L’infirmière, des hésitations malsaines

Début août sortait dans nos salles L’infirmière (ou A Girl Missing), le nouveau film de Koji Fukada. Un jeune réalisateur japonais qui s’était fait remarquer notamment avec Harmonium, prix du jury dans la sélection Un certain regard au Festival de Cannes en 2016. A l’époque, il travaillait déjà avec Mariko Tsutsui, une actrice qui tient aujourd’hui le rôle principal de son nouveau film.

La vie d’Ichiko (incarnée par Mariko Tsutsui) est tout ce qu’il y a de plus paisible : infirmière à domicile, elle travaille depuis bien longtemps pour une famille avec laquelle est a nouée des liens très proches. Mais un jour la fille de ses patrons disparaît, enlevée par un jeune homme que connaît Ichiko, jetant la suspicion sur une complicité de l’infirmière.

© L’infirmière, 2020, Art House Films

L’inévitable désir de vengeance

Dans Harmonium, Koji Fukada abordait déjà la question de la culpabilité et du désir de vengeance, dans des familles où s’immiscent des personnes aux intentions qui ne sont pas toujours claires. Mais cette fois-ci il aborde ces questions en se reposant essentiellement sur le personnage de l’infirmière, figure rassurante au sein de la famille, qui aide un peu à tout faire alors que la doyenne ne semble avoir confiance qu’en elle. C’est cette question d’une confiance qui se brise qui focalise l’attention du réalisateur, faisant tomber petit à petit la figure « rassurante » d’une famille sans histoires. Et s’il y a arrive avec autant de réussite, c’est parce que Mariko Tsutsui livre une performance surprenante, absolument captivante alors qu’elle provoque des sentiments contraires. De l’empathie, de la colère et un questionnement constant, son personnage concentre toutes les interrogations et réactions d’un public qui ne peut qu’être passionné par une actrice qui maîtrise son sujet avec une aisance que l’on voit assez rarement. Le réalisateur lui donne d’ailleurs toute la place dont elle a besoin, ne faisant rien de très impressionnant du côté de la mise en scène. Il multiplie des plans classiques de type champ contre champ et isole ses personnages les uns des autres, laissant l’actrice prendre les rênes d’un film qui avance au rythme de sa performance. Et c’est un très bon choix du réalisateur, car l’essentiel de son oeuvre tourne autour des secrets et des mystères qui se dévoilent dans une histoire qui vire parfois à des révélations malsaines, offrant un autre visage de ses protagonistes. En inscrivant son histoire dans le quotidien, avec une grande simplicité dans la mise en scène, le cinéaste cherche probablement à appuyer sur la banalité d’une histoire pourtant hors du commun. Il n’y a pas ici de grand criminel ou de complot : il n’y a rien de plus que des personnes que l’on pourrait croiser au coin de la rue.

Il contrebalance toutefois cette apparente simplicité par une histoire qui se raconte sur deux temporalités. Le réalisateur jette volontairement le trouble grâce à Mariko Tsutsui qui semble incarner deux rôles opposés, mais en réalité les deux facettes d’une femme à des époques complètement différentes de sa vie. En confondant régulièrement illusion et réalité, le film ne révèle ses intentions qu’à sa moitié, passant d’une « tranche de vie » d’une infirmière sans histoire à une affaire criminelle retentissante. C’est à ce moment-là que le réalisateur laisse d’ailleurs son actrice prendre pleine possession du film, racontant au travers de sa performance l’hystérie collective d’un quartier qui ne s’attendait pas à vivre une telle affaire et un emballement médiatique qui brise peu à peu cette femme dont l’implication dans l’enlèvement reste trouble. Un bon moyen d’ailleurs de constamment interroger les spectateurs et spectatrices, leur demandant si l’on peut réellement ressentir de l’empathie pour cette personne aux actes troubles et parfois malsains.

© L’infirmière, 2020, Art House Films

Une prise de recul à double tranchant

Mais à trop vouloir s’effacer, le réalisateur perd peut-être de vue le fondement même d’une telle histoire. La culpabilité, la vengeance et la descente aux enfers perdent de leur substance et de leur impact quand on peine à être concernés par le destin des personnages. Il y a une froideur terrible dans sa manière de filmer la chute de l’infirmière qui a ses bons côtés, notamment un refus de tout jugement à son encontre, mais aussi des mauvais côtés avec une implication émotionnelle quasi-nulle qui déshumanise assez largement son histoire. Néanmoins, cela sert aussi une certaine beauté dans la réalisation, avec une pudeur qui s’oppose à la violence des faits. Harmonium l’avait déjà montré, Koji Fukada est vraiment très bon lorsqu’il filme le quotidien dans ses joies et ses facettes les plus sombres, et L’infirmière ne fait que confirmer cette qualité. Si j’ai eu du mal à adhérer pleinement à sa manière de raconter son histoire, il m’est toutefois impossible de nier les qualités cinématographiques du film, car c’est une vraie réussite sur bien des points.

Le nouveau film de Koji Fukada lui donne l’occasion d’explorer à nouveau les questions de culpabilité et de vengeance, décidant cette fois-ci de le faire avec un recul qui n’est pas sans reproches. Mais Mariko Tsutsui tient son personnage et le film avec une performance redoutable, elle lui apporte une humanité qui fait parfois défaut à la mise en scène trop en retrait. L’infirmière reste néanmoins un beau film où le réalisateur livre quelques bonnes idées.

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