Nous voici rendus au neuvième Vidéoclub, cette chronique aussi irrégulière que passionnante à écrire sur ces films que l’on redécouvre sur le tard, en DVD ou même en VOD, qui à leur manière apportent encore beaucoup de douceur des années après leur sortie. Et quoi de plus évident que cette période trouble où les cinémas sont fermés pour aborder l’un d’eux : April Snow. Une romance si maline où je suis arrivé par curiosité et reparti bouleversé. Le film est sorti en 2006 dans nos contrées, un an plus tôt en Corée et surtout au Japon où il a connu un succès phénoménal.
In-su (joué par Bae Yong-joon) et Seo-young (interprétée par Son Ye-jin) viennent d’apprendre le pire : leurs époux respectifs sont victimes d’un grave accident de voiture. Ils ne se connaissent pas, mais ils vont pourtant découvrir dans la douleur que leurs époux étaient en réalité amants, une révélation qui les pousse à partager leurs peines.

Le remède amoureux
Derrière la caméra, Hur Jin-ho, cinéaste coréen pour lequel je ne pourrais écrire que d’interminables lettres d’amour. Fasciné par la passion qui peut enflammer la vie de deux personnes, il s’intéresse tout particulièrement au genre romantique. Malheureusement trop rare, son travail n’en reste pas moins d’une maîtrise assez fabuleuse, à l’image de Christmas in August et One Fine Spring Day qui lui ont permis d’acquérir une jolie popularité avant April Snow. Ces trois films forment presque une triptyque où le film dont je parle aujourd’hui constitue une douce et étonnante conclusion. April Snow n’a en effet pas grand chose de classique dans son approche du fait amoureux : le point commun entre les deux héros de son histoire n’est qu’une douloureuse révélation, celle de la tromperie des conjoints qui sont désormais dans le coma. La douleur se mélange à la haine et, l’étranger qui traverse la même peine devient l’un pour l’autre le seul confident. Isolés dans une ville en bord de mer en plein hiver alors qu’ils attendent le réveil de leurs conjoints pour avoir des réponses, une nouvelle relation se noue et les emmène dans un amour presque interdit. Trompés par leurs conjoints, ils apparaissent pourtant presque immoraux alors qu’ils en viennent à éprouver une attirance l’un pour l’autre au moment où leurs conjoints sont entre la vie et la mort.
Il se dégage de April Snow un charme qui subjugue et nous retient jusqu’à ses dernières secondes avec une force assez surprenante : Hur Jin-ho y dévoile sa manière très personnelle d’aborder la relation en train de naître en jouant sur les couleurs, offrant une délicatesse à l’image et une retenue qu’on pourrait presque qualifier de « terne » mais qui, pourtant, accentue la précision des expressions et des regards de ses acteurs principaux. L’interprétation de Bae Yong-joon est inévitable, forcément, l’acteur de films et séries romantiques le plus en vue à l’époque joue son rôle comme une partition. Précision et technicité sont les maîtres-mots d’un acteur qui ne laisse rien au détail, encore moins lorsque son personnage se dévoile et s’ouvre à sa partenaire. Cette dernière est interprétée par Son Ye-jin, une actrice pour laquelle je ne cesserai jamais de clamer mon admiration. Toujours juste et ce peu importe le rôle, elle incarne dans April Snow cette humilité et humanité qui transcende la douleur d’une situation chaotique. A peine un an après sa performance inoubliable dans A Moment to Remember, l’actrice incarne ici ce que je considère comme l’un de ses plus grands rôles. Elle répond à la délicatesse de l’image une élégance qui sied bien à la figure romantique incarnée par Bae Yong-joon, les deux formant un couple à l’alchimie finalement assez rare.

Les neiges du bord de mer
Il serait dommage enfin de ne pas aborder une des références de Hur Jin-ho et si le parallèle ne s’arrêtera qu’à la manière d’utiliser le décor, le choix du bord de mer comme cadre de l’histoire rappelle le cinéma de Jacques Demy à la manière de La baie des anges (1963). Le film de Hur Jin-ho observe le deuil au prisme du vent de liberté inspiré par un tel cadre, où la tristesse se mue peu à peu en une sensualité des gestes, des regards et des plans. Une scène d’amour que compte le film est d’ailleurs un exemple de sensualité, sans jamais céder à la facilité du vulgaire. Le basculement entre deuil d’une relation et la naissance d’une nouvelle se fait en bord de mer et évoque aussi bien la liberté de ton de la Nouvelle Vague que cette nouvelle génération de cinéastes coréens au début des années 2000 qui tentaient d’insuffler un nouvel élan à leur cinéma.
Hur Jin-ho reste encore aujourd’hui une référence dans le cinéma romantique coréen, son April Snow vient conclure ses réflexions sur l’amour et offre une délicate approche sur le deuil et la naissance des relations amoureuses. Passionné, le film bouleverse par sa capacité à sublimer des personnages imparfaits qui se redécouvrent et apprennent à aimer, isolés en bord de mer sous des neiges inattendues.