très récemment. On y voit en effet facilement des similarités dans la manière de mettre en scène ses personnages, préférant souvent des plans statiques pour laisser les acteurs créer le mouvement. Malheureusement toutes ces qualités visuelles souffrent d’une simple édition DVD à la compression vidéo caractéristique du format ; j’aurais aimé voir un Blu-ray arriver pour profiter d’une image dans une meilleure définition, mais on peut aisément comprendre pourquoi le distributeur s’est limitée à un simple DVD.
L’innocence des sentiments et l’amour irrationnel sont autant de prétextes pour offrir une romance douce-amère, où Ryusuke Hamaguchi fait parler sa science du mouvement et des couleurs. Asako I&II est une plaisir tant pour les yeux que pour l’esprit, tout particulièrement grâce à la justesse de l’interprétation de Erika Karata. Un des plus grands moments de cinéma cette année.