Tueur en série qui a sévit dans les années 1970, Ted Bundy est également une personnalité particulière, le genre qui a séduit l’Amérique au cours d’un procès télévisé où l’horreur de ses actes se voyaient gommées par une attirance morbide des spectateurs. Une justice spectacle que met en scène Joe Berlinger dans Extremely Wicked, Shockingly Evil and Vile pour Netflix.
Dans les années 1970, Elizabeth (Lily Collins) et Ted Bundy (Zac Efron) vivent une vie heureuse, mais tout va basculer le jour où ce dernier est arrêté, reconnu par une jeune femme qui affirme qu’il l’a agressée. Bien qu’il prétende être innocent, Ted Bundy va se révéler être, au fil des mois et des procès, un des pires tueurs en série que les Etats-Unis aient connus.
Media Circus
La première chose qui surprend, et qui finalement doit bon nombre de critiques à l’encontre de ce film, c’est qu’il traite le personnage de Ted Bundy tel qu’il était : un homme comme les autres. Si le personnage de Ted Bundy fascine autant c’est parce que l’Amérique découvre à son procès un homme brillant, intelligent et charmeur. Celui qui n’a aucun mal à séduire celles qu’il va ensuite assassiner, celui qui imagine sa propre défense au tribunal, celui qui ne laisse transparaître aucune forme d’horreur. Il casse le cliché du meurtrier sanguinaire, bestial ou qui serait atteint de troubles mentaux qui remettraient en cause les concepts de bien et de mal, un cliché que l’on a encore trop souvent tendance à mettre en avant lorsqu’on est face à un homme agresseur, violeur ou meurtrier. Non, le film ne romance pas Ted Bundy, il pointe juste ce qu’il était : un homme aimant pour sa femme, un garçon brillant pour sa mère, un ami fantastique et admirable pour d’autres. Et c’est probablement ce qui fait de Extremely Wicked, Shockingly Evil and Vile un film si intéressant : le tueur n’est pas déresponsabilisé, il est décrit tel qu’il était réellement, aussi brillant que terrifiant. Une partie des Etats-Unis et des médias le soutiennent, l’idolâtrent, ne comprennent pas comment un jeune homme, étudiant en droit, séduisant et brillant pourrait être en réalité un violeur. Pourquoi un homme qui a séduit tant de femmes pourrait être un violeur ? Une question fondamentalement stupide, mais qui constituait une partie de la pensée de ses soutiens, et une question que l’on entend encore trop souvent de nos jours lorsque l’archétype du gendre idéal ou du séducteur est accusé d’agression sexuelle. Sous ses faux-airs de biopic le film, dont le titre reprend les mots avec lesquels le juge de l’époque a décrit ses actes, devient réellement un plaidoyer contre ces faux-semblants, ces préjugés qui innocentent presque instantanément bon nombre d’agresseurs pour la simple raison qu’ils sont en apparence trop gentils, trop beaux, ou trop aimés par leurs proches pour être coupables.
Et cette manière de disculper l’agresseur pour des raisons aussi hasardeuses que nocives mènent finalement à un problème tout autre : la justice spectacle. Le film nous raconte que Ted Bundy est le premier accusé à voir son procès diffusé à la télévision dans des millions de foyers, un élément que le tueur utilise à son avantage avec un contrôle effrayant de ses expressions et de son comportement dans l’unique but de séduire. Cette justice spectacle où l’accusé devient un acteur, le juge un maître de cérémonie et les avocats des conteurs, devient au fil du temps quelque chose de particulièrement nocif pour la bonne application de la justice. Les jurés sont mis sous la pression d’un procès qui passionne le pays, tandis qu’on érige en « stars » des accusés en omettant les horreurs pour lesquelles ces personnes seront condamnées. On l’a vu très récemment en France avec un homme condamné pour avoir hébergé des terroristes, où il a su faire le show à son procès et faire disparaître aux yeux de beaucoup de monde l’horreur de ses actes pour ne devenir qu’un « mème » qui fait rire les uns et les autres. Et c’est dans un contexte similaire que se déroulait le procès de Ted Bundy, que le réalisateur raconte ici avec beaucoup de justesse dans sa manière de montrer le « show Bundy » et ses implications. Ses fans qui assistent à son procès pour rire des bons mots de Ted Bundy, les médias qui participent à l’emballement et un procès qui ne devient finalement qu’une vaste farce où pendant plusieurs semaines le tueur en série devient une sorte de héros, dans un one man show qui désarçonne les jurés et le juge incarné par un excellent John Malkovich. On en fait un spectacle presque humoristique alors qu’il est question d’agressions, de viols, de meurtres, de nécrophilie, de sauvagerie et de torture.
