Prolifique et inspiré, Hong Sang-soo a multiplié les projets ces dernières années, toujours en compagnie de Kim Min-hee. Souvent mélancoliques, abordant la solitude et les amours déçus, ses films évoquent des sentiments refoulés qui se révèlent au détour de discussions et de rencontres inopinées. Son dernier en date, Hotel by the River, est sorti en salles en France la semaine dernière et cela a été un vrai coup de cœur.
Un vieux poète (joué par Ki Joo-bong) en plein questionnement sur sa vie se rend dans un hôtel et y convoque ses deux fils pour leur parler. Il y fait aussi la rencontre d’une femme (interprétée par Kim Min-hee) trahie par son compagnon, qui appelle elle aussi une amie à la rejoindre.

Le début et la fin
A son habitude des petits espaces et des scènes intimistes, Hong Sang-soo y oppose cette fois-ci la grandeur des décors, ces plans au bord d’une rivière gelée et submergée par la neige. Un théâtre d’une rencontre fondamentale entre le poète et ces deux femmes qui s’échangent quelques mots triviaux et des compliments presque enfantins. Elles sont fascinées par sa poésie, lui ne cesse de leur répéter qu’elles sont belles, en gardant toujours ses distances. La neige immaculée est utilisée par le cinéaste comme une toile sur laquelle il peint peu à peu quelques heures, quelques jours qui bouleversent le quotidien des uns et des autres. Ses personnages se rencontrent, s’admirent, s’ignorent parfois et peinent même à se comprendre, mais toujours avec une douceur dans les échanges comme si le temps était suspendu dans un hôtel dont ils semblent être les seuls clients. C’est d’ailleurs ce qui frappe dans ce nouveau film de Hong Sang-soo, ce sentiment de solitude qui plane sur des personnages pourtant très bien entourés. Le poète n’a qu’un coup de fil à passer pour voir ses deux fils surgir, la jeune femme quant à elle voit sa meilleure amie venir à ses côtés sans discuter… La solitude se manifeste pourtant dans un séjour où tout le monde s’interroge sur le véritable sens de leur quotidien.
Le poète voit en effet la fin de sa vie arriver, sans qu’il puisse l’expliquer, il sent qu’il est arrivé au bout. Il fait le bilan et savoure ses « derniers instants » au gré des rencontres et des discussions avec ses fils. Comme pour tirer un trait sur le passé et mettre de l’ordre dans sa vie, il revient avec eux sur des souvenirs ou même le sens caché de leurs prénoms. Il y a quelque chose de très beau là-dedans et c’est d’autant plus mis en valeur par une formidable composition musicale du musicien Dalparan (qui a par ailleurs une carrière impressionnante), où il mêle des sentiments d’espoir et de mélancolie qui apportent une vraie force à quelques unes des plus belles scènes du film. C’est d’ailleurs une des grandes surprises du film, car si Hong Sang-soo a tendance à tout effacer derrière ses acteurs, cette fois-ci il accorde une place extrêmement importante à la musique et à la mise en scène de ses décors. De la même manière, comme une curiosité, il introduit lui-même de vive voix son film au tout début de la projection. Comme s’il voulait insister un peu plus sur la dimension personnelle de l’œuvre.

La capture de l’instant
Mais on retrouve tout de même le style du cinéaste, avec sa caméra toujours en mouvement qui n’oublie jamais de garder une certaine distance, discrétion, pour mettre en valeur ses acteurs. A cela il ajoute cette fois-ci l’hésitation d’un film de famille, en choisissant de procéder avec une caméra à l’épaule qui donne une image de film presque « amateur » lorsqu’il met en scène le poète et ses fils. On a le sentiment de regarder une vidéo filmée par des membres d’une famille, capturant les souvenirs d’un séjour à l’hôtel. Cela accentue un peu plus l’instantanéité des échanges qui est essentiel dans le cinéma de Hong Sang-soo, alors qu’il fait en plus le choix du noir et blanc qui apporte un peu plus de force et d’authenticité dans les émotions de ses personnages. Evidemment tout est toujours plus simple avec de tels acteurs et actrices : Kim Min-hee et Song Seon-mi sont deux formidables actrices qu’il se plaît à mettre en scène très souvent, mais on retiendra aussi Ki Joo-bong dans la peau du poète qui offre une partition très sincère.
C’est avec une sincérité touchante que Hong Sang-soo aborde la fin de vie d’un poète dans un hôtel enneigé où il fait une rencontre bouleversante. Le noir et blanc donne une grande force au film avec un ton intimiste et proche de ses acteurs et actrices, des personnalités qui séduisent et passionnent grâce à leur douceur, faisant de Hotel by the River l’une des plus belles réussites du cinéaste.