Le Tigre blanc (The White Tiger), castes, dominations et rébellion

Ramin Bahrani, fort de ses nombreuses récompenses en festivals avec ses précédents films, et notamment 99 Homes, s’attaque à un gros morceau. Après une adaptation franchement décevante de Fahrenheit 451 pour le compte de HBO, le cinéaste revient avec Le Tigre Blanc (The White Tiger), adaptation là-encore d’un roman à succès, écrit par Aravind Adiga et publié en 2008. Le film est sorti en janvier sur Netflix et bénéficie d’une nomination aux Oscars 2021.

L’entrepreneur Balram Halwai (interprété par Adarsh Gourav) voit en la visite d’État d’un ministre Chinois en Inde une opportunité monumentale. Il décide alors de lui envoyer un email à cet occasion, en lui racontant l’histoire de sa vie : celle d’un jeune qui appartient à la mauvaise caste, celle qui se trouve tout en bas et qui, parce qu’il est né dans la « mauvaise » famille, devra passer toute sa vie au service des puissants. Il y raconte son état de servitude face à ses maîtres Ashok (Rajkummar Rao) et Pinky (jouée par Priyanka Chopra), deux éminents membres de la bourgeoisie Indienne. Jusqu’à ce qu’il arrive un événement terrible, faisant de lui ce qu’il est aujourd’hui.

© Tejinder Singh Khamkha/Netflix

Des rapports de domination

Le système de caste est au centre du récit imaginé par Aravind Adiga dans son roman en 2008, et dans cette adaptation de Ramin Bahrani. La société Indienne repose en effet parfois sur des castes qui déterminent l’avenir des uns et des autres : certain·e·s sont bien né·e·s et pourront prétendre à un bel avenir, tandis que d’autres comme le héros de notre histoire, sont condamné·e·s à servir éternellement les castes supérieures. Alors dans cette histoire qui mêle rapidement fable sociale et thriller, la question de la lutte des classes est inévitable, tant elle anime un personnage qui n’a littéralement rien à perdre. Condamné parce qu’il est né au mauvais endroit à ne jamais rien posséder, Balram a tout à gagner en tentant de se rapprocher de Ashok, fils d’une famille bourgeoise qui symbolise la place des dominants dans ce système de castes. A bien des égards, Le Tigre blanc et sa nomination cette année aux Oscars (dans le meilleur scénario adapté) rappelle un autre film oscarisé l’année dernière, lui aussi représentant d’un cinéma trop rare dans ce type de cérémonie : Parasite. On y a ce même sentiment d’infiltration, presque sous couverture, d’un oppressé chez son oppresseur, de celui qui n’a rien chez celui qui a tout. Il y a un ressentiment terrible de l’un envers l’autre, mais paradoxalement aussi une forme de respect. On note même quelques scènes à la saveur similaire, avec une mise en scène et des choix de décors qui ne sont pas sans rappeler le film de Bong Joon-ho. Mais Le Tigre blanc a pour lui un univers bien différent et une narration qui emprunte à l’autobiographie, ce qui lui permet d’aborder les rapports de domination à sa manière. On vit toutes ces horreurs de l’intérieur, avec ce sentiment prégnant que le destin est sans espoir. Comme si sa condition actuelle était sans issue.

Paradoxalement, Ramin Bahrani ne s’apitoie pas vraiment sur son héros, il a même tendance à être cynique avec lui, le transformant en anti-héros dont la vengeance passe par l’abandon de ses valeurs. Il y a quelque chose de passionnant là-dedans, avec son approche des castes en Inde et plus généralement sur l’ordre social. Plutôt dur avec ses nombreux personnages, le cinéaste ne cherche jamais à les épargner, pas même Pinky, jouée par Priyanka Chopra, qui vient incarner une sorte de fausse « modernité ». Elle a en effet le rôle d’une Indienne qui a grandi aux États-Unis, apparaissant au premier abord « choquée » par le traitement infligé à Balram, mais qui s’en accommode plutôt bien. Un tacle définitivement bien senti de la part du cinéaste, qui remarque à cette occasion la pleine complicité de nombreux·euses touristes qui prétendent défendre certaines valeurs dans leur pays, mais qui sont bien heureux·euses de se faire servir à moindre frais lors de leurs séjours dans des pays plus pauvres. L’interprète de Balram, Adarsh Gourav, est par ailleurs une formidable révélation. Puissant avec cette colère froide du dominé qu’il incarne à merveilles, l’acteur Indien subjugue par la force d’une interprétation qui s’appuie toujours sur une ambiguïté entre les sourires de façade et la rage qui se développe au plus profond du personnage. Si le sujet de la lutte des classes n’a rien de nouveau au cinéma, le film le fait avec une sincérité géniale qui s’appuie sur une narration rythmée, qui ne perd jamais le fil malgré un récit très dense. Une vraie réussite.

© Tejinder Singh Khamkha/Netflix

La révélation d’un acteur

Et si Adarsh Gourav est aussi bon dans le rôle, c’est parce qu’il est capable d’incarner avec justesse toutes les facettes d’un homme qui s’est appuyé sur sa rage pour tout changer. Sans glorifier ses actes, ni les condamner, le cinéaste met en valeur un personnage qui captive tant pour sa détermination que son charisme. Les seconds rôles sont également plutôt solides, et je suis bien content de voir enfin Priyanka Chopra dans un personnage plus intéressant que ce que Hollywood lui a offert ces derniers temps. Quant au travail du cinéaste, plus généralement, il brille chaque fois qu’il raconte l’Inde, dans ses beautés comme ses difficultés. L’environnement devient un vrai moteur pour le film, et joue même un des rôles principaux, tant les lieux visités par Balram ont de choses à dire sur sa condition et ses ambitions. Il y a une vraie beauté dans cette manière de filmer l’Inde, qui traduit un superbe travail du chef opérateur Italien Paolo Carnera, vu auparavant avec son travail sur le film Suburra.

Fort d’une douceur qui étonne face à la dureté de ses thèmes, Le Tigre blanc de Ramin Bahrani est une véritable réussite. Lutte des classes, rapports de domination et rébellion, le film captive grâce à l’aura de son jeune acteur Adarsh Gourav, subjuguant du début à la fin. A cela on ajoute une manière si maline de filmer l’Inde, servant une narration très rythmée, et on se retrouve avec un excellent film.

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