Pluie Noire, désolation et reconstruction

En 1989, le cinéaste japonais Shohei Imamura racontait son Hiroshima : l’enfer de l’arme atomique et ses conséquences. Inspiré par un roman de Masuji Ibuse, le film Pluie Noire nous revient enfin en salles ce mercredi 29 juillet dans une version restaurée proposée par La Rabbia, l’occasion de vous en parler et partager ce qui fait toute la force de ce film.

6 août 1945, Hiroshima est frappée par une bombe nucléaire. Yasuko (Yoshiko Tanaka) était sur un bateau, alors qu’elle rend visite à son oncle Shizuma (Kazuo Kitamura). Le souffle de l’explosion ne laisse aucune chance à ceux qui étaient à proximité, les autres voient une pluie noire s’abattre sur eux. Cinq ans plus tard, la vie reprend son cours au Japon mais ceux qui ont été exposés aux radiations sont aujourd’hui des parias.

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© Pluie Noire, 2020, La Rabbia

Les fantômes du passé

Pluie Noire s’ouvre sur une séquence glaçante, celle qui met en scène l’innocence de quelques personnes qui seront victimes, quelques minutes plus tard, de l’une des pires armes créées par l’humanité. Au nom d’un conflit qui dépasse largement le quotidien de ces gens, au nom de la « paix », Hiroshima est bombardée avec l’arme atomique. C’est alors que Shohei Imamura n’épargne rien, filmant les corps calcinés et la désolation d’une ville détruite en quelques instants. Puis une ellipse nous envoie cinq ans plus tard, l’après-guerre devient le centre d’une histoire foncièrement humaine. Car le cinéaste ne s’intéressait pas nécessairement à la guerre mais plus à ses conséquences. En choisissant de faire de Yasuko son personnage principal, incarnée avec une humanité formidable par Yoshiko Tanaka, le réalisateur raconte ces nombreuses années après l’explosion où le Japon commençait à découvrir les affreuses conséquences d’une exposition aux radiations. Yasuko n’était pas directement touchée par le souffle de l’explosion, mais elle a reçue sur elle ce qu’ils nomment la « pluie noire », ces gouttes qui sont tombées à des kilomètres autour du point d’impact. Ces gens-là deviennent des parias, ils sont rejetés. Alors que son oncle et sa tante essaient de lui trouver un mari, ils font face à de nombreux refus car personne ne veut vraiment faire sa vie avec Yasuko, craignant pour leur santé et lançant de nombreuses rumeurs à son propos. Ce rejet apparaît comme un véritable obstacle pour des personnes qui tentent de surmonter des traumatismes, comme cet ancien soldat, bouleversant, dont la peur de la guerre qu’il a vécu réapparaît chaque fois qu’il entend un moteur.

Shohei Imamura livre un film d’une justesse terrifiante, où la peur ne vient plus de la guerre et de ses immondes armes mais du regard des autres. Les personnes exposées aux radiations meurent une à une, vivant avec la crainte d’une mort qui plane au-dessus d’eux et qui peut les toucher à tout instant. Délaissés, livrés à eux-mêmes, ils tentent de retrouver une forme de normalité entre eux et le réalisateur leur offre de longues séquences de discussions, d’échanges, de petites banalités d’une vie où chacun tente de se reconstruire. C’est un récit très touchant mais surtout très évocateur sur cette dimension humaine qui est toujours oubliée à la fin des guerres, où les atrocités du pays vainqueur et leurs conséquences sont oubliées au profit d’une « paix gagnée », peu importe le coût humain. Le drame prend vie au travers de ses survivants et c’est bien là toute la force du travail de Shohei Imamura, qui préfère aborder l’horreur dans le regard de ses acteurs et actrices et la reconstruction dans les petites banalités du quotidien, quand bien même leurs souffrances sont niées par des voisins qui les prennent pour des fainéants.

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© Pluie Noire, 2020, La Rabbia

Une vie impossible

La douceur de la mise en scène de Shohei Imamura, passé le choc provoqué par les très dures images d’ouverture ne perd jamais de vue l’humanité de cette histoire. La douceur de vivre, la vie de famille, les balades à la campagne et la futilité des rencontres, le tout sous des lumières naturelles qui donnent le sentiment d’être paisibles, sereins face à l’avenir. Comme si les maladies et les morts engendrées par l’arme atomique, qui se multiplient dans cette population, étaient naturelles et parfaitement intégrées au cours de la vie d’une bourgade oubliée. Le réalisateur aborde ses personnages avec beaucoup de tendresse, et cela se ressent dans sa manière de les mettre en scène en préférant toujours la simplicité des échanges au grandiloquent du larmoyant. Mais ce n’est pas bien étonnant de la part de Imamura, lui qui a souvent mis la nature humaine au centre de ses histoires, comme dans La Ballade de Narayama quelques années avant Pluie Noire. Un sens de la mise en scène largement valorisé par une version restaurée très réussie.

Hiroshima et sa catastrophe n’ont jamais été aussi bien filmées. Juste, poignant, Pluie Noire raconte les conséquences humaines et sociales d’un bombardement qui a décimé des générations d’une même ville. Plutôt que de parler de guerre, Shohei Imamura parle d’humanité au travers de quelques personnes qui tentent de se reconstruire, de surmonter les traumatismes et d’affronter les préjugés de ceux qui n’ont pas vécu le bombardement. Un très grand film que l’on est heureux de redécouvrir au cinéma cet été.

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