Judas and the Black Messiah, dignité et révolution

La cérémonie des Oscars 2021 vient tout juste de se dérouler, suscitant assez peu d’intérêt tant il est difficile chacun·e de s’intéresser à des films qui n’ont une fenêtre de sortie que très incertaine dans nos contrées. Mais comme le gouvernement ne cesse de piétiner la culture en ne lui accordant aucune perspective, certain·e·s font le choix de se passer des salles obscures et de finalement sortir leur film par d’autres moyens. C’est le cas de l’un des films primés, Judas and the Black Messiah de Shaka King, avec l’Oscar du meilleur acteur dans un second rôle pour Daniel Kaluuya, qui a profité d’une sortie ces jours-ci sur Canal+ et en VOD.

Fred Hampton (joué par Daniel Kaluuya) est une figure éminente du Black Panther Party, prônant la révolution (s’il le faut, armée) face à des institutions qui ne cessent d’opprimer la communauté Afro-Américaine. Surveillé par les autorités, il voit se rapprocher de lui un certain William O’Neal (interprété par Lakeith Stanfield), un indic du FBI.

© 2021 Warner Bros.

L’ascension d’une révolution

La lutte pour les droits civiques aux États-Unis a inspiré énormément de films, et continuera d’inspirer le cinéma tant la question reste d’actualité. Shaka King, qui ne signe que son deuxième long métrage après Newlyweeds, s’intéresse à cette question sous un angle encore inédit : celui de Fred Hampton. Si cette figure emblématique du Black Panther Party a déjà été aperçue dans le très récent Les Sept de Chicago de Aaron Sorkin, c’est la première fois qu’un film lui est entièrement consacré. Judas and the Black Messiah cherche en effet à raconter son histoire atypique, celle d’un homme devenu révolutionnaire, fasciné par Che Guevara, qui ne pouvait envisagé l’émancipation des Afro-Américains dans un monde capitaliste. Son destin, plutôt tragique, a permis de mettre en lumière une autre vision de la lutte pour les droits civiques, alors qu’il était entouré de personnes terriblement loyales qui croyaient, comme lui, à la révolution. Mais à ses côtés on trouvait William O’Neal, un petit délinquant devenu indic pour le FBI, que le film raconte à l’écran comme un homme partagé entre ses valeurs, son respect pour Hampton, et sa propre survie. Le film de Shaka King brille chaque fois qu’il aborde ces deux personnages marquants de l’histoire récente Américaine, sans les sacraliser ni les condamner. Il les raconte comme deux personnes que la vie a rapproché, pour des raisons complètement différentes, mais qui ont partagé un bout de chemin fait d’espoirs, et parfois de crimes. Des personnages ambigus, ni très bon et ni très mauvais.

Car au-delà des crimes des uns et des autres, c’est une histoire de révolution qui est racontée, une colère et une volonté de voir émerger un monde meilleur. Un esprit révolutionnaire mené par des personnes qui ne se seraient jamais alliées dans d’autres circonstances, contre un même ennemi incarné par les autorités. En profitant de la solide mise en scène de Shaka King, on réalise vite pourquoi Daniel Kaluuya a obtenu l’Oscar du meilleur second rôle il y a quelques jours. Celui qui partage le film avec Lakeith Stanfield, qui était également nommé et qui aurait pu gagner sans que cela ne soit surprenant, révèle toute la finesse de son jeu que l’on commence déjà à connaître. Il livre une interprétation passionnée, déterminée, en donnant corps à un personnage si dense qu’il aurait pu l’écraser. Mais l’acteur ne se laisse pas faire, il l’interprète à sa manière, et il le fait avec un talent absolument terrible. Et cela ne donne que plus de munitions à Shaka King pour mener son film crescendo, jusqu’à un final étouffant qui n’est pas sans évoquer Detroit de Kathryn Bigelow. C’est un film viscéral, poignant, qui raconte avec dignité une période extrêmement violente que certaines personnes aux États-Unis aimeraient certainement pouvoir gommer des livres d’histoire.

© 2021 Warner Bros.

Sur les traces de la Blaxsploitation

Pour sa mise en scène, Shaka King est allé chercher du côté de la Blaxploitation, en s’appropriant un genre et une esthétique sans les côtés ultra-problématiques d’un Tarantino qui prétend parfois lui rendre hommage. Cela passe par la réappropriation de clichés au service de la lutte pour les droits civiques, mais aussi d’une actualisation du genre en le rattachant à ce qui est vécu aux États-Unis actuellement entre violences policières et la très digne lutte de Black Lives Matter. Éminemment politique, il serait toutefois injuste de réduire Judas and the Black Messiah à cette simple idée de film-hommage à un genre, car son cinéaste va plus largement chercher ses influences chez Spike Lee, avec des qualités similaires dans le traitement de ses personnages et sa manière de conduire son histoire.

Il y a quelque chose de transcendant dans les interprétations de Daniel Kaluuya et Lakeith Stanfield. Mais cela est aussi rendu possible par la manière dont Shaka King décide de raconter l’histoire des personnages qu’ils incarnent, avec une dignité qui rend honneur à leurs parcours. Sans en faire un récit hagiographique pour autant, l’histoire de Fred Hampton est captivante et c’est toutes les facettes les plus intrigantes du personnage que le cinéaste raconte dans son Judas and the Black Messiah, faisant du film quelque chose d’assez surprenant, entre révolution et déchéance.

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