Curieusement discret côté promotion depuis sa sortie le 14 juillet dernier, Désigné coupable est pourtant l’un des gros succès critiques de l’année. Nommé à plusieurs récompenses aux BAFTA et Golden Globes, permettant d’ailleurs à Jodie Foster d’en gagner un, le film adapte les mémoires de Mohamedou Ould Slahi, un Mauritanien détenu au camp de Guantánamo pendant quatorze ans sans qu’aucune charge ne soit retenue contre lui.
« Capturé par le gouvernement américain, Mohamedou Ould Slahi (Tahar Rahim) est détenu depuis des années à Guantánamo, sans jugement ni inculpation. À bout de forces, il se découvre deux alliées inattendues : l’avocate Nancy Hollander (Jodie Foster) et sa collaboratrice Teri Duncan (Shailene Woodley). Avec ténacité, les deux femmes vont affronter l’implacable système au nom d’une justice équitable. Leur plaidoyer polémique, ainsi que les preuves découvertes par le redoutable procureur militaire, le lieutenant-colonel Stuart Couch (Benedict Cumberbatch), finiront par démasquer une conspiration aussi vaste que scandaleuse. » (Metropolitan FilmExport)

Une plaidoirie impossible
Après le 11 septembre, les États-Unis avaient besoin d’un coupable. Les images des attentats du 11 septembre ont marqué et traumatisé une génération entière, mais au-delà de l’émotion légitime ressentie par les peuples, c’est la manière dont les gouvernants américains se sont servi de ce drame pour leur propre intérêt qui pose encore question aujourd’hui. En 2019 c’est par exemple Adam McKay qui abordait ce sujet dans le film Vice, sous l’angle des mensonges d’État de l’invasion de l’Irak. Pour Kevin Macdonald et Désigné Coupable, la question porte sur le camp de Guantánamo et la recherche d’un coupable à tout prix. La victime ici se nomme Mohamedou Ould Slahi, un homme enfermé près de 15 ans sans qu’aucune charge ne soit jamais retenue contre lui. Son tort ? Avoir combattu en Afghanistan dans les années 1990 avec un groupe affilié à Al-Qaida, à une époque où l’organisation devenue terroriste était soutenue par les États-Unis dans son combat contre le gouvernement communiste propulsé par la Russie. Ces liens, même lointains, avec l’organisation terroriste suffisait néanmoins à en faire le coupable idéal. Plongée dans une hystérie, le gouvernement Américain avait en effet besoin de trouver des responsables pour expliquer l’horreur, des personnes à condamner, à torturer et à tuer. Mohamedou Ould Slahi fait toutefois après plusieurs années la rencontre de Nancy Hollander, une avocate qui se lance dans une entreprise presque impossible : réclamer des droits pour celui qui, aux yeux du public, incarne tout ce qu’il y a de pire. Désigné coupable est une superbe fresque judiciaire sur le scandale de Guantánamo, un camp de prisonniers qui nie encore aujourd’hui les droits les plus élémentaires. Au plus fort de son utilisation, des centaines d’hommes étaient emprisonnés sur la base de soupçons, sans que des charges soient retenues ni qu’ils soient formellement condamnés. Un système de torture y a été mis en place, dévoilé plus tard dans la presse, et si Barack Obama s’était engagé à fermer le camp durant ses deux mandats, celui-ci reste toujours bien en place. Le film est dur, mais surtout très pertinent sur le sujet, en montrant les moyens utilisés de manière systémiques pour « briser » les détenus et tirer des aveux qui n’en sont pas vraiment.
Pour ce faire, Tahar Rahim y incarne avec une incroyable force ce mélange de violence et de sensibilité du personnage de Mohamedou Ould Slahi, un homme qui paraît inquiétant au premier abord pour l’avocate, mais qui se révèle au fil du temps d’une formidable intelligence, et bienveillance pour un système auquel il a fini par pardonner. La sincérité de Tahar Rahim émeut, bouleverse, tandis que Jodie Foster est pertinente dans le rôle d’une avocate prête à tout pour donner une défense à un homme qui, peut-être, pourrait bien être coupable des pires atrocités. C’est une leçon d’humanité qui est dispensée, avec deux personnes aux milieux si différents mais rassemblés sous le même destin : affronter un système qui refuse d’appliquer les droits les plus élémentaires à des personnes vaguement soupçonnées d’avoir un lien (parfois lointain) avec une organisation terroriste. C’est un discours difficile à porter, encore aujourd’hui, dans des sociétés qui ont tendance à assumer, de plus en plus, l’idée que le droit ne s’appliquerait pas à tous de manière égale. Il suffit de voir la manière dont on traite en France certaines associations en brandissant des liens jamais prouvés avec des organisations islamistes, ou encore le déchaînement de violence verbale et politique qui s’ensuit à chaque attentat ou fait divers impliquant une personne de confession musulmane. Alors voir sur grand écran cette histoire d’une avocate Américaine décidée à exiger un droit à la défense pour des détenus accusés de terrorisme, être racontée avec autant d’intelligence, c’est superbe et ce serait formidable que ce soit l’occasion pour certains de se remettre en question et de réfléchir sur les lois votées dans l’urgence, en temps de deuil et de fortes émotions.

Scandale d’État
Kevin Macdonald, habitué des films hautement politiques, s’en sort à merveilles et livre un film absolument superbe. La mise en scène alterne entre la vérité d’une salle où sont réuni·e·s avocate et prisonnier, la solennité d’une Cour, ou des scènes d’interrogatoire et de torture cadrées en 4/3. Comme pour isoler l’image, comme dans un lointain souvenir, une chose cachée et dissimulée. Peut-être aussi un moyen de remettre en mémoire les horribles photos et vidéos de Guantánamo qui étaient sorties dans la presse au milieu des années 2000. Dans tous les cas, c’est surtout pour Kevin Macdonald une manière de placer son acteur, Tahar Rahim, dans un quotidien fait de mensonges, un quotidien où son humanité est niée. Avec comme seul point de repère quelques rencontres avec l’avocate dans une sorte de salle d’interrogatoire que le cinéaste met en scène de manière presque suffocante, avec les portes qui claquent et le silence qui finit par s’installer.
Si Désigné coupable surprend autant, c’est parce qu’il est terriblement pertinent sur un sujet encore difficile à aborder. Tahar Rahim est impressionnant, jouant l’un de ses meilleurs rôles, en incarnant avec sincérité un homme brisé par Guantánamo. A ses côtés, Jodie Foster complète un film qui a bon sur toute la ligne, sans véritable point faible, offrant l’un des plus grands moments de cinéma de l’année.
Ah oui mais ce film, je l’avais vu passer puis il est ressorti aussi sec de mon esprit. J’irai le voir cette semaine je pense.
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J’espère que ça te captivera autant que moi !
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