L’Arabie Saoudite est une rareté au cinéma : longtemps en froid avec l’art cinématographique, son acceptation n’est que très récente avec l’autorisation de multiples tournages sur le sol saoudien et l’ouverture de nombreuses salles dans tout le pays. Une évolution qui permet à des cinéastes d’émerger et à d’autres de revenir dans leur pays, ce qui est le cas de Haifaa al-Mansour. Célébrée il y a quelques années pour Wadjda, le premier film tourné intégralement en Arabie Saoudite, elle fait son retour ce mois-ci avec The Perfect Candidate, un film tourné aux abords de Riyad.
Maryam (interprétée par Mila Alzahrani) officie en tant que médecin dans une petite clinique. Sans grands moyens, son établissement est entravé par une entrée boueuse qui rend la circulation difficile pour les urgences. Par un concours de circonstances, elle se retrouve intriguée par l’élection municipale et se décide à candidater, dans l’espoir d’améliorer les conditions d’accès à la santé. Mais faire une campagne politique est un acte extrêmement difficile en tant que femme dans un pays qui peine à l’accepter.

Les rouages d’une campagne
The Perfect Candidate est un film majeur pour Haifaa al-Mansour. Si elle s’est déjà fait connaître avec Wadjda, beaucoup de choses se sont passés depuis dans le Royaume Saoudien. A l’époque, le tournage était compliqué, notamment pour la réalisatrice cantonnée à donner ses instructions depuis une camionnette, et le pays ne faisait que ses premiers pas en matière cinématographique. Depuis, les films se multiplient et celle qui a lancé le mouvement peut observer l’ouverture de salles partout dans le pays, lui permettant aujourd’hui de tourner un véritable film de cinéma, avec les moyens et l’ambiance qui va avec. Elle s’empare d’ailleurs de ces changements insufflés dans le pays pour raconter son héroïne : une femme qui tente de faire son travail de médecin alors que des hommes refusent d’être soignés par une femme, ou quand d’autres ignorent ses demandes de budget car elle peut bien se débrouiller avec ce qu’elle a. La cinéaste raconte un quotidien en Arabie Saoudite qui m’évoque, à titre personnel, énormément de choses : des sons, des rues, une ambiance si particulière avec laquelle j’ai un lien fort qui date de mon enfance dans la région. Et c’est ce qui m’apporte une certaine émotion en visionnant le film, en voyant l’évolution lente mais certaine d’un pays qui commence tout juste à ouvrir sa culture qui a pourtant beaucoup à offrir. Loin des clichés sur l’argent facile, Maryam est une saoudienne de la classe moyenne tout ce qu’il y a de plus classique, bercée dans une famille traditionaliste et religieuse, avec son quotidien tout à fait banal. Mais en l’emmenant sur le terrain d’une élection municipale qui devient un plaidoyer pour le petit peuple et la santé, la réalisatrice s’empare des codes du patriarcat, les assimile et les renverse un à un en affirmant ses convictions.
La candidature à la mairie n’est en effet qu’un prétexte pour faire évoluer son héroïne, une femme qui s’affirme, qui gagne en puissance et en assurance alors qu’elle prend enfin le contrôle de sa propre vie. Quand un présentateur télé reçoit la candidate et s’amuse des sujets qui n’intéresseraient que les femmes (les parcs et les centres commerciaux), Haifaa al-Mansour dénonce cette vision de la femme cantonnée à l’éducation des enfants en mettant un coup de pied dans la fourmilière, permettant à sa candidate -par réaction d’orgueil- d’affirmer que les femmes aussi peuvent faire de la politique, peu importe les sujets abordés. L’actrice, Mila Alzahrani, est juste et nous entraîne par sa force de conviction et son charisme. Elle incarne, avec sa sœur jouée par Dhay (qui est, dans la réalité, une influenceuse saoudienne), le souhait de la cinéaste de voir évoluer les femmes saoudiennes et les voir s’affirmer dans ce qu’elles aiment faire. Sa candidate se découvre des talents d’oratrice tandis que sa sœur est pleine de force et d’humour grâce à la belle performance de Dhay. Toutes deux incarnant un besoin de s’échapper et de profiter d’une liberté nouvelle. Elles sont d’ailleurs le fruit de cette liberté : la candidate conduit une voiture, sa sœur travaille comme photographe, des choses qui n’auraient pas été possible il y a encore quelques années. Et ce besoin de liberté est mis en scène de bien des manières, tant grâce à une caméra au plus près des émotions et bouleversements vécus par ses personnages, des pratiques nouvelles et émancipatrices, qu’avec un propos passionnant sur l’héritage culturel de la nouvelle génération en Arabie Saoudite.

