Un jeu, une histoire #1 : Max Payne

« Un jeu, une histoire » est une nouvelle rubrique que vous retrouverez plus ou moins régulièrement sur le blog. L’objectif de celle-ci est de présenter des jeux, qu’ils soient anciens ou récents, qui ont dépassé le simple cadre et ont laissé leur empreinte dans le média : qu’ils aient traité d’un sujet historique ou d’actualité, ou qu’ils aient mis en jeu des mécaniques nouvelles. Si j’ai choisi de lancer cette nouvelle chronique avec Max Payne ce n’est pas un hasard. Il fait d’abord partie de la poignée de jeux vidéo qui m’ont fait comprendre l’impact qu’une narration maîtrisée peut avoir sur le joueur. Sorti à une époque où je n’étais qu’un pré-adolescent, il m’a fallu quelques années pour appréhender le jeu de la meilleure manière et me rendre compte qu’il était un peu plus que ce jeu hyper violent que l’on nous vendait à l’époque. Mais c’est aussi un jeu qui a marqué l’histoire de son média, et l’a fortement influencé.

Max Payne est un policier modèle, à la vie de famille de rêve. Celui qui vit le « rêve américain » voit son monde voler en éclat alors qu’un soir en rentrant chez lui il découvre sa femme et son fils froidement assassinés. Trois ans plus tard il est en couverture dans le milieu mafieux, son objectif est de faire tomber ceux qui exploitent cette nouvelle drogue, la « Valkyrie », sous l’emprise de laquelle étaient ceux qui ont assassiné sa famille. Mais sa vie n’est qu’une longue descente aux enfers, il tombe en dépression et se drogue aux antidouleurs : celui qui était autrefois un modèle pour ses pairs se retrouve désormais plongé dans une vendetta où il y laissera probablement le peu d’humanité qu’il lui reste.

UnJeuUneHistoireMaxPayne (2)

Max Attacks

Max Payne a marqué l’histoire du jeu vidéo. S’il n’a pas laissé un souvenir impérissable à certains joueurs, ou qu’il a relativement mal vieilli, il fait partie des classiques. Ces classiques pour leurs qualités intrinsèques, mais également pour leur impact sur un média encore jeune. Que l’on ait aimé le jeu ou non en son époque, il s’est en effet distingué pour de nombreuses raisons, et un peu plus en portant en le regardant avec du recul. Le jeu sorti en 2001 est l’un des premiers à avoir utilisé le « bullet time », ce moment où l’action est ralentie lors des fusillades : un concept utilisé à outrance dans le film Matrix deux ans plus tôt, ce qui a valu d’ailleurs à Max Payne d’être comparé au film des Wachowski, chacun affirmant que les développeurs de Remedy avaient repris l’idée. Ce qui est plutôt faux, puisque le développement du jeu a commencé avant la sortie du film et le bullet time était déjà un élément central du gameplay. Cela dit, et du fait de l’évidente proximité entre les deux oeuvres, les développeurs ont voulu surfer sur le succès de Matrix en lui rendant des petits hommages ici et là au cours de l’aventure. Le jeu de Remedy apparaît donc comme un excellent exemple de la synergie qui peut s’installer entre le cinéma et le jeu vidéo : s’il reprend souvent ses codes, le jeu vidéo peut aussi s’en servir pour le dépasser et proposer quelque chose de différent.

D’autant plus que Max Payne est un jeu vidéo très marqué par l’histoire récente du cinéma. En 2001 on vient à peine de sortir de trois décennies de films mettant en scène des flics souvent torturés, parfois plutôt sympas. De Serpico, quasi-justicier face à la corruption ambiante, au sur-homme John McClane, les représentants de l’ordre exercent une fascination auprès des réalisateurs qui y voient là d’excellents moyens de proposer des films policiers tantôt dramatiques, tantôt bourrés d’action, alors qu’ils luttent pour rétablir l’ordre. Mais leurs méthodes sont souvent à la limite de la légalité, et c’est un point qu’on va vite retrouver chez Max Payne. C’est l’exemple type du flic modèle, que tout le monde aime et avec une vie de famille heureuse. Mais au moment où ses proches sont attaqués, il change radicalement et devient un homme assoiffé de sang, mais aussi de vérité. C’est finalement le pendant noir de John McClane : si pour le flic incarné par Bruce Willis tout se termine en général plutôt bien malgré un massacre dont il est responsable, pour Max Payne la descente aux enfers ne s’arrête jamais. Ces influences cinématographiques sont évidentes, et on sent que le jeu s’est construit dans la tête de son scénariste Sam Lake grâce à des décennies passées dans les salles obscures.
Bien sûr les influences du jeu ne se limitent pas aux films d’action hollywoodiens, et on peut citer surtout les films de John Woo et son acteur fétiche Chow Yun-fat. Celui-ci a été une énorme inspiration pour les développeurs, qui se confirme au détour d’un dialogue où le héros Max fait référence à l’acteur chinois. Au-delà du cinéma, on y trouve des références à  H. P. Lovecraft ou encore à la mythologie nordique : Max Payne est un jeu qui s’inscrit dans son époque et qui s’appuie sur tout l’imaginaire que la culture populaire a mis dans la tête de son auteur.

