Réalisé par John Madden, Miss Sloane invite le spectateur à découvrir un élément à la fois bien connu et obscure pour le grand public : les lobbys américains. Ces personnes dont le métier est d’influencer la politique et le vote des représentants américains est au centre des débats depuis bien longtemps. Le plus connu de tous, c’est le lobby des armes à feu qui s’attache depuis des années à empêcher toute réforme de la vente d’armes aux Etats-Unis. Et c’est de cela qu’il est question dans Miss Sloane.
Madeline Elizabeth Sloane (Jessica Chastain) est une des lobbyistes les plus réputées à Washington, D.C. Alors que le leader du lobby des armes à feu lui propose de mener la campagne contre un projet de loi visant à étendre le contrôle des antécédents psychiatriques aux acheteurs de tous types d’arme à feu, elle refuse. En effet, elle est intimement persuadée que cette loi est une bonne chose, et décide donc de rejoindre le cabinet menant la campagne en faveur de la loi après avoir été approchée par son directeur, Rodolfo Schmidt (Mark Strong). Le constat à son arrivée est simple : ils n’ont pas les mêmes moyens que le lobby des armes à feu et doivent convaincre 16 sénateurs. Elle va donc s’adonner à toutes sortes de manipulations pour arriver à ses fins, des actes dont elle doit répondre lors d’une audience face à des sénateurs alors qu’elle est soupçonnée d’avoir violé la loi à plusieurs reprises.
That’s our world
Un film sur les lobby, c’est forcément intéressant à un moment où la politique américaine accapare toutes les attentions. Bien entendu, ici il est question du lobby des armes à feu, alors que des politiques américains tentent de faire réguler leur vente et imposer de nouvelles restrictions. Entrent en scène deux sociétés de lobbying qui vont avoir la lourde tâche de convaincre les sénateurs grâce à des moyens plus ou moins légaux : conflits d’intérêt et faveurs en tout genre, tout est bon pour se mettre un sénateur dans la poche. Ici l’héroïne, Elizabeth Sloane, est une lobbyiste chevronnée qui connaît son métier sur le bout des doigts. Alors que sa société, favorable à la vente libre d’armes à feu, la pousse vers la sortie, elle est récupérée en vol par les opposants aux armes à feu. Avec des moyens bien moindres et une équipe moins expérimentée, elle aura tout de même la lourde tâche de faire reculer le puissant lobby des armes à feu et pousser les sénateurs à voter la nouvelle loi.
Pourtant, malgré cette intention intéressante de nous immerger dans un milieu finalement méconnu par une bonne partie de la population, le film passe très vite au-delà des problématiques liées aux lobbys et à la vente d’arme et vire au thriller putassier. Grands discours chocs sur les armes, lobbyistes méchants et complotistes, on vire à l’invraisemblable et on assiste indifférent aux enjeux qui nous sont présentés. Alors qu’il aurait pu être traité sobrement et intelligemment, le lobbying devient un élément tape-à-l’œil où le réalisateur s’intéresse davantage aux escorts que paie l’héroïne pour s’occuper le soir dans sa chambre d’hôtel et aux vacances tous frais payés pour les sénateurs, plutôt qu’aux enjeux terribles qui se jouent au sein de ces lobby dans une politique américaine qui semble échapper à ses principaux acteurs. Malgré tout, le réalisateur John Madden va essayer d’installer un semblant de tension avec des personnages qui s’adonnent aux coups bas avec plaisir, et une mise en scène grandiloquente sur l’audience à laquelle est soumise l’héroïne devant quelques sénateurs.
Mais le problème problème à mon sens, c’est que cette tension que tente péniblement d’installer le réalisateur tombe très rapidement à plat. On devine très rapidement où le réalisateur souhaite nous amener, au moyen d’indices gros comme le nez au milieu de la figure, ce qui casse rapidement l’intérêt essentiel d’un thriller : le suspense. Si le parti pris au niveau de la réalisation est intéressant, en nous faisant retracer les dernières semaines qu’elle a vécue alors que les sénateurs passent en revue toute l’histoire, il manque ce petit quelque chose qui provoquerait la stupeur lors de la scène finale. Au lieu de ça, on assiste mollement au déroulé d’un espèce de complot de lobbyistes où chacune de ces personnes tentent d’avoir un coup d’avance sur l’autre, sous le regard indifférent de Miss Sloane, sûre d’elle et qui ne se sent jamais véritablement mise en danger.
Le charisme de Jessica Chastain ne sauvera rien : son personnage est si froid et antipathique que l’on n’éprouve aucune empathie, ni même le moindre intérêt pour son avenir. Sa vie se joue lors d’une audience devant des sénateurs, mais le seul sentiment qui en ressort est l’indifférence. Ses camarades tout aussi creux n’aidant en rien.
Miss Elizabeth Sloane
Pourtant il y avait la matière à proposer quelque chose d’intéressant : comme je l’ai dit plus tôt, le monde des lobbys est fascinant et mériterait certainement d’être traité plus sérieusement. Ici le réalisateur ne fait que survoler en mentionnant quelques éléments controversés, sans jamais entrer dans le fond. Du côté du personnage, la classe naturelle de Jessica Chastain sert complètement son rôle dans un tel environnement. Affirmant perpétuellement qu’un bon lobbyiste a toujours un coup d’avance, son personnage nous promet pendant un moment un retournement de situation dingue. Mais les choses sont si limpides que l’on voit tout arriver à des kilomètres. On ne retient au final qu’un personnage indifférent qui semble plus subir les choses et profiter d’un coup de chance, plutôt qu’un personnage maîtrisant son métier et qui, par un coup de génie, parviendra à faire plier le lobby des armes à feu.
Plutôt emballant au premier abord, Miss Sloane se révèle assez classique dans sa construction et ne parvient pas à satisfaire les espoirs que j’avais placé en lui. En s’attaquant à un tel sujet on pouvait espérer un traitement plus profond, mais finalement on ne nous propose ici qu’un espèce de thriller avec un suspense faiblard où l’héroïne tente de faire tomber ses opposants un à un alors qu’elle est dos au mur. Ce n’est pas mauvais, le film se révèle plutôt captivant à certains moments, mais c’est très oubliable.