Une culture fondatrice
Car cette liberté n’arrive pas seule. L’émancipation se fait au travers d’une culture qui se réaffirme, notamment musicale et cinématographique. Longtemps mise de côté, la culture artistique saoudienne a pourtant énormément de choses à dire, et c’est au travers du personnage du père et, par la mère décédée à laquelle les protagonistes font souvent référence, que la candidate apprend à s’assumer. La réalisatrice fait ainsi un parallèle très touchant entre le voyage du père musicien, parti trois semaines en road trip pour les concerts de sa vie, et l’épopée politicienne de la candidate. Lui voit son peuple enfin accepter sa musique après s’en être détourné à une époque où ils limitaient l’art musical à une poignée de mariages et autres cérémonies familiales, tandis que sa fille s’échappe de l’image de la « fille des musiciens » pour créer sa propre histoire. Mais comme Haifaa al-Mansour le montre très justement plus tard, avec un vrai sens de la mise en scène qui donne beaucoup de force à une séquence pleine de tendresse, cette évolution se fait au travers de la renaissance d’une culture musicale qui rythme leur vie. Cette omniprésence musicale apporte une belle douceur à un film qui insiste sur l’héritage culturel, qu’il s’agisse simplement de la musique traditionnelle jouée avec un l’Oud que des nombreux lieux visités.
Concilier le changement et un héritage culturel imposant est au centre du discours de Haifaa al-Mansour. Elle livre un film plein de tendresse où les problèmes qu’elle a elle-même rencontrés en Arabie Saoudite servent de moteur pour une nouvelle génération qui s’affirme avec plus de liberté. Si le combat libérateur et féministe du film se fait au travers d’une course électorale, c’est le parallèle avec l’héritage culturel qui bouleverse. Une réussite.
Un film très riche que j’ai pris beaucoup de plaisir à voir. J’avais adoré Wadjda, qui ne cesse de bonifier dans mon souvenir. On sent déjà l’évolution du pays entre les 2 et j’espère que la réalisatrice nous y emmènera à nouveau dans quelques années, avec je l’espère d’autres changements dans le sens de l’ouverture et de plus de droit pour les femmes.
J’étais étonnée qu’une femme puisse seulement y être médecin ou encore voter. A côté de ça elles doivent demander l’autorisation pour voyager et les fêtes de mariage sont non mixtes. Je suppose que de telles « incohérences » sont en effet le signe de changements en cours dans le pays.
J’aimeAimé par 1 personne
Du temps où j’y habitais, les femmes n’avaient même pas le droit de conduire, et seuls certains métiers leur étaient ouverts. Mais les saoudiennes qui travaillaient étaient très rares, notamment à cause de traditions que le film raconte plutôt bien.
La demande d’autorisation pour voyager est un résidu de cette époque oui, je ne suis pas certain que cela va disparaître rapidement (rien que la création des cinémas a provoqué des critiques, similaires à ce que le film dit sur les concerts), mais le pays va assurément dans le bon sens. Et ça passe largement par des femmes comme la réalisatrice Haifaa al-Mansour, l’actrice ou même l’influenceuse Dhay. qui profitent toutes un peu de cette ouverture pour montrer que les femmes saoudiennes ont plein de choses à faire et à raconter.
J’aimeJ’aime
Merci pour ces infos et j’espère vraiment que ça va continuer à aller dans le bon sens, même si cela prendra certainement du temps.
J’aimeJ’aime