Celui qui façonna le jeu d’action

Pourtant si on se souvient encore aujourd’hui de Max Payne, et c’est le point central de cet article, c’est surtout pour son influence sur le média. Les générations de joueurs les plus jeunes ne vont probablement pas connaître ce jeu, car s’il est absolument excellent (et je le conseille à tout le monde) et qu’on y fait parfois encore référence, il n’a jamais fait l’objet d’une éventuelle remasterisation. Certes il ne date que de 2001, mais les jeux de tir à la troisième personne sont suffisamment nombreux aujourd’hui pour que personne, à part les fans de l’époque, ne cherche encore à y jouer. Malgré tout c’est celui qui a installé et popularisé le bullet time dans le jeu vidéo, et c’est un élément de gameplay qu’on retrouve aujourd’hui dans une très grande partie des jeux d’action. Parfois déguisé en compétence spéciale comme celle de ralentir le temps, ou en bonus temporaire à récupérer ici et là, le bullet time est devenu un élément que l’on peut presque considérer comme habituel dans les jeux d’action. S’il faut citer des exemples, je retiendrais F.E.A.R. et Red Dead Redemption, qui en reprenant la mécanique ont su se l’approprier et en fait un élément de gameplay intéressant. Ce qui n’est pas le cas de tous, puisque si Max Payne a rendu viable la mécanique sans qu’elle ne porte atteinte au challenge offert par le jeu, certains jeux ont vu toute forme de difficulté disparaître grâce à cette capacité à ralentir le temps lors des fusillades (je pense notamment à Quantum Break du même studio que Max Payne, ou TimeShift). C’est aussi là que se situe la limite : les développeurs qui ont bêtement repris la mécanique se sont souvent pris les pieds dans le tapis, tandis que les autres ont su saisir l’importance de l’adapter à des situations radicalement différentes de celle du jeu original.
Mais le jeu innovait aussi sur d’autres points, comme sa narration, en mêlant à la fois des cutscenes au style « comics » et de longs monologues que se faisait le héros dans sa tête alors qu’il parcourait les différents lieux. Chaque niveau était d’ailleurs une excuse pour raconter des choses : du premier niveau où la lente descente aux enfers du héros est mise en scène par sa progression dans sa grande maison, en passant par un bordel cynique où les télévision encore allumées semblent s’adresser à l’histoire du héros, jusqu’à cette descente mémorable dans un immeuble surprotégé, Max Payne utilise tous les moyens mis à sa disposition par le jeu vidéo pour raconter une histoire certes classique, mais parfaitement mise en scène. Ce n’est pas un hasard si le jeu a été adapté au cinéma, mais j’y reviendrais peut-être un jour dans un autre article.

Il y a tant de choses à dire sur Max Payne. A première vue un jeu de tir à la troisième personne sans rien de spécial, il s’est d’abord distingué par un scénario soigné et un gameplay, pour l’époque, absolument jouissif. Mais avec le temps on a pu observer son influence sur les jeux d’action qui ont tour à tour inclus le concept de bullet time, décliné de toutes les manières possibles et imaginables, et y revenir quelques années après m’a fait prendre conscience de tous ses qualités. Ses qualités narratives bien sûr, mais aussi tout ce qui l’a influencé. Son scénariste Sam Lake a été abreuvé aux films d’action, et il s’en est servi pour poser les bases du jeu d’action moderne.

Publicité

4 commentaires sur “Un jeu, une histoire #1 : Max Payne

  1. Tu avais raison, c’est super intéressant comme nouvelle rubrique.

    Pour illustrer le rapport qu’entretient le jeu vidéo et le cinéma via Max Payne, on peut évoquer l’excellent épisode de Crossed consacré au film. Notamment le passage où Karim Debbache compare la manière dont Max découvre la mort de sa famille dans le jeu et dans le film, qui montre bien la différence dans la montée de la tension de la séquence.

    Aimé par 1 personne

    1. Le film aborde en effet les choses d’une manière différente, avec des objectifs différents aussi. Je pense qu’il perd de vue l’intérêt de cette séquence dans le jeu qui, au-delà de la tension, est un quasi « résumé » des aventures qui suivront, dans sa construction. Bon après, c’est pas le seul mauvais point du film…
      Les vidéos de Karim Debbache sont excellentes en général, mais j’avais beaucoup apprécié sa comparaison sur Max Payne. Non seulement parce que ce jeu a une énorme importance pour moi, mais aussi parce qu’il a remarqué des choses dans le film que je n’avais pas forcément saisi au visionnage sous le coup du désespoir de voir ce jeu massacré.

      Aimé par 1 personne

  2. Très intéressante cette nouvelle chronique ! En plus ça permet de donner une « seconde vie » à des titres noyés sous un océan de nouveaux AAA en veux-tu, en voilà ! Moi aussi j’adore Max Payne et j’avoue, que comme toi, je n’ai pas saisi les vrais messages de ce jeu étant plus jeune… D’accord avec toi concernant F.E.A.R. et Red Dead Redemption, ces deux jeux se sont bien réappropriés les mécaniques de Max Payne, je dirais même que RDR les a sublimé ! @ pluche Anthony !

    Aimé par 1 personne

    1. Merci à toi :)
      Je suis un peu partagé sur Red Dead Redemption : si je comprends totalement la démarche artistique en utilisant le bullet time (représenter ces westerns où les cow-boys tirent « plus vite que leur ombre »), je remarque qu’en fin de jeu ce système provoque un certain déséquilibre et donne un avantage énorme au joueur…
      L’équilibre est toujours difficile à trouver avec le bullet time, et Max Payne l’a atteint dès son premier essai, ce qui montre encore un peu plus le talent des équipes de Remedy de l’époque.

      J’aime

Donner votre avis

Entrez vos coordonnées ci-dessous ou cliquez sur une icône pour vous connecter:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Image Twitter

Vous commentez à l’aide de votre compte Twitter. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur la façon dont les données de vos commentaires sont traitées.