L’horreur a le vent en poupe chez Mangetsu, éditeur qui reprend peu à peu les œuvres de Junji Ito pour les remettre sur le devant de la scène. Mais le maître de l’horreur dans le manga en a inspiré d’autres, à l’image de Hirohisa Sato qui, avec Shigahime, reprenait des thèmes chers à Ito. Notamment celui de la séduction, formidable moyen pour un monstre de mettre la main sur le cœur des hommes.
Cette critique a été écrite suite à l’envoi d’un exemplaire par l’éditeur.
« Osamu Hirota aurait pu poursuivre sa vie tranquille de lycéen si seulement…
Il n’avait pas suivi le solitaire Soichi jusqu’à un étrange manoir.
Il n’y avait pas rencontré l’envoûtante Miwako.
Il n’était pas devenu le familier d’une vampire immortelle.
Pour garder forme humaine et sauver celle qu’il aime, Osamu doit désormais chasser sans relâche. Comment fera-t-il face à sa nouvelle vie ? » (Mangetsu)

Destin funeste
Évoquer l’horreur dans le manga, qui plus est avec une femme qui se sert de son pouvoir de séduction pour attirer ses victimes, fait inévitablement penser à Junji Ito. Le mangaka, passé maître dans l’horreur, ne cesse d’inspirer des générations d’auteur·ice·s dont semble très clairement faire partie Hirohisa Sato. Miwako, qui évoque à bien des égards la Tomie de Junji Ito pour son apparence et sa manière de chasser ses proies, profite en effet de sa beauté pour attirer quelques lycéens un peu « losers » qui rêvent de connaître les joies de l’amour. Mais le piège se renferme vite sur eux, et sur l’un en particulier, Osamu Hirota, qui se retrouve vite condamné à devenir le « familier » de Miwako, sorte de servant. La belle se révèle en effet être un monstre, une sorte de vampire qui ne peut se montrer au soleil, dont le visage se déforme pour laisser apercevoir quelque chose d’horrifique. Cette femme qui profite de la vanité des hommes fascine autant qu’elle inquiète, évoquant les déformations visuelles d’une Tomie, et référençant aussi une horreur plus traditionnelle relative aux vampires. Cela fait d’elle une sorte de monstre moderne, quelque chose qui profite de la perversité des hommes et de leur incapacité à réagir face au danger.
Cela donne au manga une ambiance dérangeante et malsaine, où la cruauté se mêle à la séduction, plaçant ses personnages face à leurs propres vices. Si les adolescents se laissent prendre par Miwako, c’est aussi parce qu’ils sont incapables de passer outre leurs désirs, et qu’ils se laissent guider par la promesse invraisemblable d’une nuit d’amour avec la femme de leurs rêves. On découvre ces horreurs dans les yeux d’un adolescent qui ne comprend pas trop ce qu’il lui arrive et qui, transformé lui-même en monstre, doit apprendre à vivre avec et s’accommoder d’une nouvelle vie au service de Miwako. Une vie où il doit lui obéir au doigt et à l’œil pour donner une chance de survie au véritable amour de sa vie. Et cela passe autant par un rapport terrible à la violence et à la cruauté, qu’à la capacité de Osamu s’extirper de situations impossibles. Parce que Miwako pousse ses proies à en chasser d’autres, à lui ramener de nouveaux butins, des cœurs frais qu’elle pourra dévorer. Le manga de Hirohisa Sato impressionne pour l’ambiance qu’il arrive à poser, fort d’influences qu’il sait maîtriser et bonifier à sa manière, même si le manga manque souvent de la finesse d’un Junji Ito.

Inspirations horrifiques
Visuellement réussi, l’univers visuel dégage quelque chose de charmeur, dans l’esprit de séduction, malgré l’horreur qui va crescendo jusqu’à devenir particulièrement écœurante. Hirohisa Sato a parfaitement su doser l’équilibre entre la séduction et la monstruosité, faisant de Shigahime un manga capable de charmer malgré l’intensité de quelques scènes où l’horreur prend le pas sur le reste. Cela donne envie d’y revenir et d’en voir plus, comprendre ce qu’il se passe et voir si Osamu va trouver un moyen de survivre. On a envie d’en apprendre plus sur Miwako, comprendre son histoire et découvrir ce qui la motive, savoir si elle n’est qu’un monstre parmi d’autres ou si une histoire plus funeste ont fait d’elle ce qu’elle est aujourd’hui. Alors il est difficile pour le moment d’imaginer ce que nous réserve la suite de Shigahime, mais à supposer que le manga ne tombe pas dans le gore bête et méchant, ce premier tome laisse planer un potentiel formidable.
Au-delà de ses inspirations évidentes, Shigahime est capable de poser son ambiance, son univers et de nous emporter grâce à Miwako, sorte de vampire séductrice qui cache bien des choses. Souvent inquiétant et dérangeant, le manga mélange l’horreur à quelque chose de plus réel, grâce à un héros ancré dans le réel qui ne cesse de se débattre et de chercher à retrouver une vie normale. Il est bien compliqué de savoir où Hirohisa Sato nous emmènera, mais on va, pour le moment, le suivre avec grand plaisir.