Début septembre sortait dans nos contrées Butterfly Beast, un manga de Yuka Nagate sorti au Japon en 2010. La mangaka y raconte une kunoichi (une femme ninja) qui, au 17ème siècle, se fait passer pour une courtisane dans un haut lieu des plaisirs de la capitale. Son objectif : traquer et assassiner les shinobi qui se sont écarté du droit chemin.
Critique écrite à la suite de l’envoi d’exemplaires par l’éditeur.
« 1635, début de l’ère d’Edo. Le Japon savoure une paix fragile, après une longue période de guerres féodales, mais dans l’ombre des guerriers laissés pour compte sévissent encore. Dans le quartier des plaisirs de la capitale, Ochô est une kunoichi, courtisane de haut rang le jour, assassin la nuit. Sa mission : traquer sans relâche ses anciens frères d’armes dévoyés. » (Mangetsu)

Courtisane assassine
Ce qui attire l’œil avec Butterfly Beast au premier abord, c’est son contexte. L’époque d’Edo au Japon captive autant qu’elle inspire les fantasmes, point central de nombreuses productions audiovisuelles, mais aussi ultra-présente en matière de manga et anime, tant cette époque symbole de changements profonds dans l’organisation politique et sociétale du Japon laisse la place à l’imagination. Et Butterfly Beast de Yuka Nagate fait partie de ces nombreuses œuvres qui romancent cette époque, en racontant cette femme ninja devenue courtisane, sous couverture, dans un quartier « chaud » de la capitale Japonaise, où elle profite de son statut qui attire les hommes pour mieux traquer et assassiner les shinobi, des ninja, qui ont dévié du droit chemin. Un droit chemin incarné par l’ordre et la confiance accordée à un seigneur, un ordre qui s’est éclaté au moment de la fin des guerres féodales avec des guerriers laissés à eux-mêmes. Ses cibles, toujours des hommes, incarnent cette brutalité à laquelle elle oppose un certain honneur, qu’elle incarne malgré un statut de courtisane qui laisse croire à la plupart des hommes qu’ils peuvent lui manquer de respect. On y trouve également un sous-texte sur la lutte des classes, avec des castes à la hiérarchie bien déterminée, et une thématique autour de l’asservissement des guerrier·re·s à des seigneurs de guerre, ou bien des courtisanes soumises à des sortes de maquereaux qui s’affranchissent des règles pour gonfler leurs gains.
Cette courtisane assassine incarne une histoire accrocheuse, qui nous met de suite dans l’ambiance d’un Japon qui court à sa perte, déchiré entre les nostalgiques de la féodalité et celles et ceux qui rêvent d’une autorité centralisée. Yuka Nagate y livre surtout une analyse fine, avec des dialogues et des thématiques bien menées, où la prostitution et la traque des « dévoyés » par une chasseresse déterminée sert un propos foncièrement féministe. Elle y parle d’émancipation, et plus généralement de capacité pour une femme à agir sur son propre destin dans une société entièrement dévouée aux hommes. Ces deux tomes parviennent à installer un univers violent, tant par les mots que par les actes, où l’autrice laisse libre court à la quête d’une femme prête à tout pour sauver son honneur, mais aussi celui des siens. Plus encore, c’est un personnage nuancé, bien écrit, tantôt attachante, tantôt effrayante, qui symbolise l’ambiguïté d’une société en mutation où d’anciens guerriers ne trouvent pas leur place et finissent par tomber dans le crime.

Une beauté indescriptible
Ces deux tomes, en attendant la suite intitulée Butterfly Beast 2, offrent des scènes fortes, des émotions mais aussi montrent une vraie capacité pour la mangaka de mettre en scène les assassinats et les doutes de son héroïne Ochô, qui devient presque super-héroïne tant elle impose sa force et sa malice face à des hommes qui ne peuvent rien faire contre elle. Enfin, le manga marque aussi pour la beauté de ses dessins, notamment quelques illustrations en couleur qui sont absolument sublimes, mais plus encore c’est la beauté des personnages qui donnent au manga une identité tout à fait particulière.
Ce qui frappe dans Butterfly Beast, c’est la capacité de son héroïne à séduire autant qu’elle inquiète. Tant pour sa réussite visuelle que narrative, Yuka Nagate livre une œuvre complète, dense, qui a tant de choses à dire sur son époque et la manière de fantasmer l’ère d’Edo. Loin de la rédemption, son héroïne cherche la paix dans une quête vengeresse qui fait résonner de nombreuses thématiques traitées avec finesse. C’est une très belle œuvre.