Sound of Metal, un besoin de renaître

Dans la petite liste des Oscars cette année, il y avait Sound of Metal. Le long métrage de Darius Marder qui a permis à son ingénieur du son Français, Nicolas Becker, de repartir avec une statuette, sort enfin cette semaine après avoir été repoussé à cause de la deuxième fermeture des cinémas en fin d’année dernière. Mené par un grand Riz Ahmed, le film met la lumière sur la communauté des sourd·e·s et malentendant·e·s, trop peu représentée au cinéma. En bonus, en fin de critique, quelques mots de Riz Ahmed que j’ai pu interroger en décembre dernier lors de la promotion du film avant sa nomination aux Oscars et le report du film.

Ruben (incarné par Riz Ahmed) est batteur dans un groupe punk, jusqu’au jour où il apprend qu’il sera bientôt sourd. Face à un son mode de vie entièrement remis en cause, Ruben et sa compagne Lou (jouée par Olivia Cooke) partent à la rencontre d’un centre qui assiste des sourd·e·s et malentendant·e·s.

© Sony Pictures Releasing International and Stage 6 Films

Réapprendre à vivre

Riz Ahmed et Olivia Cooke forment à l’écran un couple émouvant. Deux personnes brisées, rattrapées par des addictions, une nouvelle fois balayées par un drame. Car c’est un drame que ressent Ruben, lui qui a consacré sa vie à la musique et qui ne semble pas pouvoir s’imaginer ailleurs, même lorsqu’il apprend que les acouphènes qu’il ressentait en plein concert étaient annonciateurs de quelque chose de bien plus grave. Le batteur est désemparé face à la maladie, impuissant face à l’inévitable, et il lui faut trouver la force de réapprendre à vivre en acceptant sa condition, avec les changements que cela implique dans sa vie personnelle et professionnelle. Comme une renaissance, le film raconte l’éclosion d’un homme qui croyait avoir tout perdu, qui doit vaincre ses vieux démons pour se réinventer et passer outre le drame qui le touche. Entouré par un monde violent, il trouve des ressources au sein d’un organisme mené par Joe (joué par Paul Raci), un homme aux allures mystiques qui tente tout ce qu’il peut pour aider Ruben. C’est un film bouleversant, quelques plans sont d’une beauté folle et il est bien difficile d’oublier les incroyables dernières minutes du film. Mais c’est surtout une œuvre bienveillante, pleine d’empathie pour son héros et toutes les personnes qu’il croise. Des personnes d’horizons différents, aux histoires nombreuses et qui ont en point commun une résilience qui force le respect. Confronté au monde sourd et malentendant, Ruben apprend à être lui-même et à assumer ce qu’il devient peu à peu, réalisant que ce n’est pas la fin de sa vie.

Sound of Metal est surtout le rôle d’une vie pour Riz Ahmed, son authenticité et sa générosité frappe à l’écran. Son interprétation nous laisse ressentir aussi bien la bienveillance de son personnage, comme cette scène où il part à la rencontre d’enfants atteints de surdité, un moment aussi déchirant que porteur d’espoir, que sa rage et sa colère face à une situation si injuste. C’est un musicien, un batteur, habitué à tout contrôler et à agir à son rythme, des idées qu’il voit partir en fumée quand il est touché par une maladie sur laquelle il ne peut pas agir. Alors cela fait de Ruben un rôle difficile, ambigu, aussi attachant que parfois détestable, et c’est ce qui fait sa force. Riz Ahmed l’interprète avec une telle sensibilité qu’il en crève l’écran, lui qui était d’ailleurs mon favori parmi les nommés aux Oscars cette année. S’il n’a pas eu la statuette, il n’en tient pas moins un rôle référence. Cette qualité de jeu n’est toutefois pas une surprise, l’acteur déjà eu de multiples occasions de montrer ses talents, notamment dans la superbe série The Night Of.

