Kingdom surprenait l’année dernière. J’en parlais peu après sa sortie, la série coréenne concoctée par l’excellent Kim Sung-hoon (à qui l’on doit les non moins bons Tunnel et Hard Day) s’affranchissait de bon nombres de codes des « zombies » pour nous plonger dans une Corée du 19ème siècle en proie à une épidémie qui ranime les morts. Les zombies d’antan étaient terrifiants, mais le réalisateur les mêlait à une vaste intrigue politique et quelques éléments de burlesque dans des combats savamment chorégraphiés. Un mélange des genres très réussi, à tel point que la plateforme américaine nous livre cette année une deuxième saison, un fait relativement rare pour les productions coréennes qui s’en tiennent le plus souvent à des saisons uniques.
Dans sa quête pour retrouver son honneur, le prince héritier (incarné par Ju Ji-hoon) se heurte à une révélation terrible : autrefois apeurés le jour et ne sortant que la nuit, les zombies se réveillent désormais en pleine journée. Les croyances et théories sont remises en cause, et le chaos guette plus que jamais le pays.

La guerre des peuples
La révélation de fin de saison dernière laissant entrevoir quelque chose d’assez monumental pour la suite de la série. La première saison parvenait à construire un univers où les personnages pouvaient parfois se complaire dans une relative sécurité, la journée, en se préparant pour les assauts de la nuit. Finalement découvrir que les zombies sont sensibles à la chaleur plutôt qu’à la lumière -et qu’avec l’arrivée de l’hiver, ils vont se balader de jour comme de nuit- permet à cette saison 2 d’embrayer sur autre chose. Exit les temps morts et le repos, place à un chaos général qui est annoncé dès le premier épisode avec l’assaut des zombies sur des murailles vaillamment tenues par des soldats dépassés par la situation. Mais une fois passée une introduction haute en intensité, Kingdom retombe vite sur ses intrigues politiques et ses petits complots, avec une mise en route particulièrement fastidieuse puisqu’il faut attendre la deuxième partie de saison (qui ne compte encore une fois que six épisodes) pour que les intrigues se révèlent à mesure que les masques tombent. Cela signifie aussi que l’intrigue est plus posée, et cela se ressent aussi dans les petites touches d’humour et de burlesque de la première saison qui disparaissent avec cette suite. Deux problèmes à cela : non seulement on perd ce qui faisait aussi le sel du premier, savant mélange des genres, mais en plus Kingdom a toujours cette terrible difficulté à insuffler de l’émotion et une dimension dramatique. Je regrette aussi amèrement que la série n’aille pas au bout de ses idées politiques, en esquissant quelques dilemmes moraux autour de l’idéal patriote et de la lutte des classes, mais sans jamais aller au bout des choses alors que le drama raconte une Corée profondément inégalitaire qui, à en juger par l’oeuvre cinématographique de Kim Sung-hoon, traduit sans nul doute un vif intérêt de sa part.
Et ce vrai manque en matière d’intensité dramatique relève probablement de personnages qui peinent à évoluer après la première saison. Unidimensionnels, ils ne sont pas plus aidés par des arcs narratifs qui n’arrivent jamais vraiment à nous impliquer émotionnellement. A tel point que la mort d’un personnage clé passe presque inaperçu, noyé au milieu d’une multitude d’autres scènes sans plus de force et quand bien même la mise en scène du moment fatidique est très réussie. Cela ne saurait remettre en cause cependant le talent de Ju Ji-hoon, Bae Doona ou encore Ryoo Seung-ryong, qui livrent des performances à la hauteur de ce qu’on peut en attendre. Attention quand même, malgré toutes ces déceptions face à une intrigue qui se densifie bien trop peu, d’autres choses font de la deuxième saison de Kingdom un moment des plus agréables : la Reine incarnée par Kim Hye-jun est surprenante et pour le coup superbement écrite. Au centre de l’intrigue, elle porte même sur ses épaules quelques unes des scènes les plus marquantes, bien aidée par la direction artistique qui fait encore des merveilles avec une photographie qui tire pleinement partie des décors. En pleine période Joseon, dans une Corée d’une autre ère, la série profite des quelques palais et sanctuaires de Séoul pour offrir des paysages somptueux.

Une beauté saisissante
D’autant plus que ces décors profitent de ce même sens de l’éclairage qui joue avec les ombres dans des scènes souvent très sombres dans un palais peu éclairé, une marque de fabrique de la première saison que l’on retrouve ici avec plaisir, bien que les scènes de jour soient plus nombreuses. On note aussi une belle utilisation de quelques ralentis qui magnifient certaines scènes ou encore le sens du symbole de chaque action, chaque plan capturé par le réalisateur alors que le drame et le chaos sont omniprésents. Kingdom a cette forte identité visuelle qui permet à ses réalisateurs, Kim Sung-hoon, l’auteur de la première saison et Park In-je, qui prend les rênes du deuxième au dernier épisode de cette deuxième saison, de livrer une copie presque parfaite, tant dans la mise en scène du chaos que dans la rigueur des manigances politiques. Et ce n’est pas un hasard, les deux sont de véritables réalisateurs de cinéma qui foisonnent d’idées comme l’ont prouvé leurs productions sur grand écran. Si Kim Sung-hoon a eu sa petite popularité avec Hard Day et Tunnel, on doit également le très bon thriller policier Moby Dick à Park In-je. Ils doivent aussi beaucoup aux chorégraphes des combats qui multiplient les idées, les trucs et les astuces sur chaque coup pour apporter une certaine originalité et des surprises dans la mise en scène des chorégraphies. Même si on aurait aimé peut-être que tout cela soit agrémenté d’une bande-originale plus qualitative.
Si sa fin esquisse une troisième saison qui part sur un contexte complètement différent et très excitant, cette deuxième saison de Kingdom déçoit un peu. Les attentes étaient peut-être trop élevées, mais si elle reste d’une grande qualité, elle ne parvient pas à s’extirper des maux de ses débuts ni à aller pleinement au bout de ses envies. Difficile toutefois de ne pas être admiratif du travail effectué sur l’image et ses décors envoûtants.