Residue, souvenirs déchus

Pour son premier long métrage, le cinéaste américain Merawi Gerima fait le portrait de d’un quartier empreint de son histoire personnelle, planté au beau milieu de Washington D.C. dans un récit autobiographique. Il y raconte sa colère en revenant quelques années plus tard dans le quartier qui l’a vu grandir, où le fléau de la gentrification a bouleversé les vies de celles et ceux qui ont fondé le quartier.

« Jay, la trentaine, retourne dans son quartier d’enfance de Washington D.C. et y découvre à quel point celui-ci s’est gentrifié. Les résidents afro-américains se trouvent poussés hors de chez eux par des propriétaires plus riches et majoritairement blancs. Traité comme un étranger par ses anciens amis, Jay ne sait plus tout à fait à quel monde il appartient » (Capricci)

© Courtesy of Array

Colère douce

La gentrification est ce phénomène qui vise à métamorphoser des quartiers, remplacer leurs populations pauvres par des populations plus riches, souvent des minorités par des populations blanches. Des États-Unis, on entend souvent parler de Brooklyn et de Harlem à New York, mais c’est un phénomène plus global dont tente de parler Merawi Gerima dans Residue. Un film qu’il teinte d’une colère qui se manifeste dans les détails, dans les conversations et les regards, au détour d’une remarque ou d’une rencontre inattendue. On y voit la violence subie par les communautés dépossédées de leur quartier, de leur monde et de leurs proches, une violence incarnée par Jay, trentenaire qui ne parvient pas à retrouver le quartier de son enfance, à la fois exclu par la nouvelle population et repoussé par ses ancien·ne·s potes. Il incarne malgré lui celles et ceux qui n’ont pas su résister, qui sont parti·e·s sans se retourner et qui découvrent un peu tard ce qu’il s’est passé dans leur vieux quartier. Aussi victime que responsable, Jay est pointé du doigt et peine à trouver sa place à nouveau. La mise en scène et le montage de Merawi Gerima ont côté très rêveur, presque féérique, se laissant aller au rythme des rencontres et des silences, quitte à partir sur un récit non-linéaire, comme des souvenirs jetés au hasard dans la tête d’un homme qui est perdu en son propre monde. Surprenant à bien des égards, le film est pourtant un retour aux sources qui semble salvateur pour un cinéaste qui y distille une colère douce, sans heurts, mais directe et précise, envers celles et ceux qui sont responsables de la situation;

L’image du film tend autant vers ce que l’on voit souvent dans les festivals de ciné indépendant aux États-Unis que vers une imagerie plus documentaire, dans un style radical et enragé qui touche par la sincérité et la réalité de ce que le cinéaste raconte. Parfois presque expérimental et maladroit, Residue n’en reste pas moins une curiosité qui sait bouger, inciter à la réflexion et l’interrogation, grâce à sa manière de montrer sans filtre la réalité de quartiers où deux mondes s’opposent. Celui des personnes qui ont construit le quartier à la force de leurs bras, qui l’ont fait vivre et qui lui ont donné sa personnalité, et celui d’autres personnes qui viennent tout racheter, changer, renouveler, au nom d’un embourgeoisement au racisme à peine dissimulé. Fort pour ses thématiques, le film de Merawi Gerima est presque indispensable en ce début d’année où les débats politiques seront plus que jamais présents dans nos quotidiens, en montrant une réalité qui n’est pas qu’Américaine, mais plutôt universelle.

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Colère froide

Le récit, pas toujours linéaire, lui joue toutefois des tours car cette structure narrative implique des flashbacks qui tirent parfois en longueur, faisant perdre l’impact d’une colère semée au fil des minutes. Heureusement ces moments dans les souvenirs de Jay parviennent parfois à avoir un caractère hypnotique, nostalgique, même pour des spectateur·ice·s qui n’ont aucun lien avec le quartier qu’il raconte. Mais c’est aussi parce qu’il en appelle à des sentiments que chacun·e peut ressentir sans mal, celui d’être attaché·e à un quartier, une ambiance, une zone où l’on se sent bien, où tout semble naturel et à sa place. Et tant pis si certain·e·s acteur·ice·s sont parfois mal dirigé·e·s, tant pis si ce cinéaste en devenir a encore beaucoup à apprendre et montre des faiblesses sur certains aspects. Car on est là face à une oeuvre fondatrice pour le cinéaste, engagée, qui donne envie de suivre ses prochaines réalisations en espérant qu’il garde ce ton bien à lui, cet univers qu’il arrive déjà à affirmer en si peu de temps.

C’est la colère froide du cinéaste qui subjugue, la colère d’un homme qui voit son monde changer pour le pire, qui voit ses proches et sa famille être mis à l’écart de leur quartier au nom de l’embourgeoisement d’un quartier. La gentrification a rarement été racontée avec autant de réussite au cinéma, avec une douceur apparente qui cache la colère de populations à qui l’on a tout arraché. De très beaux débuts pour Merawi Gerima, avec l’espoir de le voir aller encore plus haut.

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