Christopher Sebela et le dessinateur Joshua Hixson se sont associé en 2018 pour créer Shanghai Red, sorte de polar aux relents de western qui raconte la quête de vengeance d’une femme vendue à un navire. Saisissant, le comics s’est enfin frayé un chemin dans nos contrées avec une sortie prévue pour le 21 avril aux éditions Hi Comics.
Critique rédigée suite à l’envoi d’un exemplaire par l’éditeur.
19è siècle, Portland, les âmes se perdent et les soûlards sont pris de force pour être revendus comme esclaves sur des navires. Parmi eux, Molly « Red » Wolfram, une femme qui se grime en homme pour pouvoir travailler et vivre sa vie librement. Une liberté qu’elle doit reconquérir maintenant qu’elle a été réduite à l’état d’esclave sur le Bellwood.
La vengeance est un plat qui se mange froid
Molly s’est faite « shanghaier », c’est-à-dire être enlevée et vendue à l’un de ces navires qui partent vers Shanghai, un destin terrible pour toutes ces personnes devenues marins par la force. Esclave du Bellwood, elle s’extirpe un jour des griffes de ses « maîtres » en les tuant tous, avant de convaincre les autres esclaves de retourner vers Portland, son port de départ. Un funeste destin, mais la volonté surtout de reprendre sa liberté dont elle a brutalement été privée, après une vie difficile où elle a déjà dû changer d’identité pour s’émanciper. Parce que c’est l’Amérique de la fin du 19è siècle, où les femmes n’ont droit que d’être prostituées dans des bars et maisons closes qui attirent les marins qui transitent dans le coin. Portland y est décrite comme une ville sale, violente, où le crime rôde à chaque coin de rue. L’endroit parfait pour une histoire de vengeance somme-toute classique, mais qui brille par son univers et l’intelligence de son écriture. Christopher Sebela a déjà montré son intérêt et son talent pour le polar, notamment avec son Dead Letters (édition Glénat), et c’est un vrai plaisir de le retrouver une fois de plus dans un genre qu’il s’approprie encore une fois, en lui donnant un ton inattendu.
Car cette histoire de vengeance cache essentiellement une manière de raconter la solitude, le déracinement et la perte d’identité pour une héroïne qui a tout perdu après avoir bu un verre de trop au bar du coin. Tuer sauvagement, un à un, tous ceux qui sont liés de près ou de loin à son enlèvement apparaît comme une forme d’exutoire. C’est un moyen de se libérer de son passé et surtout de se réapproprier son identité et sa nature humaine, alors que le capitaine du navire où elle était réduite en esclavage s’était bien assuré qu’elle ne soit plus jamais traitée comme un être humain. Il y a des questions plus attendues qui posées sur la rédemption, la capacité à retrouver une forme d’humanité après avoir été si loin dans la violence, mais c’est toujours fait avec une finesse qui rend honneur aux personnages imaginés par Sebela.

Le rouge dans tous ses états
Sombre, violent, mais jamais vraiment gratuitement : la violence est « sublimée » par les jeux de couleur, souvent avec un rouge profond, où les dessins de Joshua Hixson prennent tout leur sens. Il y a, un peu à l’image de l’excellent These Savage Shores, une véritable osmose qui se crée entre le texte et le dessin, l’un et l’autre sachant parfois s’effacer pour laisser le champ libre à son partenaire. Cela donne à Shanghai Red un univers visuel absolument fascinant, où les scènes d’action s’insèrent sans mal dans une narration qui raconte la brutalité et la violence d’une vengeance avec beaucoup de justesse. A noter quelques scènes intéressantes, où la rébellion de Red dans un univers très masculin renverse les codes de son univers.
Surprenant, le polar de Sebela et Hixson amène de belles idées dans un genre qu’ils maîtrisent parfaitement. Cette histoire de vengeance cache en sous-texte beaucoup de bonnes idées, et s’offre même une belle intelligence au moment d’aborder la violence comme une sorte d’exutoire. Un one shot captivant.
Je me remets doucement à la lecture de BD et je dois te remercier pour cette chronique qui me donne envie de le découvrir 👌
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Si tu accroches aux polars, ça serait un excellent choix que de s’y essayer !
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Le comics, avec la thématique de la quête d’identité, me parle pas mal. Merci pour cette belle découverte (et critique) !
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