Sorti fin 2016 et diffusé peu de temps après au Festival du film coréen de Paris, il a fallu attendre ce mois de novembre 2017 pour voir une diffusion plus large en France pour ce film réalisé par Kim Jee Woon (J’ai rencontré le diable ; Le bon, la brute et le cinglé ; Deux sœurs ; A Bittersweet Life…) avec une diffusion sur Canal+ lors de sa semaine du cinéma coréen. Mais on ne boude pas notre plaisir tant The Age of Shadows est une réussite.
Dans les années 1920 alors que la Corée est occupée par le Japon, l’ancien résistant Lee Jung Chool (Song Kang Ho) a rejoint les rangs de la police japonaise. Sa mission est de démembrer est groupe de résistants coréens qui planifient divers attaques à Séoul. Au cours de ses investigations il trouve Kim Woo Jin (Gong Yoo), un marchand d’art mais aussi un des leaders de la résistance. Les deux hommes savent pertinemment qui ils sont, mais ils vont tout de même faire connaissance et se rapprocher pour découvrir leurs vraies intentions.
De résistant à oppresseur
Habitué à l’action et aux jeux de trahisons, le réalisateur sud-coréen s’en est ici donné à cœur joie avec un film très rythmé et un scénario qui fait la part belle aux faux-semblants pour des personnages qui ont tous, à un moment donné, le sentiment d’avoir un coup d’avance sur les autres. Cette histoire de résistance est finalement assez commune, c’est celle de héros quelconques qui veulent repousser l’oppresseur au moyen de sabotages et attentats sur des personnalités importantes du régime. Au milieu de tout cela, on retrouve cet officier coréen de la police japonaise tiraillé entre l’amour de son pays, de ses compatriotes, et le gain de sécurité et financier que son poste lui rapporte. La principale interrogation qui se pose au fil de l’histoire c’est sur les véritables intentions de ce personnage, des intentions qu’il ne semble lui-même pas vraiment connaître tant ses revirements sont fréquents. Mais c’est aussi bien là l’intérêt, en donnant la réplique à un marchand d’art, patriote convaincu, il met dans la balance une vision plus pragmatique du conflit et loin des fantasmes de certains qui affirmeront sans détour que « moi, je serais resté chez moi et j’aurais résisté au péril de ma vie ». Le pragmatisme dont fait preuve le personnage est terriblement intéressant, d’autant plus que cette sécurité que lui apporte son poste va aussi le forcer à commettre des horreurs sans nom. C’est un regard subtil et très délicat que porte le réalisateur sur cette période de l’histoire, où deux idées s’affrontaient et où chacun tentait de survivre.
Face à lui donc se trouve ce marchand d’art, plus idéaliste et déterminé, convaincu par la révolution qu’il souhaite mener et alimenté par son amour de la Corée. Il est l’une des principales cibles de l’officier de police, et il en a bien conscience, pourtant il joue de ses talents d’orateur et son charme de leader pour l’amener à se confier et pourquoi pas rejoindre ses rangs. Une relation à la limite de l’amour et de la haine s’installe entre les deux personnages, l’un tiraillé par ses idées, l’autre prêt à l’accueillir : une sorte de frères éloignés par la force des choses, mais qui ont chacun tant à offrir.
Au-delà de ses personnages, construits de la plus belle des manières, Kim Jee Woon a tendance à reprendre ce qui avait fonctionné dans son film Le bon, la brute et le cinglé. Dans la forme notamment, avec une action très rythmée grâce à une caméra à l’épaule qui sait saisir les mouvements les plus importants lors des divers affrontements : si les combats et fusillades ne sont pas légion dans The Age of Shadows, le réalisateur parvient tout de même à installer un rythme constant à son film en s’appuyant sur une poignée de ces scènes en les annonçant avec une tension qui augmente petit à petit, mais aussi en étirant leur dynamisme jusqu’au bout du film. A l’exemple de cette scène du train où les membres de la résistance cherchent à se cacher des officiers japonais à leur recherche en se fondant parmi les passagers, pendant que Jung Chool, l’officier coréen, navigue entre les deux côtés pour tirer des informations et aider l’un ou l’autre des camps. Au-delà de sa mise en scène ingénieuse qui tire partie de l’espace clos et de la tension d’un trajet interminable, cette séquence est aussi ce qui donne toute la beauté aux scènes qui suivront : un affrontement dans le train, puis dans la gare, qui constituent le climax du film tant pour leur qualité visuelle que pour leur importance dans l’histoire. C’est un moment déterminant que le réalisateur a su amener, gérer et conclure avec brio.
La réalisation n’est pas le seul point qui rappelle ses précédentes oeuvres, je pourrais aussi citer sa formidable galerie de personnages : si tous les résistants ne sont pas traités avec le même soin, ceux-ci participent grandement à la dynamique d’ensemble et la mise en place d’un univers parfois à la limite de l’espionnage, apportant une crédibilité et un rythme dantesque à un film qui semble avoir bon sur tous les points.
La recherche d’une liberté
Et je dois dire qu’il est difficile de trouver à redire : le film est tellement charmant dans la forme comme dans le fond qu’il fait sans problème passer un excellent moment de cinéma. La photographie est extrêmement efficace en parvenant à poser l’ambiance particulière des années 1920 et l’oppression du régime japonais, un défi assez compliqué notamment pour un public occidental qui n’est pas familier avec cette époque. L’image est d’une grande qualité, mais ce qui frappe particulièrement c’est la musique : la bande originale vise toujours juste et se trouve même parfois être plein d’idées, à l’image de ce son jazzy lors d’une séquence terrible de la rafle de résistants coréens par des officiers japonais.
Sur un aspect plus technique, le réalisateur à succès tant local qu’international, Kim Jee Woon, a pu cette fois-ci se reposer sur Warner Bros pour financer son film. S’il ne change pas fondamentalement son approche cinématographique, ce soutient est une première pour Warner Bros dans la mesure où ils n’avaient jusqu’alors jamais produit de film entièrement coréen. Il est très rare qu’un film coréen soit produit par une société étrangère, et c’est une réussite. En misant sur Kim Jee Woon ils avaient un réalisateur très aimé et celui-ci a été à la hauteur du défi, un défi pourtant pas évident avec un budget très loin des standards d’Hollywood (environ 9 millions de dollars). Mais on regrette que la production n’ai pas été plus ambitieuse à la distribution avec des apparitions timides à l’international, à l’image de la France avec une simple diffusion à l’occasion d’un festival puis d’une arrivée sur Canal.
Je ne peux donc que recommander ce film, dont la sortie en Blu-ray est prévue pour le 2 janvier 2018 selon Amazon. Entaché par une distribution beaucoup trop timide, le long-métrage de Kim Jee Woon n’en reste pas moins excellent et n’aura aucun mal à séduire les amateurs d’espionnage, d’action ou de cinéma coréen. Avec son casting de très grande qualité et son inventivité à la réalisation, Kim Jee Woon signe là un de ses meilleurs films.