Squid Game, fable sociale sur fond de capitalisme

Tout a été dit, ou presque, sur Squid Game. Série événement sortie sur Netflix cette année, elle a pris par surprise bon nombre de spectateur·ice·s qui n’avaient jamais mis un pied dans les dramas coréens. Pourtant, c’est une série qui suscitait beaucoup d’attentes, celle-ci étant réalisée par Hwang Dong-hyuk, qui avait déjà connu un beau succès critique avec le gigantesque Silenced (2011) et The Fortress (2017). C’est toutefois sa première incursion dans le monde des séries, et le moins que l’on puisse dire c’est qu’il a su capter l’attention. Alors, Squid Game, est-ce que c’est aussi bien que ça ?

« Tentés par un prix alléchant en cas de victoire, des centaines de joueurs désargentés acceptent de s’affronter lors de jeux pour enfants aux enjeux mortels. » (Netflix)

© 2021 Netflix

Violences sociales

Inspiré par Battle Royale ou encore Liar Game à un moment de sa vie où il connaissait de graves difficultés financières, Hwang Dong-hyuk a longtemps voulu raconter cette histoire qui a fini par se matérialiser en Squid Game, comme rapporté par Variety. Une histoire de survie, de richesses et d’une extrême pauvreté, poussant certaines personnes à se lancer dans un jeu de vie et de mort où seul le gagnant pourra remporter un gros lot de plusieurs millions. Plus qu’un jeu, Squid Game incarne cette violence sociale, une violence contre les pauvres dans une société ultra-capitaliste, sujet ô combien personnel et important pour un cinéaste qui a déjà montré son intérêt pour les « oubliés » dans le terrible Silenced en 2011. Cela s’explique par plusieurs choses, à commencer par la rapide mutation du pays qui a laissé sur le bord de la route beaucoup de personnes, ou qui a provoqué un développement spectaculaire de Séoul en laissant à l’abandon des quartiers très précaires, avec des infrastructures dans un état lamentable, comme le racontait Bong Joon-ho dans Parasite et sa scène d’inondations qui n’est pas si éloignée de la réalité. C’est un sujet récurrent pour le cinéma et les séries coréennes, où beaucoup d’auteur·ice·s se sont saisi·e·s du sujet pour raconter les écarts considérables qui se creusent entre les ultra-riches et le reste de la population. C’est une histoire du capitalisme, de son échec, mais aussi des violences qu’il engendre à l’égard des personnes qui n’ont rien, et c’est un point sur lequel Squid Game est plutôt intéressant, notamment quand on comprend l’angle personnel que le cinéaste y met. On peut lui reprocher une critique du capitalisme un peu facile et plan-plan, sans prendre énormément de risques, toutefois le drama tient son sujet jusqu’au bout et le fait plutôt bien.

D’autant plus qu’au-delà de ses thèmes, Squid Game est une série bien réalisée, bien filmée, qui sait montrer qu’elle est dirigée par un cinéaste de grande qualité. La série enchaîne les bonnes idées de mise en scène, notamment sur les jeux « enfantins » qui deviennent meurtriers, ainsi que dans des séquences plus fortes en émotion comme ce désormais fameux sixième épisode qui a brisé bien des cœurs. Les personnages sont pour la plupart stéréotypés, le cinéaste ayant vraisemblablement eu la volonté de représenter plusieurs strates de la société, du délinquant de bas étage au bureaucrate bouffé par le système, en passant par des personnes qui n’ont jamais pu trouver leur voie. Mais là n’est pas l’essentiel, car ces personnages vivent au travers d’acteur·ice·s au talent déjà démontré maintes fois par le passé, notamment Lee Jung-jae et Park Hae-soo, les deux héros, des vieux potes qui voient leur amitié se déliter face aux enjeux. Mais aussi des personnes que l’on connaissait moins, comme Jung Ho-yeon, l’actrice qui a fait le buzz grâce à sa prestation et son personnage, ainsi que l’acteur indien Tripathi Anupam dont le rôle aborde la difficulté pour les immigrés à se faire une place dans la société coréenne. Tous les personnages qu’ils et elles incarnent se fondent dans l’histoire écrite par Hwang Dong-hyuk pour y apporter de nombreux regards, des situations et des passés différents qui apportent à l’auteur autant de munitions que nécessaire pour expliquer son point de vue, son vécu et ses rêves pour le futur. Plus tard dans la série, il finit par mettre des noms et des visages sur les personnes qu’il tient responsable de ces violences sociales, dans une sorte d’exutoire très bien senti.

© 2021 Netflix

Liberté fantasmée

Je ne peux, toutefois, pas regarder Squid Game sans parfois ressentir une petite gêne sur l’incohérence entre les thèmes abordés et les moyens de le faire. En tant que multinationale, Netflix est au centre du système dénoncé par Hwang Dong-hyuk, donnant le sentiment d’avoir ici recours à une sorte de redwashing, à la manière du queerwashing dont la plateforme américaine est devenue spécialiste. On y découvre en effet un propos foncièrement de gauche, anticapitaliste, qui finit par être marketé comme un bien de consommation dans la plus pure tradition capitaliste. Des événements éphémères (avec pop-up store) aux costumes des gardes qui ne visent rien d’autre que d’être vendus par containers pour Halloween, Netflix a exécuté un plan parfait pour s’enrichir un peu plus en se servant d’une œuvre au propos intime, tiré de l’expérience du cinéaste. Alors c’est justement cette dimension très personnelle dans les thèmes abordés par la série qui permet de lui laisser le bénéfice du doute, mais quand on voit que la plateforme n’a pas jugé bon de redonner un petit bonus au créateur à l’origine de cet immense succès, on se dit que la dénonciation du capitalisme opéré par la série n’a pas vraiment atteint les oreilles des dirigeants de Netflix. On peut d’ailleurs s’interroger sur la réelle liberté créative laissée par Netflix, une liberté dite « totale » et souvent promue par la plateforme (et ses soutiens), mais qui ne s’est visiblement pas matérialisée pour un cinéaste qui rêvait d’un film avant que son histoire ne devienne magiquement une série. Un format qui a d’ailleurs été considérablement occidentalisé, Squid Game ne reprenant qu’une (petite) partie des codes habituels des dramas coréens et lorgnant plutôt vers des inspirations occidentales, comme si le géant américain ne croyait pas en l’expertise qu’il va chercher en Corée du Sud.

Coup de génie, Squid Game est l’œuvre d’une vie pour un cinéaste qui a longtemps rêvé de raconter cette histoire. Fort de son concept et de son casting, la série ne brille jamais plus que lorsqu’elle assume ses thèmes et son questionnement sur le capitalisme, et ce malgré des facilités ou un mode de production qui laissent parfois un goût amer. Alors peut-être faut-il oublier le détournement du propos par Netflix et peut-être juste penser à la sincérité d’un cinéaste qui livre un cri du cœur, sorte d’exutoire dont il avait certainement besoin.

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