Cherry, paumé face au système

A l’ère des plateformes de streaming et de la jungle que constitue leurs catalogues, chacun tente de se différencier avec des gros coups, des projets portés par des acteurs et actrices populaires ou des cinéastes en vue. Cherry est de ceux-là, réalisé par Anthony et Joe Russo pour leur premier film depuis le dernier Avengers, avec Tom Holland dans le rôle principal. Juste de quoi faire parler de Apple TV+ où le film est sorti en exclusivité il y a quelques jours, plateforme qui a bien du mal à se faire une place parmi une offre déjà pléthorique.

Adapté d’un roman écrit par Nico Walker, inspiré de sa propre vie, Cherry est l’histoire de l’un de ces nombreux vétérans de l’armée américaine qui, après la guerre, reviennent chez eux avec un trouble de stress post-traumatique et une vie d’horreur à affronter seuls, sans soutien. Parmi eux, Cherry (Tom Holland), qui trouve vite refuge dans la consommation de drogues.

© 2021 Apple TV+

Une incompréhension en menant une autre

Sujet central de la politique Américaine, la question du traitement des vétérans de l’armée est évidemment omniprésente au cinéma. On ne compte plus le nombre de films qui traitent du sujet, et voir les frères Russo s’y investir n’est pas une très grande surprise. Leur travail sur les films Marvel laissant déjà voir leur intérêt pour la question militaire et plus généralement, les hommes qui l’animent. Mais là où Cherry tente d’amener le sujet sur un autre terrain, c’est avec une première heure qui raconte essentiellement le système Américain. Un système qui broie les jeunes en ne leur offrant dans un premier temps aucun avenir, pour mieux les maintenir dans une misère qui les pousse souvent vers l’armée. Ces jeunes se retrouvent propulsés dans un monde fait d’humiliations et de violences, constamment entourés par la mort. Certains ne sont que des jeunes paumés, comme Cherry, d’autres sont d’anciens criminels, tandis que certains cherchent une forme de plaisir dans le sentiment de domination qui leur est offert en mission. Et à ce moment-là, Cherry, à défaut d’être un modèle de réalisation, a le mérite de raconter des choses pertinentes sur le système Américain. Tom Holland habite son personnage et donne corps à un discours qui a du sens au regard de l’actualité Étasunienne, et son histoire récente. Mais ça s’arrête là : Cherry manque d’audace et perd vite le fil de son histoire, le film ne racontant finalement rien sur la guerre elle-même. La guerre en Irak ne souffre ici d’aucune interrogation, les frères Russo allant même jusqu’à mettre en scène des enfants Irakiens qui mendient des rations aux soldats Américains dans un ton au mieux indécent, au pire franchement problématique. On reste dans la veine de ce vieux cinéma Américain qui, bien trop souvent, a du mal à filmer la guerre et plus spécifiquement les guerres au Moyen-Orient autrement qu’avec un œil colonisateur.

Et là où Cherry s’enterre définitivement, -et attention, il y a des spoils sur l’orientation du film- c’est avec une narration qui finit par commettre des contresens qui ridiculisent ce qui était mis en place dans la première heure. Le système devient parfois salvateur, la responsabilité individuelle prenant le pas sur la politique qui a mis ses citoyens au bord du gouffre. Un choix narratif qui, là encore, n’étonne pas beaucoup pour des réalisateurs attachés à un certain idéal Américain (ou libertarien), mais qui sonne terriblement faux et creux dans un film qui n’arrive pas à susciter de l’empathie pour ses personnages. Tom Holland se démène autant que possible, mais il est vite limité par des dialogues assez pauvres et des seconds rôles oubliables. La question de l’abandon des vétérans de l’armée aurait sans doute mérité un traitement plus subtil, ou au moins plus humain, alors que les cinéastes ne semblent décidés qu’à rechercher l’image choc avec un antihéros devenu dépendant à la drogue. La rédemption ne passe finalement que par le système, celui-là même qui l’a initialement broyé, dans une ultime scène où un festival de ralentis sert de pénible mise en scène d’une simple interrogation : « vous avez compris qu’il ne peut s’en prendre qu’à lui-même hein ? »

© 2021 Apple TV+

Les guerres internes

Pourtant le film avait tant de choses à dire sur le système, l’abandon des vétérans, les traumatismes, les blessures mentales et physiques et plus généralement sur l’impérialisme qui semble justifier d’interminables guerres. La question du vétéran devenu braqueur est aussi un bon moyen de raconter ceux qui ont été criminalisés par la violence de l’armée. Mais toutes ces choses méritaient une subtilité que les frères Russo semblent incapable d’offrir. Amener ce type de sujet avec de gros sabots est en général suffisant pour raconter des histoires de super-héros, et ce n’est pas une critique : j’ai aimé les Avengers, malgré des interrogations sur l’impérialisme Américain naturellement promu. Mais il faut bien avouer qu’une fois revenu sur terre dans un récit plus humain, tout cela sonne particulièrement malvenu, avec un film qui ne parvient pas à faire la part des choses et qui s’engouffre dans des sujets qu’il ne maîtrise pas. La faute aussi à la réalisation qui peine à installer une quelconque ambiance, malgré une bonne idée de temps en temps, et qui insiste tellement sur les ralentis que l’on a vite l’impression d’être devant une parodie d’un film de Zack Snyder. Le langage cinématographique est complètement vidé de sa substance, l’image au ralenti ne devenant plus qu’un artifice esthétique qui ne dit rien sur ce qui est mis en scène.

Pénible, creux et souvent malvenu, Cherry n’a pour lui que Tom Holland qui tente bien tout ce qu’il peut pour sauver ce qu’il y a encore à sauver. Les frères Russo sont dépassés par leur sujet en perdant toute pertinence dans la deuxième moitié du film, et peinent à parler des traumatismes de guerre qui sont pourtant au centre de leur récit. La réalisation caricaturale n’aidant en rien, avec une recherche esthétique peu maîtrisée qui écrase les intentions d’une histoire qui mériterait, sûrement, plus de modestie.

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