Tell me the truth
Pour autant le réalisateur Joe Berlinger a le bon goût d’éviter les choses trop graphiques, puisqu’il ne montre pas l’horreur des crimes de Bundy -à l’exception d’une scène terrible- mais se contente le plus souvent de les suggérer. Car le film ne cherche pas à donner dans le voyeurisme, le fait que Ted Bundy soit coupable des pires horreurs est un fait établi. Ce qui l’intéresse c’est sa personnalité et la manière avec laquelle il a su charmer l’audience et ses proches. Et c’est là que Zac Efron fait un travail exceptionnel, lui qui est connu habituellement pour ses rôles de « gendre idéal ». Il a pris un risque en acceptant ce rôle et se révèle finalement être ce dont le personnage avait besoin : Zac Efron est l’archétype même du séducteur, du beau gosse que la police ne soupçonnerait jamais. Il sait capter l’audience, et propose une performance assez fabuleuse en étant capable de reproduire ce qui était si terrifiant chez ce tueur : un visage et des expressions séduisantes, mais des yeux qui restent constamment vides, stoïques et terrifiants.
La dernière partie de Extremely Wicked, Shockingly Evil and Vile est aussi brillante que la performance de Zac Efron. Une confrontation finale, un acteur terrifiant et des images d’archives glaçantes, le film de Joe Berlinger raconte avec pudeur un procès qui symbolise toute l’indécence d’un fantasme qui entoure Ted Bundy. Le film excelle dans sa manière de raconter cette indécence, grâce notamment à un Zac Efron perturbant, sous peine parfois de sembler « romancer » la vie du tueur. Mais finalement, n’est-ce pas l’essentiel de ce qu’on a retenu de ce procès ? Pendant longtemps les victimes ont été oubliées car Ted Bundy faisait le show et passionnait les foules. Alors le film se conclut sur une image saisissante, l’énumération de la trentaine de victimes pour lesquelles le tueur a avoué ses crimes.
Je découvre que j’avais oublié de m’abonner à ton blog, avec mon nouveau blog. Erreur rectifiée ! Je ne connaissais pas l’histoire vraie de base, mais j’entends beaucoup parler de ce film, et je ne doute pas de l’essayer, quand l’occasion se présente. C’est vrai que je suis un peu frileuse lorsqu’il s’agit d’histoires vraies morbides, mais à priori, le jeu en vaut la chandelle. Les archives sont vraiment dérangeantes ? Effectivement, les vrais esprits criminels ont bien souvent conscience de ce qu’ils font et ont fière allure en société. Les imaginer comme des êtres déséquilibrés et purement maléfiques est une facilité dangereuse, que l’on retrouve de plus en plus dans les grosses productions cinématographiques malheureusement.
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Haha, merci pour le nouvel abonnement alors :D
Les archives qui apparaissent en toute fin de film (après la scène finale, et avant/pendant le générique de fin) sont dérangeantes au sens où à ce moment-là, on sait exactement ce que Ted Bundy a fait. Et ça devient glaçant de voir ces images du procès, et on se rend compte que tous les bons mots, les blagues, les sourires et les expressions de Zac Efron étaient calquées sur ce que le tueur a réellement fait devant les caméras. On passe du personnage de cinéma à la réalité, et on voit qu’il n’y avait rien de fantasmé dans l’interprétation de Zac Efron -qui est vraiment exceptionnel dans le rôle-. C’est en ce sens que c’est dérangeant, car le film (à l’exception d’une photo, dans une des dernières scènes) ne montre jamais de photo de cadavre, même si certaines descriptions pendant le procès laissent peu de place à l’imagination.