© Sony Pictures Releasing International and Stage 6 Films

Une sensibilité de cinéaste

Le son joue évidemment un rôle important dans Sound of Metal, et c’est au Français Nicolas Becker que le réalisateur doit les plus belles réussites du film. Ils ont en effet travaillé main dans la main pour faire du son un élément fondamental, en travaillant sur les transitions, sur le sentiment d’isolement du héros, sur le bruit qui s’estompe ou le silence absolu de certaines scènes. Des moments forts. Darius Marder à la réalisation n’est par ailleurs pas en reste, avec quelques choix osés mais qui donnent au film un impact considérable. Il y a notamment ce choix de mettre Ruben et les spectateur·ice·s en situation de gêne, en les excluant parfois de l’action. Je pense à cette mise en scène de la langue des signes, qui n’est pas retranscrite en sous-titres quand Ruben ne la comprend pas, de manière à immerger un peu plus dans ce nouveau monde que cet homme doit apprendre à maîtriser. Inversement, tous les dialogues sont sous-titrés, peu importe la séance choisie au cinéma, afin que le film puisse être accessible à tous et toutes. Ce combat pour la représentation est central au film, un point sur lequel j’ai eu la chance d’interroger Riz Ahmed. Une question à laquelle il a répondu l’importance d’un tel film.

Je pense que ce film est un pas en avant pour la représentation des sourd·e·s et malentendant·e·s à l’écran, et ce n’est pas moi qui le décide ou qui le dit, c’est ce que j’entends de la part de nombreux·euses spectateur·ice·s sourd·e·s. Mais je pense que le plus important c’est de garder en tête, et il ne faut pas se tromper, qu’en tant que personne entendante on ne représente pas les sourd·e·s et malentendant·e·s. Comme l’a dit Darius [Marder] par le passé, cette communauté se représente elle-même dans le film. Tous les personnages sourds dans le film sont incarnés par des personnes qui le sont réellement. Il y a beaucoup d’improvisation, de moments vraiment authentiques, comme la scène du dîner qui est le genre de chose qu’on ne voit que rarement, voire jamais au cinéma. Et ça ressemble à ce que pourrait être un vrai dîner pour une famille sourde et malentendante, où il y a du bruit car chacun attire l’attention des autres en tapant sur la table. C’est le genre de chose qu’on ne peut pas vraiment imaginer, donc je me sens privilégié de faire partie d’un projet où la communauté sourde et malentendante peut se représenter elle-même, d’une manière non monolithique et plutôt diverse comme l’est la culture sourde. Car il y a des expériences différentes, des histoires différentes, des « CODA » (ndr : child of deaf adult, une personne élevée par un ou des parents sourd·e·s), des personnes nées sourdes, des personnes avec ou sans implants auditifs, des personnes qui parlent, d’autres qui utilisent le langage des signes ou les deux. Tout est dans le film, c’est ce qu’est la culture sourde. Donc je me sens privilégié, avec les questions communautaires on peut être parfois confus, en se disant ‘c’est mon boulot de me battre pour la représentation des gens qui me ressemblent’ mais je ne pense pas qu’il faut faire ça. Quand on partage les cultures c’est une victoire pour tout le monde, par exemple Crazy Rich Asians c’était une victoire pour toutes les personnes qui veulent partager jusqu’à un point où on n’oppose plus ‘eux’ et ‘nous’, il n’y a plus que ‘nous’. Donc si les gens font un pas en avant et s’attachent, s’identifient à des personnages sourds et malentendants, c’est une victoire, culturellement, pour chacun·e d’entre nous.

Riz Ahmed

Enfin, je lui ai demandé ce qu’il pensait de l’évolution de l’industrie sur la question de la représentation, notamment sur les rôles qui lui sont proposés. Riz Ahmed a montré une nouvelle fois -s’il le fallait- qu’il est, vraiment, un grand homme.

Je pense que ça peut être trompeur de ne parler que de mon expérience, ou celle d’une autre personne, individuellement. Quand on regarde les choses de manière générale, on s’aperçoit qu’il y a encore beaucoup de travail pour la représentation. Par exemple la représentation à l’écran des femmes originaires du Moyen-Orient et d’Asie du sud-est, les femmes de couleur en particulier. Il y a beaucoup de choses à améliorer. Pour moi, personnellement, j’ai ma propre histoire et il y a encore des batailles à mener, mais de belles choses arrivent comme Sound of Metal qui est un cadeau pour lequel je suis reconnaissant.

Riz Ahmed

Sound of Metal a ce goût que l’on retrouve uniquement dans les films importants, ceux qui portent la voix des personnes que le cinéma ignore trop souvent. Souvent bouleversant et empli de bienveillance, le film de Darius Marder a ce quelque chose de spécial, en s’attachant à raconter un drame sous un angle porteur d’espoir et de douceur. Riz Ahmed confirme une nouvelle fois son immense talent, avec une prestation pleine d’authenticité et de sensibilité, comme on en voit finalement assez rarement.

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