Depuis ses débuts, Butterfly Beast s’est illustré pour la beauté de ses planches, l’élégance de son trait et la force émotionnelle de la quête vengeresse dans laquelle s’est lancée Ocho, une assassine qui dissimule ses activités sous l’identité d’une courtisane. Deux premiers mangas étaient sortis l’année dernière, mais c’est vraiment avec les deux premiers tomes de la suite intitulée Butterfly Beast II (série en cinq tomes) que l’autrice Yuka Nagate a montré tout l’étendu de son talent. Et très clairement, ces trois derniers tomes qui clôturent cette deuxième série Butterfly Beast maintiennent jusqu’au bout l’exigence de qualité propre à la mangaka.
Cette critique a été écrite suite à l’envoi d’exemplaires par l’éditeur.
« Entre la trahison de Raizô et la capture d’Ochô, les chasseurs de shinobis hors-la-loi sont en mauvaise posture… De son côté, Kazuma, le plus redoutable de leurs ennemis, s’allie au prêtre chrétien Jihyôe Kintsuba. Déterminés à renverser le shogunat, tous deux mettent le point final à leur plan ! Le piège se referme sur le quartier des plaisirs… Mais que prévoit Jin’emon, le patron de Yoshiwara ? » (Mangetsu)

La foi face à la violence
Suite et fin de Butterfly Beast II, ces trois derniers tomes se concentrent narrativement autour des chrétiens qui tenteraient d’envahir Yoshiwara, le quartier rouge où exerce Ocho en tant que courtisane, ainsi que les chasseurs de shinobis, avant de s’infiltrer au sein du palais du Shogun. On sent que, peu à peu, Yuka Nagate place ses pions pour un grand final aux implications aussi bien politiques que religieuses, qui trouve une dimension très personnelle. Plus que ces considérations qui dépassent son héroïne, le manga est sublimé par des questionnements personnels pour une chasseresse qui se retrouve confrontée au sens de sa propre vie et de ses actes. Les thématiques sont nombreuses, autant autour des croyances et de la foi, que sur le sens de vies vouées soit à la religion, soit à une quête de vengeance, alors que toutes ces convictions trouvent des limites face à l’adversité, la haine, la peur et la mort. C’est lourd de sens et très bien écrit, notamment pour le personnage de Ferreira qui était autrefois un missionnaire chrétien et qui, après des tortures, a dû renier à sa foi. Un personnage très bien amené qui interroge les limites des convictions face à la douleur physique et psychologique, et qui résonne assez fort dans le personnage de Ocho qui, vers la fin, est confrontée à ses propres convictions et à leurs limites.
Plus généralement, c’est l’hypocrisie des dirigeants qui est mise en cause, capables de fermer les yeux sur l’oppression de leurs fidèles ou de leur peuple pour assurer de bonnes relations diplomatiques. Le Vatican en prend d’ailleurs pour son grade, à une époque où les missionnaires chrétiens étaient abandonnés dans un environnement extrêmement hostile au Japon. Mais ce qui m’a particulièrement plu sur ces derniers tomes, c’est un arc final en rédemption pour Ocho, qui explore sa vraie nature, hésitant entre sa condition de chasseresse et le désir d’une vie plus libre qui lui tend les bras. C’est dans la continuité des deux premiers tomes qui lui donnaient un visage plus humain, finissant là d’explorer une part d’humanité qui lui faisait défaut dans la première série Butterfly Beast. Le personnage est touchant, plus émouvant que jamais, avec un sentiment d’espoir d’un avenir meilleur qui s’instille peu à peu dans son esprit.

L’art de la dissimulation
Le personnage de Raizo, aussi, qui a dissimulé son passé de chrétien pour avoir une chance de survie est une réussite, l’une des vraies bonnes surprises d’un manga qui peinait parfois à mettre en avant ses personnages secondaires. Lui comme Ocho incarnent un désir de liberté qui est en complète contradiction avec leur activité de chasseurs de shinobis, qui exige de leur part que leurs émotions soient réprimées pour mieux accomplir leurs assassinats. Et c’est ce qui permet au manga d’aller doucement vers une conclusion douce-amère, après avoir exploré bon nombre de thématiques assez modernes malgré son époque, parlant même, à un moment, d’un haut dignitaire qui préfère la compagnie des hommes que des femmes : un sujet traité un peu par-dessus la jambe mais qui apporte quelque chose d’intéressant au récit, qui montre que tout se déroule en dehors des codes, que tous ces personnages à l’allure charismatique ne sont pas que des coquilles vides. Le manga profite d’ailleurs, toujours, du trait élégant de Yuka Nagate, qui ne cesse de charmer par la beauté de ses personnages et de ses décors.
Décidément maîtrisé jusqu’au bout, Butterfly Beast II est un excellent manga qui ne cesse de se renouveler et de réimaginer ses personnages pour les amener vers des questionnements inattendus. L’héroïne, Ocho, est décidément l’une des plus belles réussites de Yuka Nagate, qui parvient à lui donner une dimension très humaine malgré sa froideur initiale et les exactions dont elle s’est rendue coupable. Plus encore, on salue sa capacité à trouver une conclusion pertinente à son histoire, très émouvante, qui laissera un souvenir assez merveilleux pour un manga qui n’a jamais déçu.