En 2017, le réalisateur Ben Rekhi partait aux Philippines pour y tourner un film sur un sujet important : la guerre contre la drogue du président Philippin, Duterte. Provoquant des milliers de morts, sa politique passe sous l’œil du cinéaste en s’inspirant des histoires de celles et ceux qui l’ont vécu et le vivent encore, dans un film intitulé Watch List, qui sort en VOD uniquement ce 11 juin.
En tant qu’ancienne consommatrice de drogue, Maria (incarnée par Alessandra de Rossi) est contrainte de se faire enregistrer avec son mari auprès des autorités dans le cadre de la nouvelle politique anti-drogue. Bien qu’ils n’y aient plus touché depuis longtemps, son mari est assassiné en pleine rue par des « justiciers », ses bourreaux laissant son corps au sol avec une pancarte le dénonçant comme dealer de drogue. A l’abandon, Maria puise dans des forces insoupçonnées pour trouver la vérité et confronter les autorités sur leur rôle dans l’affaire.

Un gouvernement criminel
Avant d’entrer dans la critique du film à proprement parler, il est important de dire quelques mots sur son sujet. En effet, la politique anti-drogue de Rodrigo Duterte est un désastre humain. Suite à ses promesses de campagne présidentielle où il affirmait qu’il mènerait une guerre aux trafiquants de drogues et aux consommateurs, il a lancé une fois élu une « Opération Tokhang » invitant les consommateur·ice·s et trafiquant·e·s de drogue à se rendre pour participer à des programmes de réhabilitation. Mais rapidement les choses ont pris une autre tournure : les personnes inscrites sur ces listes de surveillance ont peu à peu disparues, assassinées par la police qui prétendait la légitime défense, ou d’étranges « justiciers ». Une réalité insupportable qui a encore lieu aux Philippines, provoquant la saisine de la Cour internationale de Justice à La Haye contre Duterte pour une enquête sur un éventuel crime contre l’humanité, bien que celui-ci s’en lave gaiement les mains. Et c’est ce que raconte le film, Ben Rekhi affirmant avoir découvert cette histoire lors d’un voyage sur place, où il a rapidement entendu parler d’une femme qui aurait pris la décision d’aider la police, faisant partie des escadrons de la mort montés par l’autorité afin d’assurer la survie de ses propres enfants. Un sujet évidemment difficile que le réalisateur aborde dans un film émotionnellement lourd, racontant une femme laissée à l’abandon après la mort de son mari innocent, seule avec des enfants qui s’interrogent sur leur père et sur les actes de leur mère. Un film violent, mais surtout un film qui raconte aussi bien que possible l’horreur d’une politique qui n’a que faire des procès, où l’on traque des présumé·e·s coupables pour les abattre froidement en pleine rue. Les mensonges d’État sont nombreux, mais personne ne peut décemment les remettre en cause alors que la presse se fait une joie de paraphraser les rapports de police sans jamais imaginer qu’ils pourraient mentir (tiens tiens, j’ai l’impression de parler du traitement médiatique des violences policières en France).
Cette tolérance zéro à l’égard des personnes qui auraient un lien plus ou moins vague avec la drogue est insoutenable : les ONG estiment le nombre de morts aujourd’hui à plus de 20 000, en sachant que cela continue. Des personnes sont exécutées en pleine rue par des escadrons de la mort formés par des policiers en civil sur de simples soupçons, au mépris même de la moindre enquête, comme le raconte d’ailleurs le film dans une scène particulièrement forte où la question de l’innocence ne semble plus vraiment préoccuper les autorités. Mais ce qui frappe tout particulièrement dans Watch List c’est son héroïne qui devient rapidement bourreau, avec un réalisateur qui s’interroge sur ce qui peut pousser une femme à aider ceux qui ont brisé sa vie, pour protéger ses enfants. Un film fort qui doit tout à Alessandra de Rossi, une actrice impressionnante qui n’a de cesse de captiver en portant à bout de bras un rôle si difficile, mais pourtant terriblement humain, en opposition complète à la politique de son gouvernement. Il y a certainement beaucoup de courage de sa part, mais aussi et surtout un talent indéniable tant elle donne vie à ce personnage qui perd tout en l’espace d’une seconde. Il y a quelque chose de vrai là-dedans, quelque chose qui sonne comme un cri du cœur pour alerter sur cette réalité et sur ses conséquences.

Une nuit sans fin
Une réalité que le cinéaste dépeint d’une manière finalement assez proche d’un documentaire, notamment dans le travail de la chef opératrice Daniella Nowitz qui donne un grain si particulier au film. Les rues sombres, dans un été étouffant, donnent au film cette réalisation suffocante et particulièrement saisissante. Ingénieux et malin, le cinéaste raconte cette terreur avec dignité, au service des victimes. Et c’était indispensable, qui plus est pour un long métrage qui s’appuie sur de nombreux·euse·s acteur·rice·s du coin, qui sont en réalité des habitant·e·s sans expérience particulière dans le cinéma. Un peu comme si le film avait été tourné à la sauvette, entre deux rues surveillées par une police qui agit comme une milice.
Poignant et saisissant, le récit de Ben Rekhi sur la politique de Duterte est terrible. Fort de l’interprétation convaincante de Alessandra de Rossi dans un rôle difficile, Watch List est une plongée en enfer qui tape là où il faut, avec beaucoup de dignité et une capacité à raconter l’effroyable sans hésitation, sans retenue, en dénonçant une politique qui érige le meurtre en seule solution. Un super film qui aurait mérité une sortie en salles.