Dernier phénomène en date sur les réseaux sociaux, Le jeu de la dame (ou The Queen’s Gambit) avec Anya Taylor-Joy donne autant vie à des déclarations d’amour pour la mini-série, l’actrice qu’à un regain d’intérêt pour ce jeu vieux comme le monde, les échecs. Les habitué(e)s des réseaux ont évidemment vu passer les mèmes, mais il s’agit surtout de savoir si la série est vraiment à la hauteur de la passion qu’elle engendre. Et oui, c’est bien le cas.
Prodige des échecs, l’orpheline Beth Harmon (jouée par Anya Taylor-Joy) a commencé à apprendre le jeu à huit ans. Au fil des années, elle s’est faite une place dans le monde très masculin des échecs, tout en étant en proie à des problèmes d’addiction à la drogue et à l’alcool.

S’imposer dans un autre monde
Faire des échecs le centre d’une mini-série, en voilà une curieuse idée. Elle trouve néanmoins sa source dans un roman éponyme de 1983, signé Walter Tevis, qui y racontait l’ascension d’une joueuse d’échecs, confrontée à ses propres démons. On raconte que ce roman a vu ses ventes exploser ces dernières semaines à la suite du succès de la série qui, on peut se le dire, est une sacré bonne surprise. Le format de la mini-série sied parfaitement à ma consommation du medium ces derniers temps, et cela permet aussi de passer outre d’interminables saisons, un choix qui convient du mieux possible à ce que Le jeu de la dame, ou The Queen’s Gambit, veut raconter. Car avant de parler d’échecs, la série (et probablement le roman, que je n’ai néanmoins pas lu) conte une vie intense, sans compromis, rythmée d’abord par une ascension fulgurante dans un monde qui n’appartient pas à son héroïne, puis par les addictions qui empoisonnent sa vie. Drogue, alcool, la jeune femme cherche un refuge après une jeunesse faite d’abandons et de désillusions, baignée dans la violence d’un orphelinat qui n’avait pas vraiment d’intérêt pour le bien-être de ses « protégés ». En racontant cette jeune femme pendant plusieurs années, la série emprunte tout au récit initiatique pour raconter l’ascension -et parfois la chute- de cette jeune femme qui découvre à sa manière un monde qui ne voulait pas d’elle. L’univers des échecs est très masculin, misogyne et plutôt aisé : tout ce qu’elle n’est pas, elle qui a grandi dans un orphelinat après avoir été abandonnée par sa mère. Plus qu’une histoire d’échecs, même si la série réussit très bien à raconter ses règles et ce qui fait tout le sel de ses affrontements qui sont parfois restés dans l’histoire, Le jeu de la dame est le tableau d’une époque et d’un monde. Ses duels, ses rivalités, le spectre de la Guerre froide avec l’opposition entre les Etats-Unis et la Russie sur le terrain des échecs, la série couvre son époque en racontant l’ascension de son héroïne dans ce contexte-là. Le personnage se cherche, se développe et se définit au travers du jeu.
Et tout cela ne serait rien sans Anya Taylor-Joy, qui interprète avec force ce personnage si ambigu, ne cessant de naviguer entre détermination et délicatesse face à ceux qui ne l’acceptent pas. Elle donne vie à cette Beth Harmon, que tout semblait éloigner des échecs mais qui finit par s’y faire une place. On prend un malin plaisir à suivre ce quasi-monomythe, tant pour l’ascension et la capacité du personnage à surmonter les pièges qui se dressent sur son parcours, que pour son irrémédiable chute causée par ses addictions. Surtout, cela sert à mettre son histoire en parallèle avec une partie d’échecs : ascension et chute, elle matérialise en quelques sortes la souplesse de la dame aux échecs, capable de se battre sur tous les fronts face à des adversaires qui restent limités dans leurs mouvements. Beth est en effet une sorte « d’aberration » dans les codes bien établis du milieu des échecs, avec son côté presque « punk » face à des hommes butés et focalisés sur leur propre monde. Ce parallèle entre vie et échecs se retrouve également du côté de la photo et de la mise en scène, qui utilise intelligemment les longues périodes de réflexion propres aux échecs pour raconter, parfois insister, sur les troubles de ses personnages. Le rythme est dicté par le jeu, que la série intègre entièrement à sa narration sans pour autant nous abreuver à n’en plus finir de récits de parties, ce qui était un des écueils à éviter.

La détermination des uns, la déroute des autres
Alors on se retrouve finalement avec une mini-série intense, terriblement bien orchestrée, qui trouve son rythme dès les premiers instants et n’y déroge jamais. Mais surtout il y a cette volonté plutôt actuelle de montrer le faible s’imposer face au fort, Beth Harmon ayant grandi dans un milieu défavorisé. Elle a appris à jouer auprès d’un concierge, lui qui n’a jamais eu la chance de faire partie d’un monde de privilégiés, et il y a une saveur particulière à la voir rappeler cette idée sur les derniers instants de la série. Si je devais lui opposer une critique, ce serait probablement son épisode 6 un peu trop facile, difficile toutefois d’être précis dans la mesure où il est de bon ton d’éviter le spoiler. Mais ce que cet avant-dernier épisode raconte m’a semblé de trop, en insistant sur les addictions de l’héroïne alors qu’on avait déjà parfaitement compris ses démons avec des éléments plus subtils distillés dans les épisodes précédents.
Sa mise en scène léchée et sa manière d’intégrer les échecs à sa narration font du Jeu de la dame (The Queen’s Gambit) une mini-série absolument captivante. L’interprétation de Anya Taylor-Joy y est évidemment pour beaucoup, l’actrice faisant corps avec ce personnage d’outsider qui s’impose peu à peu dans un monde qui la rejette. Son regard sur son époque se mélange avec la notre, dans un récit qui utilise les échecs pour raconter l’ascension d’une femme contre tous.
Oui c’était vraiment une super série ! Beau billet :)
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Je retrouve avec grand plaisir la plume de ton blog. Les circonstances font que je n’ai actuellement pu voir que le début de cette mini-série, mais il est vrai que ses thématiques et sa mise en scène dégagent un charme tel que le succès semble mérité. Mes meilleurs vœux !
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Merci à toi, et également meilleurs vœux pour cette nouvelle année !
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