Live est une série coréenne en une saison réalisée par Kim Kyu Tae et disponible depuis quelques mois sur Netflix dans la gamme « Netflix Originals ». Apparente série policière, celle-ci prend une envergure inattendue grâce à des personnages d’une justesse intéressante.
Jung Oh (Jung Yu Mi) galère depuis l’obtention de son diplôme à trouver un travail. Dans une société hyper-compétitive, elle ne se sent pas en mesure de tenir tête à ceux qui convoitent les mêmes postes qu’elle, et finit par changer radicalement de plan de carrière : elle participe à l’examen d’entrée de la police. Un examen qu’elle réussira, et lui permettra de rencontrer Sang Soo (Lee Kwang Soo) à l’académie, un jeune policier en devenir qui lui aussi, s’est retrouvé là par hasard après avoir été victime d’une escroquerie dans la société pour laquelle il travaillait.
Carry Me
Live raconte la vie de ces jeunes, abandonnés par la société, qui vont finir par la servir. Dans une société où le patriotisme est preuve de bonne foi, la faute sûrement à une situation géopolitique compliquée, ces jeunes gens vont constamment s’interroger sur leur volonté. Ont-ils ce « sens du devoir » que tentent de leur transmettre leurs supérieurs à l’académie ? Sont-ils capables d’endosser les responsabilités qui incombent à l’immense tâche qu’on leur confie ? Ces questions quasi-existentielles sont celles qui vont porter les personnages au fil des dix-huit épisodes où la fonction de policier(e), de la tâche la plus quelconque, à la plus immorale, oriente leur vie et leurs pensées. Ces personnages ne sont finalement que des témoins d’une société qui va mal, où le crime n’est que symbole de ses dysfonctionnements. On n’est pourtant pas dans une série policière tout à fait classique, les enquêtes ne sont ici pas une finalité : chaque enquête sert un point de vue, un témoignage d’une vie faite de torts. Dans une société hautement conservatrice, le réalisateur Kim Kyu Tae et le scénariste No Hee Kyung mènent une série ambitieuse et terriblement intelligente en s’intéressant de front à des sujets presque tabous sur la péninsule coréenne comme la rébellion, donnant d’ailleurs une scène formidable au sein d’une université, les violences conjugales, la contraception ou plus généralement les droits des femmes. Live séduit par sa manière de s’intéresser à ces sujets, dans une société très « conservatrice » où ses œuvres, séries et films, suivent en général la tendance. S’il devient plus fréquent de voir des idées plus progressistes s’insérer dans la production audiovisuelle coréenne (comme Something in the Rain dont j’ai parlé récemment), Live en est très certainement l’un des meilleurs représentants tant ses personnages passionnent par leurs caractères très différents, mais tant représentatifs de leur génération. Les 25-35 ans n’auront aucun mal à se retrouver en eux, des doutes quant à un avenir incertain, la difficulté à se trouver une place et à adhérer à un monde du travail d’un autre temps. Mais on se retrouve aussi sans mal dans leurs espoirs, leurs luttes, leurs rêves et leurs désirs. Plus qu’une simple série policière, Live nous invite dans la tête d’une génération qui tente de bouger l’ordre établi.
Et tous ces thèmes sont sublimés par Kim Kyu Tae, génial réalisateur qui s’émancipe de standards de la télévision coréenne pour aborder le genre avec une mise en scène qui lui est propre. Souvent brut, il raconte les situations sans crier gare, en nous servant parfois une tension terrible qui se répercute sur des personnages façonnés au fil des épisodes. Au contraire de beaucoup de séries du genre, il ne perd pas de temps sur l’exposition : on sait rapidement à qui on a affaire, au départ des personnages assez classiques et attendus, mais qui vont gagner en profondeur au fil d’épisodes qui fondent leur personnalité. Personnes malléables ou naïves, leur expérience au sein d’une police de quartier au rôle en apparence pas déterminant, va produire en eux un électro-choc comme symbole du sursaut qu’aimerait offrir le créateur de la série à une société qu’il critique sans ménagement. Mais cette notion de police de quartier est aussi centrale, et source de questionnement pour des policier(e)s en devenir qui ont cru à un moment que leur vie serait celle des agents de police vus au cinéma. Au contraire, entre aider les personnes âgées et raccompagner chez eux les personnes en état d’ivresse, leur quotidien est teinté d’un sentiment de désamour alors que le peuple n’a aucune considération pour ses forces de l’ordre. Pour autant on n’assiste pas à une écriture à la gloire de la police : ici c’est les femmes et les hommes qui la composent auquel s’intéresse le réalisateur, d’autant plus que l’institution policière est dépeinte comme l’un des plus grands maux de la société, entre corruption politique et magouilles en tout genre. Ce cocktail explosif entre les maux d’un peuple et une poignée de jeunes idéalistes, rêveurs, donne l’une des meilleures séries que j’ai pu voir ces derniers mois.
The End of the Day
En effet, Live est d’une justesse formidable, tant dans sa manière d’exploiter à bon escient l’actualité plus ou moins récente, que dans les émotions que la série procure. Les personnages sont évidemment attachants, qui plus est lorsque qu’ils sont interprétés par des personnes comme Jung Yu Mi (que vous avez peut-être vu dans Dernier train pour Busan, ou l’incroyable Silenced) ou Lee Kwang Soo qui figurent aujourd’hui parmi les meilleur(e)s actrices et acteurs. Leur jeu est évidemment juste, mais ce qui touche particulièrement c’est leur capacité à s’approprier ces personnages au premier abord très creux, et pourtant finalement tellement réels. C’est ce sentiment de voir des personnes comme vous et moi qui provoque un impact important, et c’était bien l’intention du réalisateur qui nous livre là un tableau du monde dans lequel on vit. Il ne faut toutefois pas oublier les personnages secondaires, qui participent grandement à la dynamique intéressante de la série et son rythme toujours très posé mais sans pour autant renier sur son intensité dramatique. On prend plaisir à découvrir les vies de tous ces personnages qui composent le petit commissariat de quartier, au fil de leurs patrouilles et de leurs mésententes, avec toujours cette pointe de tristesse tant ils semblent impuissants face à la réalité.
J’ai découvert Live lors de son apparition dans le catalogue Netflix et, grâce aux bonnes critiques glanées ici et là, je me suis tenté à l’aventure. C’était un voyage inattendu, loin de ce à quoi je m’attendais, un voyage lors duquel se sont succédé dix-huit épisodes qui taclent la société en l’observant avec violence et une pointe, tout de même, de bienveillance. Une bienveillance qui passe par des personnages terriblement vrais, et de nombreuses séquences touchantes où les nerfs et émotions sont soumises à rude épreuve. On n’oubliera pas ces scènes de manifestations, de violences et de questionnement moral face à l’action policière, mais surtout ces moments de solidarité et d’amour dans un monde en ruines.