A l’heure où des héritiers du nazisme réapparaissent publiquement au travers de l’Europe, le réalisateur allemand Fatih Akin propose In The Fade, un drame qui s’inspire des meurtres et attentats commis par le NSU dans les années 2000. Diane Kruger, en tête d’affiche, a reçue le prix d’interprétation féminine à Cannes pour sa performance.
Katja (Diane Kruger) et Nuri Sekerci (Numan Acar) se sont mariés alors que ce dernier était en prison pour trafic de drogues. Des années après, il s’est réinséré et travaille dans une entreprise de traduction et de contrôle des affaires fiscales. Un jour comme les autres, Katja dépose leur fils au bureau de son mari et, en revenant les chercher le soir, trouve la rue bloquée. Un policier lui annonce qu’un enfant et un homme ont été tués dans l’explosion une bombe artisanale, et des heures après, elle apprendra que c’était son fils et son mari.
Alors que tout indique qu’il s’agit d’un crime de haine, la police va se concentrer sur ses antécédents de trafiquant de drogue, refusant d’abord de reconnaître qu’il s’agisse d’un attentat commis par des néo-nazis.
Blood on the Wall
Entre enquête policière et deuil, le réalisateur nous propose un film atypique qui confronte l’Allemagne à de vieux démons qu’elle aurait aimé pouvoir oublier. Compte tenu des origines turques de son défunt mari, et alors qu’elle a vue la personne qui a posé la bombe, est convaincue qu’il s’agit d’un crime de haine. Son mari ne trempait plus dans les trafics et menait désormais une vie honnête, mais faire entendre sa voix sera extrêmement compliqué. Alors que la police s’attache plutôt à chercher dans les antécédents de la victime, la possibilité qu’il s’agisse d’un crime de haine, et qui plus est par un groupe néo-nazi, semble inconcevable. Pourtant les pièces du puzzle s’emboîtent très rapidement et on va assister à un procès terrible, mis en scène de la meilleure des manières par Fatih Akin. De la confrontation entre Katja et les néo-nazis à la révélation des circonstances, c’est des moments de tensions importants et surtout l’occasion de renvoyer tout un système à ses contradictions. Après avoir fermé les yeux la police est bien obligé de réaliser ce qu’il s’est passé, tandis que l’avocat des accusés s’attachera à faire de la victime un coupable.
Au milieu de tout cela, on retrouve Diane Kruger dans le rôle de Katja, saisissante. Celle qui a reçue le prix d’interprétation féminine à Cannes l’année dernière se place dans un personnage compliqué, tant par les émotions contraires par lesquelles elle passe que quelques scènes très fortes. Le moment où elle apprend enfin l’identité des victimes, ou la confrontation avec les responsables, ou encore la fois où la médecin-légiste explique l’étendue des blessures qui ont entraîné la mort des deux victimes, sont des moments clés du film sur lesquels Diane Kruger parvient à s’appuyer pour exprimer toute la détresse de son personnage. Car au-delà de la portée politique de cet événement, c’est avant tout une histoire humaine où des vies se brisent, une nuit qui aurait dû être comme les autres. On va voir l’héroïne sombrer peu à peu jusqu’à être méconnaissable, alors qu’elle ne peut plus supporter de voir une justice qui n’ose pas mettre des mots sur la réalité.
C’est un film très fort, les scènes dont je parlais précédemment sont terribles car elles traduisent l’horreur provoquée par un attentat, un attentat qui sera péniblement reconnu par certains protagonistes, préférant croire que les attentats ne sont pas commis par les néo-nazis. Cela donne lieu à des scènes surréalistes, mais surtout extrêmement dramatiques alors que tout un monde s’effondre autour de l’héroïne.
Dead Woman Walking
Cette dualité entre l’événement tel qu’il a été vécu par Katja et sa restitution au cours d’un procès où sa parole est constamment mise en doute est le point d’orgue du film de Fatih Akin. On sent qu’il a pris énormément de plaisir à mener ce procès, l’opposition entre les deux avocats mais aussi la vengeance qui se dessine chaque jour un peu plus dans la tête de Katja. Passionnant de bout en bout, la dynamique du film change totalement sur la fin et apporte une vision intéressante, certainement cynique que porte le réalisateur sur la société.
On notera également le soin apporté à l’image, les rues de Hambourg sous la pluie montrent un peuple occupé par ses propres affaires tandis qu’un événement retentissant se révèle dans l’enceinte glaciale d’un tribunal aseptisé, sans émotions ni compréhension.
In The Fade est une excellent film, tant dans sa manière de traiter le sujet que par la performance de Diane Kruger, qui montre une fois de plus la grande actrice qu’elle est. Le prix d’interprétation qu’elle a reçue est une évidence tant elle s’implique dans ce rôle, difficile mais néanmoins extrêmement touchant.