D’ailleurs, la scène d’archive que j’ai trouvé être la plus terrible, c’est celle où le juge décrit la personnalité de Ted Bundy comme étant « extremely wicked, shockingly evil and vile », au terme d’un monologue curieusement touchant tant il comprend être face à ce que l’humain peut produire de plus horrible. On a tous un peu trouvé ce titre curieux -et terriblement long- à l’annonce du film, mais c’est finalement ce qui lui va le mieux.
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Très bel article 👌
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Merci ! :)
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Bien bel article, vraiment. Personnellement j’ai assez apprécié ce film que j’ai vu à la base uniquement pour voir ce contre emploi de Zac Efron, éternel Troy Bolton à mes yeux comme à ceux de beaucoup d’autre. Et j’ai été ravi de voir, comme tu le dis, que l’acteur se montre très bon et mérite de sortir de sa case. Un peu comme Robert Pattinson, il subit le rôle qui l’a fait connaître. À vrai dire, je ne connaissais pas l’existence de ce meurtrier, et c’est pourquoi je me suis même mis à douter de sa culpabilité au début du film, jusqu’à ce que la raison me rappelle « c’est un biopic ». Le seul défaut que je trouve à ce film tient justement à sa catégorie, il souffre de ce côté « patchwork » où des moments importants de vie sont assemblés avec un manque de lien par moment. C’est un peu éclaté comme narration finalement, sentiment renforcé si on n’est pas familier avec le système judiciaire américain je pense.
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Je te rejoins sur ce côté patchwork, enfin, c’est quelque chose que je n’arrive toujours pas à déterminer. Je me demande si le réalisateur est parti du postulat que tout le monde connaît Ted Bundy et qu’il n’avait donc pas de véritable intérêt à s’étendre sur certaines parties de sa vie ou de l’enquête qui l’entoure, ou bien il a au contraire joué là-dessus pour nous mettre dans la peau de sa femme, qui se retrouve prise au milieu du chaos alors qu’on lui cache tout. Ça rend d’ailleurs la révélation finale assez forte, car si on ne connaît pas Ted Bundy, c’est à ce moment là qu’on réalise sa manipulation, après avoir vu une photo insoutenable.
Il paraît que le documentaire sorti par Netflix à la même occasion est très bien, mais je dois avouer que le vrai Ted Bundy me met tellement mal à l’aise que je suis pas très chaud à l’idée de voir plus d’images d’archive de lui 😀
Et oui, Zac Efron pâtit de son premier rôle, mais je lui souhaite de suivre le même chemin que Robert Pattinson, même si Zac Efron est aussi très drôle lorsqu’il fait preuve d’auto-dérision (comme dans Baywatch).
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Ton article présente très bien le film, ses enjeux, sa narration somme toute très bien mise en scène, avec ce jeu ambivalent sur la culpabilité de Ted Bundy. Moi aussi, j’avais vu le film surtout pour le contre-emploi de l’acteur principal, et il a vraiment été bien choisi : on lui donnerait le bon dieu sans confession, ce qui rend la révélation finale encore pire. Zac Efron s’en est très bien tiré et j’espère qu’il aura d’autres très bons rôles à l’avenir. Je ne connaissais pas du tout l’histoire véritable avant, et elle est réellement glaçante, tout en ayant le mérite de montrer toutes les personnes qui ont vu leur vie marquée par cet homme…rendre ainsi hommage aux victimes à la fin était nécessaire. Je ne connaissais pas le terme de justice spectacle que tu m’apprends donc, mais c’était terrible de penser qu’un tueur peut ainsi cabotiner pour s’en sortir, et réussir quasiment, à part quelques regards dénués de vie et d’empathie.
J’ai vu le documentaire aussi sur Netflix ensuite, c’est vrai qu’il faut avoir le coeur un peu plus accroché. Il y a beaucoup de mise en place de l’époque et du contexte historique, social, notamment avec des archives de ces années-là, tout en alternant avec des interviews contemporaines des personnes de l’époque (une rescapée du tueur, les enquêteurs, la mère de Bundy, etc…). C’est encore plus glaçant, honnêtement, et ça montre véritablement le monstre derrière le côté charmeur, dans toute son horreur. C’est encore plus horrible de voir à quel point il se permettait de nier, de plaisanter, d’être arrogant, en ayant commis de telles atrocités. Mais c’est vraiment intéressant pour comprendre l’époque, la fascination autour du procès, ou les derniers moments de sa vie.
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